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Interview Oliver Peru sur Martyrs
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Interview Oliver Peru sur Martyrs

Actusf : Comment est née l’idée de Martyrs
Oliver Peru : Tout a commencé avec les personnages. La plupart existent dans mon esprit depuis longtemps. Certains sont même en moi depuis dix ans, mais je dirais que l'univers et l'histoire sont nés quand je finissais d'écrire Druide
 
En revanche, je ne sais pas expliquer le pourquoi du comment à propos de Martyrs. Tout à coup, un récit m'est apparu, des péripéties, un final, des moments forts, des émotions, et quelque chose a pris vie pour devenir la série Martyrs. Ensuite comme je le fais pour toutes mes histoires, j'ai mis tout ça de côté pour que ça travaille dans un coin de ma tête. J'ai seulement laissé mes envies orienter mes idées. Et mon envie était depuis longtemps d'écrire une grande saga de fantasy.
 
Je me souviens néanmoins qu'à l'époque, je vivais au Canada et j'adorais me dire que ce pays était le deuxième plus grand du monde, qu'on pouvait emprunter une route de forêt durant 100 km sans jamais croiser personne et qu'en même temps, des villes comme Toronto ou Montréal étaient immenses et rugissantes de vie. Je pense que cette opposition nature/grande cité a marqué le continent de Palerkan que j'ai créé pour Martyrs.
 
Actusf : Ta saga est vaste, à l’échelle du continent que tu as imaginé. Il y a une carte, des tarots… Comment as-tu travaillé pour mettre ce monde en place ? Il y a des heures de conception avant de commencer à raconter l’histoire ? 
Oliver Peru : Une fois de plus, l'exercice est mental. Je ne prends quasiment jamais de notes car, en ce qui me concerne, le fait d'écrire fixe les idées et les empêche d'évoluer. Donc, je visualise les univers de mes romans et je les laisse macérer dans mon esprit durant des mois, voire des années, avant de les coucher sur le papier, avec des mots ou des dessins. Ainsi, avant de travailler « vraiment », j'écris mentalement, j'affine les personnages, j'explore toutes les directions de l'histoire. J'utilise souvent l'image du puzzle car je crois qu'un bon récit, c'est exactement ça. On doit écrire toutes les pièces et trouver comment les emboîter pour que la magie opère. Quand je passe en mode écriture, les choses vont plus vite, je sais où je vais, mais le fait de n'avoir rien figé me permet de me laisser surprendre par l'histoire et ses personnages à n'importe quel moment.
 
La conception est donc globale, l'essentiel se fait en un clin d’œil. Les détails, eux, peuvent m'occuper un peu tous les jours et durant de très longues périodes. Et parmi ces détails, il y a l'histoire du monde, les généalogies des personnages, les cartes, les tarots qui sont importants dans l'histoire de Martyrs ou le Batalion (le jeu de société que j'ai inventé pour le livre et que j’espère sortir en vrai prochainement).
 
 
Actusf : Tous tes personnages jouent un peu une sorte de double jeu. Le Roi est détesté par son peuple mais en même temps il se déteste lui-même un peu, à cause de ce que le pouvoir l’oblige à faire. Les deux frères assassins ont un lourd passé. L’intendant si jovial est en fait un fin politique, n’hésitant pas à tuer au besoin. Son compagnon nain est autre chose qu’un bouffon. Bref, chacun a plusieurs faces. Tu avais envie de personnages complexes, voire torturés ? 
Oliver Peru : Complètement. Je voulais trouver ma fantasy à moi, celle que j'avais envie de lire. Et cette fantasy passe par un ton réaliste qui s'appuie sur des personnages atypiques mais vrais et surtout à mille lieues de tout manichéisme.
 
Au-delà de la saga de guerre et d'amour sur laquelle j'avais envie de travailler, je vois Martyrs comme une série sur les deuxièmes chances, les idéaux, l'honneur et le devoir. Une aventure humaine qui se veut pleine d'émotions, de grands sentiments et qui évite les écueils des récits narrant la bataille du bien contre le mal.
 
Dans mon monde, la perfection n'existe pas. Les personnages oscillent entre l'ombre et la lumière, ils ont la raison pour eux et leurs actes, même les plus vils, sont souvent justifiés selon eux. Et c'est ça qui les rend intéressants et touchants. Cette fêlure qu'ils portent en eux et grâce à laquelle on touche à leur humanité.
 
 
Actusf : Parle-nous un peu des deux frères. Comment les vois-tu ? Ils sont très durs et en même temps très jeunes. Et rapidement les carapaces se fendillent… 
Oliver Peru : Ils appartiennent à un peuple guerrier qui a été victime d'un génocide un siècle plus tôt. Ils sont devenus assassins à louer par la force des choses, vivent dans l'ombre et sont surtout seuls au monde. Ils sont donc très proches l'un de l'autre et ne font confiance à personne. Je les vois comme des diamants bruts, des êtres à l'apparence presque ordinaire qui auraient pu fonder un royaume si le destin leur avait offert une autre vie. Et s'ils sont si durs, c'est qu'ils n'ont rien. Même l'espoir d'une vie meilleure est une chose ridicule à leurs yeux, ils vivent en attendant la mort.
 
Mais il y a aussi, en eux, une force positive et de l'honneur, une étincelle de grandeur qui ne veut pas s'éteindre. Et c'est cela qui les fragilise et les rend si importants à mes yeux. Car s'ils s’ouvrent au monde, ils peuvent le changer.
 
 
Actusf : Même question pour le roi. Le personnage est intéressant, notamment en ce qui concerne le pouvoir. On a l’impression que celui-ci l’a rendu plus dur et plus retors que le jeune homme qu’il était, mais qu’il l’a aussi un peu brisé… 
Oliver Peru : À travers le personnage de Karmalys, ce roi obèse et en souffrance, je pense avoir exprimé une partie de mes opinions sur le pouvoir. Je ne crois guère à la politique et encore moins aux hommes qui en font. Le pouvoir, qu'il soit pris, donné ou hérité, fait croire à ceux qui en jouissent qu'ils sont supérieurs et bien souvent cette prétendue supériorité les éloigne de la réalité, des évidences et de leurs bonnes intentions. Rien n'a alors plus d'importance que ce fameux pouvoir et la façon de le garder. Cette mécanique de conservation d'un privilège ne fait qu'abêtir ceux qui règnent et gouvernent. Et cette bêtise absurde du pouvoir, c'est bien là le problème de mon personnage Karmalys. Il est un homme intelligent qui aurait rêvé de faire autre chose, or le pouvoir l'éloigne de sa nature profonde, elle fait de lui un monstre. Et chez lui, cela se voit physiquement. Jeune, il était beau, mais chaque année de plus passée sur le trône le rend toujours plus gros et hideux.
 
 
Actusf : La comparaison avec d’autres cycles de fantasy aussi ambitieux est inévitable. On pense au Trône de Fer bien évidemment, par l’ampleur du récit. Tu as moins de personnages mais c’est bien le destin du continent tout entier qui est en jeu. Quelles ont été tes influences ? Avais-tu certains cycles en tête en écrivant ce roman ?
Oliver Peru : J'avais beaucoup aimé les premiers tomes du Trône de fer que j'ai lus il y a de nombreuses années (et je rêve de prendre le temps de finir de lire la série un jour) et j'ai carrément été emballé par la saison 1. Je pense qu'inconsciemment, George Martin m'a donné envie de raconter mon histoire à moi mais pour mes autres influences, comme je lis peu par manque de temps, je dirais qu'elles me viennent du jeu vidéo ces dernières années. Même si je ne joue pas autant que je le voudrais (toujours à cause de ce satané temps), j'ai pris beaucoup de plaisir sur des jeux comme Fable, Oblivion ou Dark Souls et je suis resté scotché devant les décors, les atmosphères et la dimension épique qui se dégage souvent des histoires. Comme vous le comprenez, je suis donc bien embêté pour parler davantage de mes références littéraires. Je peux néanmoins ajouter que l'envie d'écrire cette saga vient de loin, d'une promesse que je m'étais fait enfant. J'étais un grand fan des X-men et je me disais que quand je serais grand, moi aussi je raconterais des histoires énormes ;-)
 
 
Actusf : Comment va évoluer la série ? Que peux-tu nous dire du deuxième tome ? Il y en aura combien d’ailleurs ? 
Oliver Peru : Le deuxième tome explorera en partie l'histoire du monde et les grands événements du siècle qui ont précédé le tome 1. Je travaille sur l'idée que la guerre n'est jamais spontanée. Elle prend racine dans des faits plus anciens qui s'accumulent et finissent par forger les haines et les antagonismes soulevant les champs de bataille.
 
Quant aux personnages, ils vont poursuivre leur voyage intérieur et emmêler leur destin dans une aventure que j’espère encore plus haute en couleurs et en péripéties.
 
Et pour la tomaison de la série, j'ai trois tomes en tête, et déjà des idées pour un second cycle. Cependant, je m'interdis pour l'instant de trop y penser afin de rester concentré sur une seule trilogie.
 
 
Actusf : Quels sont tes projets ? Sur quoi travailles-tu ? 
Oliver Peru : Je continue à écrire quelques séries BD. En ce moment je suis sur Zombies avec Sophian Cholet. Le tome 3 devrait paraître bientôt et en parallèle, je développe des one-shots qui pourront se lire indépendamment de la série principale. Je viens aussi de terminer l'écriture des séries Mjöllnir (un diptyque) et Lancelot (une série en 4 tomes) qui vont paraître à la rentrée.
 
Je bosse évidemment sur le tome 2 de Martyrs et sur un autre bouquin jeunesse très illustré qui me tient à cœur depuis des années. 
 
J'ai aussi quelques projets avec la télé et je planche surtout sur un dossier très important, il s'agit de Martyrs en série télé. Un producteur avec qui j'ai déjà bossé sur un film voudrait porter l'univers à l'écran et on est en train de mettre le projet en chantier. J’espère revenir vous en parler bientôt avec des images :-)
 
Merci pour cette interview, monsieur ActuSF !

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