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Interview Olivier Girard
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Interview Olivier Girard

ActuSF : Petit bilan de santé pour commencer. Comment se porte les éditions du Bélial' ?
Olivier Girard : Ça va. En dépit d’une année 2011 à ce jour particulièrement pourrie. Et une année 2010 médiocre. Entre avril 2010 et avril 2011, notre CA a perdu près de 10%. Mais nous restons bénéficiaires… La revue Bifrost se porte bien. Avec des abonnements qui ne cessent de monter. On approche des 700. Nous n’y sommes pas encore, mais ça approche. Financièrement, ça permet de niveler les gamelles sur certains bouquins. D’installer doucement des auteurs à peu de risques, de juger de leur accueil critique. Et surtout, ça assure des rentrées régulières. Faibles, certes, mais régulières. L’ambiance est à la prudence, naturellement, c’est le moins qu’on puisse dire.

ActuSF : Peux-tu nous présenter tes sorties de l’automne ? Et tout particulièrement le recueil de Lucius Shepard ?
Olivier Girard : Le Dragon Griaule est LA sortie du Bélial’ cette année. A plus d’un titre. D’abord, parce que c’est le livre le plus coûteux de l’année pour nous (et le fait qu’on mette le plus d’argent sur un… recueil, prouve bien combien nous avons perdu la raison depuis des lustres…). Et puis, parce qu’il inaugure une nouvelle collection, « Kvasar », une collection qui se veut de référence, avec un format plus grand, des rabats, un pelliculage mat et un vernis sélectif (merci le tiroir caisse). Parce qu’il s’agit d’une édition illustrée (par Nicolas Fructus). Parce que, enfin, c’est un livre d’une qualité tout bonnement exceptionnelle. C’est bien simple : je n’ai jamais lu aucun livre de fantasy doté d’une telle maturité littéraire. J’ai la conviction que le Bélial’ a publié le meilleur livre de fantasy francophone cette année avec Bankgreen de Di Rollo en février dernier. J’ai ici la certitude que nous publions avec Le Dragon Griaule le meilleur livre de fantasy anglo-saxon. Une telle assertion manque sans doute d’humilité, mais c’est ce que je pense. Voilà pour septembre.
En octobre, c’est la sortie du numéro 64 de Bifrost. Avec un dossier Jérôme Noirez, l’un des auteurs francophones actuels que je trouve les plus passionnants, les plus innovants. On y lira également une longue novelette de science-fiction sous la plume de Xavier Mauméjean, ainsi qu’un récit de SF ébouriffant comme seul Peter Watts sait le faire.
Enfin, en novembre, nous publions Burndive, imposant space opera signé par la canadienne anglophone Karin Lowachee, un roman qui, s’il ne fait pas directement suite à Warchild, prolonge malgré tout ce dernier et se passe dans le même lointain futur, un univers où l’humanité livre une guerre sans merci aux Striviirc-na, une race extraterrestre raffinée mais implacable. L’ultime volet de cette série prenant pour cadre cette guerre stellaire, Cagebird, paraîtra quant à lui en 2012.

ActuSF : S'il n'y a pas de rentrée littéraire à proprement parlé en Imaginaire, le phénomène qui occupe de l'espace dans les médias et les libraires impactent-ils tes ventes ? Est-ce que cela a des conséquences ?
Olivier Girard : Non. De toute façon, la littérature de genre n'est quasiment jamais défendue dans les médias. En période de rentrée littéraire, le seul truc notable c’est qu’on parle davantage du livre en général. Enfin, disons qu’on parle davantage de la douzaine d’auteurs habituels médiatiquement « bancable ». Pour le reste, c’est le néant habituel. Un néant clairement abyssal dans nos domaines. Point.
Enfin, concernant la librairie, la noria se déroule en rayon littérature dite blanche. Les livres du Bélial’ sont présentés en rayon littérature de genre, type « SF/fantasy », là où il n’y a plus que des mecs torse nu aux dents pointues sur les couvertures ou des pin-up tatouées gainées de cuir — présenter une nouveauté de Greg Egan, Lucius Shepard ou Stephen Baxter à côté de ça, franchement, ça me fait étrange… Bref, les rayons spécialisés ne sont pas impactés par la rentrée littéraire. Nous, la rentrée littéraire, c’est toute l’année, avec des éditeurs qui publient des tombereaux de fantasy à la sauce bit lit’ par dizaine tous les mois. Les rayons spécialisés sont devenus des rayons Arlequin…

ActuSF : Comment as-tu choisi les mois de parution de tes trois titres à venir ? Sortir le recueil de Shepard en septembre est-il stratégique ? Est-ce que cela change quelque chose de sortir un roman en septembre ou en novembre ?
Olivier Girard : Traditionnellement, les derniers mois de l’année sont une période où le livre est censé se mieux vendre… Censé. Bref, on a tendance à mettre en fin d’année des livres forts, et/ou gros, histoire qu’ils puissent faire office de cadeau de Noël également. Ceci étant, c’est une vue de l’esprit. Qui offre encore des romans pour Noël ? Je ne sais pas… Bref, pour répondre à ta question, sortir Le Dragon Griaule en septembre est en effet un choix stratégique. Le pari que le livre marche suffisamment pour que ça et là, il se trouve encore en table au moment de Noël. On peut toujours rêver. Parce que vu le nombre de titres qui sortent dans nos rayons, un livre reste en table 15 jours. Rarement davantage…

ActuSF : On parle d'une crise en librairie depuis le début de l'année avec une baisse  de leur fréquentation et des ventes. As-tu ressenti ce phénomène sur tes  ventes ? Est-ce que cela t'a incité à changer des choses dans ton programme de parution ? Es-tu inquiet pour l'avenir ?
Olivier Girard : La crise ne date pas du début de l’année, mais bien d’avant. Et elle ne s’exprime pas partout de la même manière, de même que les causes qui l’expliquent sont multiples. Chez nous, au Bélial’, la VPC explose. C’est symptomatique. Les gens achètent de moins en moins de livres en librairies (ou profit du Net), et surtout moins de livres dans des librairies qui ne sont pas des enseignes. Selon le Syndicat de la Librairie Française, le CA de la librairie indépendante a reculé de 5,4 % entre 2003 et 2010 (avec un phénomène d’accélération sur les 2 dernières années). La librairie indépendante représente aujourd’hui 25 % de la part des ventes de livres en France (contre 40 % il y a une trentaine d’années). Pour info, on estime que ce chiffre tombe à 10 % aux USA, ce qui signifie que le concept de librairie indépendante dans ce pays, eh bien, aujourd’hui, ça ne veut plus rien dire… Donc, oui, il y a bel et bien une crise de la librairie, mais avant tout (même si pas uniquement) une crise de la libraire INDEPENDANTE. En fait, les ventes de livres se tassent sans s’effondrer, mais c’est le lieu d’achat qui se déplace et se concentre sur les sites marchands des grandes enseignes du Net et des grandes enseignes tout court (avec le phénomène de siphon qui en découle, à savoir que les best-sellers qui se vendent toujours plus et le reste toujours moins). Aussi, ce tassement général est bien plus qu’un tassement pour nombre de libraires indépendants, déjà exsangues depuis des années. Ceci étant, j’ai tendance à considérer que ceux qui « mangent » vraiment, ce sont ceux qui n’ont pas fait le boulot. Il y a une vraie demande de conseil de la part des lecteurs. C’est de plus en plus évident. Je reste persuadé que le libraire qui répond à cette attente de conseil peut tirer son épingle du jeu. Une autre voie à creuser, à mon sens, face aux « supers marchés de la culture », c’est l’hyper spécialisation. Bref, tout ça pour dire que je suis convaincu qu’il y a des solutions… Et pour répondre à ta question, oui, bien sûr qu’on ressent le phénomène. Les mises en place baissent, les taux de retours grimpent en flèche. Et puis il a des constats propres à nos domaines. Le fait qu’aujourd’hui, lors que vous regardez une table de nouveautés dans rayon de littérature de genre, vous avez l’impression de voir les murs de la chambre d’une minette de 15 ans, pose un vrai problème. Résultat : nombre de bouquins de genre, parmi les plus intéressants, paraissent hors des rayons spécialisés. Ça aussi, ça devient un vrai problème pour les éditeurs spécialisés comme le Bélial’, éditeurs qui, du fait de leur spécialisation, ont toutes les peines du monde à sortir des rayons dédiés. Idem pour les collections de poche, qui ne peuvent pas acheter les droits de ces livres parus hors genre (et qui, pourtant, sont bel et bien des livres de genre), parce que les éditeurs grand format desdits titres refusent de voir leurs bouquins paraître dans des collections spécialisées… Sans parler de l’arrivée du numérique, qui fait plus ou moins flipper tout le monde de façon irrationnelle…
Changer des choses dans mon programme de parution ? Oui. Il y a des bouquins, des projets que je mets en attente, au « frigo », dans l’espoir que les choses s’arrangent… Quant à être inquiet : qui ne l’est pas ?

ActuSF : Quels sont les titres à venir en 2012 ? Que peux-tu déjà nous dire sur le  programme ?
Olivier Girard : Globalement, la politique éditoriale du Bélial’ reste la même : un savant dosage entre livres modernes et classiques patrimoniaux, francophones et anglo-saxons… Il y aura, dans la collection « Kvasar » que j’ai évoquée plus haut, l’intégrale de Féerie pour les ténèbres de Jérôme Noirez, une réédition passablement réécrite et complétée par pas mal de nouvelles, dont plusieurs inédites, le tout pesant plus de deux millions de signes (réunie en deux volumes). Il y aura aussi le nouveau roman de Greg Egan, Zendegi, Cagebird de Karin Lowachee, Points Chauds, le nouveau roman de Laurent Genefort (tiré de sa nouvelle lauréate du GPI 2011 que nous avions publiée dans le Bifrost 58), et aussi, une manière de pendant à Points Chauds, un bouquin intitulé Aliens, mode d’emploi, manuel de survie en situation de contact extraterrestre, un guide de survie drôle et malin dans l’univers de Points Chauds totalement illustré… Il y aura également un roman de SF inédit de Poul Anderson, Tau Zéro, sans doute un roman de Claude Ecken (de la hard SF), Le Grand Livre de Stark de Leigh Brackett… et quelques autres surprises. Sans parler de Bifrost et de sa kyrielle de dossiers sur le feu…

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