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Interview Rod Rees
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Interview Rod Rees

Actusf : Vous avez eu un parcours très riche... 
Rod Rees : Oui. J'ai vécu à Téhéran durant les derniers jours du Shah. J'étais à Moscou quand le communisme à commencer à se fissurer. J'ai travaillé au Nigeria, en Somalie, au Burundi et dans plusieurs autres pays parmi les moins bien administrés, les moins bien nourris et les plus mal-baisés sur la planète. J'ai vu et fait l'expérience du chaos en première ligne. Se promener dans les rues de Lagos la nuit vous permet de savoir, de manière très viscérale, ce que peut être la vie dans un univers comme le Demi-Monde. Mais il y a plus. Vivre et travailler à travers le monde m'a convaincu d'une chose : tous les Humains sont créés égaux dans leur duplicité et leur capacité à dire une chose mais à en faire une autre. La duplicité est un thème récurrent dans le Demi-Monde... tout comme mon interrogation sur la présence d'une vie intelligente sur Terre.
 
 
Actusf : Qu'est-ce qui vous a donné envie de devenir écrivain ? 
Rod Rees : J'ai une formation de comptable. Mais mon rêve a toujours été de faire autre chose, n'importe quoi. Mais je suppose que devenir écrivain de science-fiction était une évolution naturelle de la comptabilité : j'ai simplement échangé un monde imaginaire pour un autre.
 
C'est une série de la BBC qui m'a finalement incité à écrire : Jekyll (j'espère qu'elle n'a pas traversé la Manche). Celui qui l'a écrit a réussi à éviscérer l'histoire de Jekyll et Hyde tout en la rendant risible. En la voyant, j'ai eu ce sentiment que tous les écrivains, depuis l'aube des temps, ont eu à un moment ou un autre : je peux faire mieux que ça !
 
 
Actusf : Écrivez-vous depuis longtemps ?
Rod Rees : Non, je suis venu à l'écriture très tard dans ma vie. C'est quelque chose que j'ai toujours voulu faire mais sans jamais avoir pris le temps de le faire. J'ai commencé à écrire il y a six ans.
 
 
Actusf : Quelles sont vos influences, les auteurs qui vous ont marqué ? Êtes-vous lecteur de science fiction ? 
Rod Rees : Curieusement, ma plus grande influence est le cinéma. J'adore le cinéma et je suis arrivé à l'écriture en novice complet (pas de cours d'écriture pour Rod !) Quand je construis mes livres, mon point de référence est surtout le cinéma. J'écris en imaginant chaque chapitre (chaque scène) comme s’il pouvait être joué sur grand écran (c'est pourquoi sans doute je n'ai pas beaucoup de temps pour de longues descriptions). C'est très utile quand j'essaye d'amener mes romans au bon rythme : imaginer sa prose projetée dans un cinéma est un bon moyen de comprendre quand l'histoire, l'action ou autre chose commencent à trainer en longueur et qu'il est temps de sortir les ciseaux de l'éditeur.
 
En terme de littérature, même si j'ai lu beaucoup de SF et de fantasy plus jeune, la plupart de mes lectures aujourd'hui sont pour mes recherches. Cela dit, les livres que j'ai lus et dont on peut retrouver un peu de l'ADN dans le Demi-Monde sont :
  • Le Fleuve de l'éternité de Philip José Farmer. Il a peuplé son univers de personnages provenant de l'Histoire et j'ai fait de même avec le mien.
  • Fondation d'Isaac Asimov (surtout le deuxième livre de la série). Le concept de la psychohistoire m'a fasciné. Un de mes personnages dans Printemps est intrigué pareillement sur la question de la détermination de l'existence humaine.
  • Le Maître du Haut Château de Philip K. Dick. Une modification brillante de l'histoire pour créer un « maintenant » alternatif. Une inspiration pour développer mon propre « Monde réel » endommagé.
  • 1984 de Georges Orwell. La référence en terme de dystopie. L'exploration des systèmes de croyances comme le NonHédonisme, la doctrine ellétique et l'Impuritanisme dans le Demi-Monde ont été inspirés par la réinterprétation orwellienne du communisme.
  • Le Hussard de Sa Majesté de George MacDonald Fraser : un univers victorien et le même genre d'humour irrévérencieux (je l'espère !)
 
Actusf : Le Demi-monde : Hiver est votre premier roman. D'où vous est venue l'idée ?
Rod Rees : Hiver n'est pas mon premier roman... C'est mon premier roman publié ! Le premier livre que j'ai écrit s'appelait Dark Charismatic et était une réécriture de l'histoire de Jekyll et Hyde. Il devait valoir quelque chose vu qu'il a persuadé John Jarrold de devenir mon agent. Malheureusement, ce « quelque chose » n'était pas suffisant pour inciter un éditeur à le publier (tant pis pour eux !) J'ai donc décidé d'écrire à nouveau. Ayant fait autant de recherches sur le monde victorien que sur les psychotiques, je répugnais à quitter ce milieu particulier.
 
Par conséquent, j'avais besoin d'un support narratif qui englobait une touche victorienne et me permettait de la peupler avec des hommes fous et vicieux (ou, ce qu'ils sont dans le Demi-Monde, des Singularités). Évidemment, il devait également être assez convaincant pour suspendre l'incrédulité du lecteur. La solution à laquelle je suis arrivé était de faire du Demi-Monde un univers virtuel. Mais, encore une fois, pour le rendre crédible, ce monde devait avoir un but : mon choix s'est arrêté sur sa fonction de terrain d'entrainement pour les soldats de l'armée américaine (mes néoCombattants) en prévision des horreurs des guerres asymétriques.
 
Le concept ayant été décidé avant que je commence à écrire, j'ai dû définir les paramètres de ce monde virtuel. Pour cela, j'ai produit «  THE DEMI-MONDE®: A Product Description Manual », une fausse brochure écrite par l'entreprise à l'origine du Demi-Monde (ParaDigm CyberResearch Limited) et fournie à l'armée américaine lors de la présentation de cet univers virtuel. Elle définit le but du Demi-Monde, en expose tous les paramètres et décrit son comportement (elle peut être lue sur le site du Demi-Monde www.thedemi-monde.com). Cette brochure a été une référence constante alors que j'écrivais le livre. La description de l'univers et le découpage du Demi-Monde m'ont pris un mois, les recherches sur la vie des personnages historiques présents, sur le fascisme et d'autres sujets un autre mois. En tout, deux mois entre l'idée et l'écriture de la première ligne.
  
 
Actusf : L'univers est très original : cyberpunk, steampunk, uchronie... Pourquoi ce mélange ? Vous n'arriviez pas à choisir un seul genre ? 
Rod Rees : Je n'y ai jamais vraiment pensé. Ça s'est juste fait comme ça. Je suis passionné d'Histoire : il m'était difficile de résister à la tentation d'envoyer des « vraies » personnes dans ma propre histoire. Ensuite, il y a eu la possibilité de s'amuser un peu avec les systèmes de croyances avec lesquelles les Humains ont joué durant des siècles. Quand j'y pense, le thème principal du Demi-Monde est l'absurdité. Ses religions sont seulement les mouvements religieux et politiques du monde réel (par exemple fascisme, paganisme, hédonisme, communisme, féminisme, environnementalisme et la scène homosexuelle) étirés et déformés jusqu'au point de rupture. Certains lecteurs, semble-t-il, ont cru que ma seule intention était d'être déraisonnable mais ce n'est pas le cas. Je crois sincèrement que montrer un système de croyances poussé à l'extrême est le seul moyen de le voir pour ce qu'il est vraiment... reductio ad absurdum...
 
Il me semble que les tous les crédos politiques et religieux finissent par devenir des pastiches ridicules de ce qu'ils étaient à l'origine. Mais, arrivés à ce point, leurs adeptes (et ceux tout en haut qui font des profits considérables) y ont investi un capital émotionnel et intellectuel tel qu'ils sont incapables (et ne le souhaitent pas !) de voir l'absurdité qu'ils sont devenus. C'est le syndrome des habits de l'empereur. Voilà pourquoi toutes les religions et les systèmes politiques finissent fatalement en morceaux : ils s'effondrent sous le poids de leur propre absurdité.
 
Grâce à la satire, un système de croyances peut être soumis à un test de résistance, montrant pourquoi il est si important qu'une société soit ouverte, libre de toute censure et où tout peut être librement critiqué. Je n'oublie jamais de me rappeler que le Demi-Monde était à l’origine une pièce de théâtre d'Alexandre Dumas, un satire de la société française. J'aime penser que, peut-être d'une certaine manière, mon Demi-Monde continue cette tradition.
 
 
Actusf : Comment s'est effectué le choix des personnages historiques réels que vous alliez utiliser ? 
Rod Rees : Les méchants étaient faciles. Les « Singularités » sont des über-psychotiques historiques. Dix-huit d'entre eux (deux ont déjà été assassinés quand le livre commence) sont dans le Demi-Monde pour faire preuve d'un « leadership aberrant » sur les trente milles de Dupes qui habitent ce monde virtuel et offrir aux néoCombattants des adversaires stimulants.
 
Quand je les ai sélectionnés, j'ai essayé de me tenir à l'écart de l'évidence – Hitler et Staline par exemple, qui ont déjà été un peu rebattus en imaginaire. J'ai décidé de choisir les bâtards les moins connus de l'histoire. J'en connaissais certains depuis l'école – Heydrich, Shaka Zulu et Robespierre par exemple. Quand j'habitais en Russie au début des années 1990, j'avais lu des livres sur Beria. Je me souvenais de Crowley qui apparaissait dans les livres de Denis Wheatley. Je suis tombé sur Archie Clement (quelle trouvaille !) alors que je faisais des recherches sur Jesse James. Pour le reste, j'ai googlé « monstres » et « psychotiques ». Mais j'ai eu du mal à trouver des Singularités féminines – l'Impératrice Wu et Lucrezia Borgia prennent de l'importance dans Été.
 
Les gentils viennent de mes héros : Nikolai Kondratieff (un économiste russe) et Josephine Baker (la chanteuse et danseuse de jazz) devaient en être !
 
 
Actusf : Le roman a-t-il nécessité beaucoup de recherches ?
Rod Rees : Oui, je fais BEAUCOUP de recherches. J'ai beau écrire sur des mondes imaginaires, je veux qu'ils aient une cohérence qui permette la suspension d'incrédulité chez mes lecteurs. Avant de commencer la série du Demi-Monde, j'ai passé des mois à faire des recherches sur les personnages historiques et à décrire les différents systèmes de croyances que l'on retrouve dans les quartiers du Demi-Monde (on peut en retrouver la majorité sur le site Internet).
 
 
Actusf : Au vu de leurs actes, il est parfois difficile de croire que les héros sont des adolescents : pourquoi ce choix ?
Rod Rees : Je voulais simplement que la juxtaposition des Singularités malfaisantes – et principalement masculines – avec mes personnages soit aussi franche que possible. Je voulais aussi que mes personnages affichent une naïveté qui rendrait leurs réactions vis-à-vis de la dystopie dans laquelle ils se retrouvent bien plus dramatiques. Faire de Norma, Ella et de Trixie des jeunes filles servait cet objectif et me permettait de montrer comment leurs expériences les font changer tout au long des quatre romans.
 
 
Actusf : Ella, Norma, Trixie... Trois des personnages principaux sont des jeunes femmes. Les hommes sont donc moins intéressants ?
Rod Rees : C'est difficile d'y répondre. J'ai deux filles, deux adolescentes merveilleuses, et je suppose que des bouts d'elles se retrouvent dans mes personnages (je ne dirais pas laquelle est Trixie !). Avoir trois filles plutôt fougueuses pour conduire l'histoire semblait la chose à faire. Comme je voulais que l'un de mes personnages soit « en danger » au début de l'histoire, c'était une inclination naturelle (quoiqu’un peu cliché) d'en faire une femme. En faire un personnage masculin aurait changé le déroulement de l'histoire (le personnage de Norma) comme je l'avais imaginé. Le problème avec ce raisonnement c'est que toutes les nouvelles figures héroïques qui apparaissent dans les livres suivants se retrouvent souvent être féminines (Odette Aroca dans Printemps, Dong E dans Été). Je suppose que c'est juste un assentiment de ma part au fait que ce siècle sera celui où les femmes prendront les rênes du pouvoir (et ce n'est pas trop tôt, si vous voulez mon avis !)
 
Mais il y a aussi des personnages masculins forts : Vanka Maykov est mon préféré, tout comme Burlesque Bandstand (qui aura une plus grande place dans Printemps).
 
 
Actusf : À quoi peuvent s'attendre les lecteurs dans le prochain tome, Printemps ?
Rod Rees : L'histoire de Printemps est la continuité des aventures de Norma, Ella et Vanka et se déroule dans le secteur français du Demi-Monde, le Quartier Chaud, où la population est majoritairement d'origine méditerranéenne, la langue principale le français et la religion dominante l'Impuritanisme (une religion effrénée basée sur la promiscuité, vouée à l'amour libre). Les Singularités qui dirigent le quartier sont Robespierre, Tomas de Torquemada et le Marquis de Sade. J'y introduis un nouveau personnage, Odette Aroca, une jeune Française très solide et pragmatique (dont Burlesque s'entiche). Je me suis beaucoup amusé avec le Quartier Chaud et j'espère que les Français me pardonneront les dommages que Burlesque fait à leur très belle langue.
 
 
Actusf : Avez-vous déjà des projets pour quand la série sera terminée ?
Rod Rees : J'ai terminé le dernier tome de la série – Automne – l'année dernière alors j'ai déjà bien entamé d'autres projets. Je suis sur le point de commencer à travailler avec mon éditeur sur un roman qui s'intitule Tesla vs the Martians (où j'ai pris comme personnage principal Nikolai Tesla) et j'en ai un autre en cours Faktion (une uchronie qui se déroule dans un Londres de 1947 très différent) qui n'a pas encore trouvé d'éditeur. J'ai également réécrit ma version de Jekyll et Hyde (une version plutôt érotique au final) que j'ai renommée The Strange Case of Margaret Jekyll

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