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Interview Roland C.Wagner
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Interview Roland C.Wagner

ActuSF : Comment est née l’idée de ce roman ?
Roland C.Wagner : Je ne sais plus mais elle date d’il y a 6-7 ans. J’y suis revenu deux-trois fois avant de m’y attaquer sérieusement.

ActuSF : Et qu’est-ce qui t’a donné envie d’arrêter de développer l’univers et de te lancer dans le récit ?
Roland C.Wagner : A un moment ou un autre, il fallait bien finir le roman (rire) ! Et comme le prochain tome des Futurs Mystères de Paris va être un peu plus long et compliqué à écrire, j'avais le temps de m'attaquer au Temps du voyage. L’avantage de ce genre de récit, c’est qu’on est dans une structure simple avec seulement deux lignes de narration, dont une est beaucoup moins développée que l'autre. C'est plus léger que pour un volume des Futurs Mystères de Paris. Mais attention ce n’est pas plus facile à écrire. J’ai mis huit mois pour arriver à la version finale. 700 000 signes mine de rien !

ActuSF : Huit mois pour 400 pages tout de même...
Roland C.Wagner : L'avantage avec les éditions de L'Atalante, c’est que je suis libre. Je peux laisser respirer le livre jusqu’à sa bonne longueur… Là, l’essentiel c’était le confort de la lecture.

ActuSF : Une fluidité qui ressort d’ailleurs à la lecture de ce livre...
Roland C.Wagner : Oui je ne voulais pas que ça accroche. C’est une promenade dans des mondes étranges. La fluidité est essentielle !

ActuSF : On pense en lisant Le Temps du Voyage à Jack Vance. Tu l’as conçu comme un hommage ?
Roland C. Wagner : Non. En tout cas, pas dans l’écriture. Mais maintenant que le livre est terminé, ça ressemble effectivement à un hommage. C'était la même chose pour Le Chant du cosmos. Quand il est sorti, pas mal de gens lui ont trouvé un petit goût « vancien ». Il semblerait que j’ai une capacité à travailler un peu dans le même domaine que lui, notamment dans l'aspect « voyage ». Mais c’est seulement en surface. On n’a fondamentalement pas la même vision sur l’existence. Vance pense que l’homme ne changera jamais. Et moi je pense qu’en améliorant la société, on peut améliorer l’homme. Et puis il est pessimiste, pragmatique et réaliste. Dans le détail c’est souvent rigolo mais quand tu regardes le global, ce n’est pas souvent très gai. C’est quelqu’un d’un peu soucieux.

ActuSF : J'imagine que ce voyage à travers plusieurs mondes était une idée de départ...
Roland C.Wagner : Oui. Je voulais mettre mon personnage sur une première planète et le faire se promener. Après le choix des aventures et des mondes n’est pas tout à fait classique. En général, les romans picaresques qui se déroulent sur des planètes à basse technologie sont assimilés à de la fantasy. Là, je voulais reprendre la forme d'un roman picaresque mais sur des mondes avec une infrastructure industrielle. Au lieu d’avoir des châteaux et des rois, on a des ateliers d'ouvriers et des salles de cinéma. Le décalage est là. Et ça, ce n’est pas gratuit ! Il y’a une logique qui veut qu’il se balade sur ce type de monde. Le Temps du voyage est un livre sur les technosciences, leurs applications, leurs rôles dans la société et leur importance dans l’évolution socio-psychologique de l’humanité. Tout ça derrière l’aspect « balade » du héros. Tu ne trouves pas ça chez Vance. Même dans Durdane. La technologie est juste un décor. Il ne prend pas tellement en compte les rapports des gens et de la science. Ce n’est pas son sujet. Il est toujours dans cette logique où les sociétés humaines sont conditionnées par leur environnement. Moi je dis que cela fait un moment que ce n’est plus vrai. Ce qui détermine le comportement des gens ce n’est pas ce qu’ils mangent pour moi, ou leur religion, mais ce qui a filtré de l’impact des sciences et de techniques évoluées. Tout mon livre est là-dessus. Il est saupoudré d’éléments technologiques qui constituent un discours. A partir de ce moment-là, raconter une histoire d’aventure fluide est pratiquement essentiel. Elle permet de mettre plein d'exemples au fil du récit pour alimenter la réflexion.

ActuSF : La réflexion sur la technologie est double. Au début, elle apparaît de manière négative, au moins du point de vue du héros. Puis la situation se renverse un peu au fur et à mesure des chapitres…
Roland C.Wagner : Ce qui est fondamental, ce n'est pas l’outil ou le type de technologie, c’est ce que tu en fais ! Et sans de bons outils, tu ne fais pas du bon boulot. Même s'il est vrai que l’utilité de l’outil dépend aussi du contexte social. C’est le cas du cinéma dans le livre. Il apparaît puis il disparaît parce que les gens n’en voient tout simplement pas l’utilité. Il n’a que le désintérêt du public comme raison à sa déchéance.

ActuSF : Si je fais un résumé dans les grandes lignes, ton livre est à la fois un récit d’aventure et une réflexion. Et en même temps on se sent assez proche du héros
Roland C.Wagner : Il y a trois niveaux de narration dans un livre : le narrateur, le héros et les autres personnages. Là on est à la première personne. Donc le décalage entre le personnage principal et l’auteur peut paraître moins grand. Et c’est ce décalage qui amène au fil du livre ce changement de point de vue du lecteur dont tu parlais. En fait, je présente une situation de départ et toute l'évolution de l'histoire constitue le discours sur les technosciences.

ActuSF : Juste sur les techniques d’écriture, ce « je » de narration, c’est quelque chose que tu aimes bien en général…
Roland C.Wagner : Oui. Et c’est la faute à Roger Zelazny, Robert Henlein et Michel Demuth. J'ai pris une claque en lisant L’Île des morts de Zelazny, un roman à la première personne. J'avais 12-13 ans ! Et Michel Demuth qui l'a traduit a eu l'idée géniale de tout mettre au passé composé. C’est pour ça que j’utilise beaucoup le « je » dans mes romans et ce temps pour la narration. Il induit à mon sens une autre distance que le passé simple. J’aime bien ! On est plus proche du lecteur. Mais il faut faire attention à ce que le personnage ne devienne pas ton porte-parole. Je fais parfois dire à Tem des choses que je ne pense pas du tout... Et puis la difficulté à la première personne c’est que le personnage principal a tendance à bouffer les autres personnages. Et sa vision influence celle du lecteur. Ecrire à la première personne lorsqu’il s’agit de découvrir quelque chose de nouveau, je trouve que ça possède un côté plus agréable.

ActuSF : Plus convivial ?
Roland C.Wagner : Oui c’est « Salut les gars. Je suis parti de là, je suis arrivé là et je vais vous raconter comment ». C’est beaucoup plus facile à faire passer à la première personne qu’à la troisième. Et puis je suis très à l’aise avec cette forme de narration.

ActuSF : Et tu es aussi à l’aise avec les personnages d’espion…
Roland C.Wagner : Là j’ai choisi un espion pour des raisons pratiques par rapport à la situation de départ. C’est simple, le personnage d’espion comme le détective privé, tu n’as pas besoin de justifier son comportement. Il y a tout un tas de choses qui sont implicites.

ActuSF : De base, il a une mission, ou une enquête…
Roland C.Wagner : Et de base, il se retrouve dans la merde (rires). Après, c’est au choix de l’auteur.

ActuSF : Pour toi un roman comme Le Temps du voyage est plus reposant à écrire parce que plus simple au niveau de la narration ?
Roland C.Wagner : Oh non ! C’est simplement que la prise de tête n’est pas au même endroit. Là j'ai vraiment chercher la fluidité pour que le lecteur tourne les pages facilement et avec plaisir. Qu’on atteigne la ligne claire : le bien écrit qui ne se voit pas. C’est un roman, pas un essai !

ActuSF : C'est valable sauf pour les romans de Greg Egan (rire)
Roland C.Wagner : Oui mais ce sont des essais (rire). De toute façon, j’ai toujours trouvé que ses livres sont faits pour les auteurs de S-F et certains lecteurs fan de hard science. Mais bon, j’avoue que quand il allège un peu, ça ne fait pas de mal !

ActuSF : Comment t’es venue l’idée du peuple des charlatans ?
Roland C.Wagner : En fait j’avais décidé d’appeler la première planète Sanfran. Mais sans penser au début à San Francisco. Et puis, quand j’ai percuté, je me suis souvenu que le premier groupe psychédélique de San Francisco s’appelait les Charlatans. Donc je me suis dis que je pouvais leur piquer le nom pour un des éléments moteurs du livre. Ce qui en plus leur donnait une image précise dès le début.

ActuSF : C’est vrai que ça fait VRP aux dents longues au début. En même temps ce qui est bien c’est que tu tritures leur image et que ce n’est pas si simple en fait...
Roland C.Wagner : Si le lecteur comprend tout dès le début, ce n’est pas drôle (rire). Tout le bouquin réside dans le changement de point de vue du narrateur, que ce soit sur ces Charlatans, sur les technosciences, sur les rapports entre les personnages…

ActuSF : Et tu penses faire une suite ?
Roland C.Wagner : Je le crains (rire). Il reste encore un vaisseau spatial à sauver. On a beaucoup parlé de la planète de Barnard, ce serait bien qu’on aille y faire un tour... Quant aux Charlatans, on sait qui ils sont mais on aimerait en savoir un peu plus. Et puis il reste encore pas mal de plages et de prairies à parcourir au galop…

ActuSF : Les lecteurs ont bien reçu le fait d’avoir un autre roman au lieu d’un nouveau tome des Futurs Mystères de Paris?
Roland C.Wagner : Je crois en fait qu’ils s’en moquent. Ce qui est sûr c’est que quand j’ai commencé Les Futurs Mystères de Paris, j’étais dans une logique de série en enchaînant les volumes. Maintenant chez L’Atalante, j’ai plus de temps puisqu’ils ne peuvent pas éditer beaucoup de volumes d’un même auteur français. Donc, si j’ai une histoire sur le feu depuis quelques années et que je le juge mûr, je peux mettre la série de côté. Et puis avec Les Futurs Mystères de Paris, je sais où je vais mais c’est un peu compliqué. J'ai besoin de temps. Par exemple, pour le neuvième tome, j’ai tout ce que je veux sauf un truc, une structure d’intrigue ! Et quand je l’aurai trouvée, le bouquin sera super facile à écrire. Et comme j’ai décidé que ce serait la fin de la première série, on va boucler un certain nombre de choses. Tout ça met du temps à se mettre en place.

ActuSF : La fin de la première série. Dis nous en un peu plus sur ce neuvième tome...
Roland C.Wagner : En fait je veux terminer la première saison en quelque sorte. Je dois avoir encore une ou deux nouvelles et une novella à faire pour que ce soit complet. Après je ne serais pas obligé d’y rajouter quoique ce soit. Les Mystères pourraient alors s’arrêter après ce neuvième volume. C’est mon objectif. Toutes les interrogations auront une réponse sauf bien sûr sur ce qu’il s’est vraiment passé pendant la période de Terreur. On va retrouver l’affreux Odon, savoir pourquoi Vieille Branche a été assassiné au couteau dans le premier volume… Pas mal de questions qui traînent en arrière-plan. Mais ce neuvième tome ce ne sera peut-être pas mon prochain roman mais le suivant…

ActuSF : Et est-ce que toi-même tu as une idée de ce qu’est la Terreur?
Roland C.Wagner : La nature profonde, oui. Les phénomènes, oui. Le détail des multiples forces en présence, non. Il y a des choses que j’aurais pu développer. Mais je ne l’ai pas fait parce que ça ne me servait pas. C’est mon personnage Tem qui a cette obsession de la Terreur. Il est en quête d’une réponse métaphysique à un problème métaphysique. Et à terme il n’aura que des réponses concrètes. Et non des supra-explications...

ActuSF : Et ensuite, tu songes à une deuxième saison ?
Roland C.Wagner : Ce que deviendront Les Mystères après le neuvième volume, c’est une question d’envie. Les possibilités sont là. Est-ce que je continue juste après la première saison ou est-ce que je décide de leur faire faire un bond de cinq ans, de dix ans… Pour l’instant ce ne sont que des options. Actuellement mes deux sujets de réflexions ce sont la suite du Temps du voyage qui s’appelle pour le moment Le Temps du retour et le neuvième tome des Futurs Mystères de Paris.
Et puis entre les vieilles idées que j’ai laissées sur le feu et les nouvelles, je ne peux pas tout mettre dans ce neuvième tome. Et à un moment, ça agace des idées dont tu ne peux pas te servir. (rire)

ActuSF : Et alors, ces projets, quels sont-ils ?
Roland C.Wagner : D’abord une novella pour la collection de Jérôme Leroy aux éditions Le Rocher. Il m’a demandé un livre bien politique. Il ne va pas être déçu. Ce sera drôle et méchant, ambiance la der des der. Après je suis en train de finir un scénario pour les éditions Les Humanoïdes Associés. Ils viennent de racheter les droits de Gilles Thomas et m’ont demandé de travailler à l’adaptation pour construire une série à partir du personnage des Voix d’Almagiel tout en reliant plusieurs romans qui ne l’étaient pas forcément à la base.

ActuSF : Tu connais déjà le dessinateur ?
Roland C.Wagner : Pas du tout. Ils sont en train de faire des essais. Le scénario sera terminé je pense dans quelques semaines.

ActuSF : As-tu d’autres envies ?
Roland C.Wagner : Je me dis que mon idée d'uchronie sur la guerre d’Algérie, il faudra bien que je me l'écrive à un moment ou un autre. Si on part du principe que la S-F c’est parler du présent, il y a là sans doute moyen de faire quelque chose...

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