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Interview Stéphane Tamaillon
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Interview Stéphane Tamaillon

  
ActuSF : Bonjour Stéphane, pourrais-tu te présenter, revenir pour nous sur ton parcours et ton métier d'écrivain ?
 
Stéphane Tamaillon : Bonjour. Eh bien, j’ai eu un parcours un peu chaotique. Enfant, je m’imaginais dessinateur. Les romans de SF et de fantastique alimentaient mon imagination et je mettais en scène mes propres histoires dans des récits courts ou des planches de BD. J’ai ensuite abordé la littérature dite classique, fantastique ou non : Jules Verne, Arthur Conan Doyle, Alexandre Dumas, H.G Wells, Bram Stoker… Le cinéma a également joué un rôle essentiel : celui des années 1950, en particulier les films d’aventure, de SF et d’épouvante, que j’ai découvert par la lucarne du petit écran, mais aussi les métrages de Spielberg et de la firme Amblin, et toutes les productions horrifiques des années 80, qui sont celles de mon adolescence. Au collège, j’étais assez rêveur et peu scolaire. J’écrivais et dessinais beaucoup, y compris dans les marges de mes cahiers, ce qui m’attirait les foudres de mes professeurs. Après un passage par l’école des Beaux-arts et plusieurs petits boulots, j’ai finalement suivi des études d’histoire qui m’ont amené à devenir enseignant. Mais le virus de « l’Imaginaire » ne m’a jamais quitté. J’avais, et j’ai toujours, une passion sans bornes pour la bande dessinée, européenne, mais surtout américaine. Je collectionne assidument les Comics. Et bien entendu, si je ne dessine aujourd’hui qu’occasionnellement, j’ai continué à écrire, sans autre but que de me faire plaisir. En 2008, j’ai eu la chance que Christine Féret-Fleury, alors directrice de collection pour la maison d’édition Les 400 Coups, accepte L’Ogre de la Couronne, un thriller historique. Le Seuil m’a également proposé de le publier. Je leur ai alors suggéré un autre projet, Dans les griffes du Klan, qui se déroule dans le sud des États-Unis durant les années 1950. C’était parti. Kroko, un hommage aux Dents de la Mer sur fond écologique, a suivi, puis Gründ, via Christophe Lambert, m’a contacté pour faire quelque chose pour eux. Ça a donné Krine. J’ai eu beaucoup de chance.
 
 
 
ActuSF : Quand et comment a germé l'univers de Krine ? Quelle a été ta technique de travail pour les deux tomes de cette -première- trilogie ? Comment s'est passée la relation Éditeur- Écrivain ? Le travail de relecture et de réécriture ?
 
Stéphane Tamaillon : Comme je le disais, j’ai un jour reçu un mail de Christophe pour me parler de la nouvelle collection destinée aux ados/jeunes adultes que lançait Xavier Décousus, fraîchement arrivé chez Gründ après plusieurs années passées chez Rageot. Ce devait être en novembre 2009. L’Ogre et Dans les griffes du Klan étaient sortis juste avant l’été précédent. Sur les conseils de Christophe, Xavier les avaient lus et appréciés. J’avais en tête cette idée d’un détective privé « à la Sherlock Holmes », mais dont la réputation n’était pas à son avantage. Au départ, je l’imaginais français. Pour écrire L’Ogre, je m’étais beaucoup documenté sur le Paris du XIXe siècle et j’envisageais de me replonger dans un univers assez proche. Et puis, l’envie m’est venue de mêler au récit initial des références à la littérature fantastique. Références qui étaient essentiellement anglaises : Shelley, Stoker, Wells… Du coup, j’ai transposé les aventures de Krine dans la ville de Londres. L’époque victorienne prêtant son atmosphère, idéalement gothique, à l’histoire que je souhaitais raconter. Après, ce mélange historique-fantastique-policier-steampunk-fantasy, s’est créé presque de lui-même. Plus ou moins consciemment, j’ai mis dans Krine tout ce que j’aimais. J’ai d’abord rédigé un très long synopsis du premier tome, qui au final ressemblait davantage à un séquencier ou à un traitement très découpé, avec des morceaux de dialogue. Xavier m’avait également demandé de lui fournir un résumé des deux tomes suivants, qui forment un premier cycle avec Les Pilleurs de cercueils, cela afin d’avoir une vue globale. J’ai tendance à structurer énormément mes récits. J’aime bien savoir où je vais, même si je m’autorise à prendre des chemins de traverse en cours de route. Certains personnages secondaires arrivent souvent à l’improviste, comme Pinolo par exemple. Parfois, votre esprit vous réserve des surprises inattendues. Le texte achevé, je l’envoie à Christophe qui joue un rôle de conseiller littéraire pour Gründ. Il pointe des détails sur la structure ou la caractérisation des personnages, fait des suggestions. Chris possède un point de vue très sûr et décèle les petites failles qui méritent d’être passées au plâtre. Sur le premier tome, j’avais été très généreux sur les scènes d’action, au point de faire un pré-climax (sur les quais, avec les loups-garous) qui amoindrissait l’impact du véritable climax. Du coup, Chris m’avait conseillé de faire subir une cure d’amaigrissement au chapitre incriminé. Sur Harker, il a principalement fait la chasse aux adverbes, dont je suis friand, comme l’était ce bon vieux H.G Wells, qui en mettait un peu partout. J’ai parfois tendance à en abuser. Le plat doit être copieux, mais pas indigeste. Cependant, je garde une totale liberté. Comme le dit Xavier, j’ai le final cut. Ensuite, je retravaille le texte avec mon éditeur. Souvent, pour simplifier certaines phrases. Imprégné par l’écriture du XIXe siècle, à laquelle Krine se réfère, j’oublie parfois que la série s’adresse en premier lieu aux ados et que le style doit rester accessible. Ce qui est appréciable, c’est que je n’ai connu aucune censure. Certaines scènes de Krine ont un aspect horrifique assez prononcé et pourtant Xavier m’a totalement fait confiance sur ce point. Du moment qu’elles servaient l’histoire, elles étaient justifiées.
 
 
 
ActuSF : Peux-tu revenir en détail sur l'univers particulier de Krine : Entre hommage aux films de la Hammer (jusque dans les seconds rôles), clins d'œil à des figures de la littérature populaire et fantastique et roman d'aventures, jusqu'à quel point t'es-tu fait plaisir ? Comment as-tu fait justement pour réussir ce mélange détonnant entre aventures et un regard didactique sur la société victorienne et toujours trouver le juste milieu au niveau de la rédaction ?
 
Stéphane Tamaillon : Question bien difficile ! En fait, comme je l’expliquais, Krine est un condensé de tout ce que j’aime. Le premier tome est une sorte de palimpseste de Frankenstein, alors que le second s’amuse à faire des clins d’œil à Dracula ou à l’Homme invisible, tout en traitant d’une histoire finalement très différente. Mon Jonathan Harker n’a que le nom du héros de Stoker. Disons que je souhaitais raconter une aventure originale, en rendant en même temps hommage aux livres et aux films que j’aime. Donc, je me suis avant tout fait plaisir ! Je suis mon premier public et j’essaie de ne pas me poser de questions sur ce que penseront les lecteurs. Le mélange qui fait de Krine ce qu’il est vient, je pense, du fait que je voue une véritable passion pour les films d’épouvante ou d’aventure auxquels mes romans font implicitement, ou parfois explicitement, référence. Le fait de poser un décor historique assez rigoureux, me donne ensuite une plus grande liberté pour distordre la réalité. Je me documente beaucoup, de façon à ce que le lecteur y croit À partir du moment où il reconnaît une certaine véracité à l’univers qui lui est présenté en sous-couche, il est plus facile de lui faire accepter les éléments étrangers que je greffe par-dessus : les Grouillants, les aspects steampunk, etc. La difficulté est toujours de trouver le juste équilibre entre la documentation et l’histoire. Ça doit rester ludique, ce n’est pas un cours ou une leçon de morale, même si le récit est porteur d’un message sur la tolérance et sur l’acceptation de soi.
 
 
 
ActuSF : Comment s'est passé l’après Krine 1 ? Avais-tu déjà commencé à travailler sur la suite ?  Quels ont été les retours sur ce premier tome ? Pour ma part celui-ci était une vraie réussite littéraire, a t-il été également une réussite commerciale ?
 
Stéphane Tamaillon : En fait, la trame générale était prévue dès le départ, avant de commencer Krine 1. Donc, oui, j’ai enchainé assez rapidement avec l’écriture du 2, même si j’ai entretemps rédigé un one-shot pour un autre éditeur. Les retours sur le premier tome ont été très positifs, ce qui m’a à la fois enthousiasmé et un peu angoissé. Même si je savais ce que j’avais à raconter, je ne pouvais pas m’empêcher d’angoisser à l’idée de livrer une histoire plus faible dans le second tome. Heureusement, les retours sont, là encore, très bons. Krine 2 est jugé plus sombre, mais c’est normal. J’aime bien les seconds actes où la lumière s’étiole pour revenir plus éclatante que jamais dans la troisième partie. Mort et renaissance. Toutes proportions gardées, regarde L’Empire contre-attaque ou Indy et le temple maudit. Plus noirs, plus cruels, des enjeux plus importants aussi. Donc, pour résumer, beau succès critique. Le succès commercial est pour l’instant un succès d’estime. Quand Krine 1 a été publié, la collection était toute jeune et personne ne savait que Gründ s’était lancé dans ce genre de littérature. ActuSF a d’ailleurs découvert le livre en février, alors qu’il était sorti en octobre. Pour le deuxième, c’est un peu différent. Les sites spécialisés SFFF connaissent maintenant la série et ont tout de suite parlé du livre. La couverture médiatique s’élargit doucement. Je croise les doigts. Wait and see.
 
 
 
ActuSF : Peux-tu revenir pour nous sur la création des personnages de tes romans ? Lesquels t'ont le plus marqué, amusé ?
Stéphane Tamaillon : Pour le premier, indiscutablement les frères Herzog. Ce sont des caractères très amusants à exploiter. Des croque-morts nécrophages, un concept sacrément séduisant. Pour le second, Kemp, car son personnage est une sorte prolongation de celui de Wells. Enfin, Pinolo, bien sûr. J’avais cette image, assez classique dans les films d’épouvante, du ventriloque avec sa marionnette en bois. L’idée de l’associer à Pinocchio est venue presque malgré moi. Je ne l’explique pas, ce sont des références inconscientes qui se télescopent. J’essaie que chaque personnage, même de second plan, ait un rôle à jouer et ne soit pas là que pour le décorum. Ils doivent avoir leur place dans l’histoire et servir à la faire avancer. Je pioche dans les différents folklores, traditions, religions, en fonction de la fonction qu’ils auront à occuper. En réfléchissant à ce que cela peut apporter au récit. Les Grées de L’affaire Jonathan Harker en sont un bon exemple.
 
 
 
ActuSF : Comment définirais-tu ton ouvrage vu que tu t'amuses à mélanger un peu tous les genres ?
 
Stéphane Tamaillon : Du steamfantastistoricopunk ? Honnêtement, je ne sais pas. Mon éditeur a choisi de mettre « Le deuxième volet, plus steampunk que jamais, des enquêtes d’Hector Krine » en exergue sur la quatrième de couverture, mais Krine c’est avant tout un joyeux mélange qui se défie des codes et des genres. En même temps, Machines Infernales ou Les voies d’Anubis, qui ont lancé la mode steampunk dans les années 80, ce n’était pas que ça, non plus.
 
 
 
ActuSF : Pour conclure, un tome 3 pour l'année prochaine ? Une idée du thème ? Quels sont tes autres projets ?
Stéphane Tamaillon : Oui, Le maître des hybrides devrait sortir en septembre 2012. Comme à mon habitude, j’ai rédigé un long synopsis spécifiant toutes les articulations et tous les rebondissements de l’histoire. Et, une fois encore, on y retrouvera ce qui fait la recette de Krine. De nouvelles personnalités de la littérature et de l’histoire y feront des apparitions. Le personnage de Bastet, déjà présent dans le second volet, occupera une place plus importante dans le chapitre final du « cycle de Matthew ». En ce qui concerne mes autres projets, j’ai terminé un roman de high fantasy qui sortira en mai prochain chez Oskar. Il a pour titre Il était une fois dans l’Hüld. Krine 3 achevé, je vais ensuite écrire une nouvelle trilogie destinée aux ados et pré-ados pour la collection Gründ poche. Des aventures qui, sans rester dans le même univers que Krine, se dérouleront toutefois au XIXe siècle. Le récit sera dans une veine très « Jules Vernesque ». Enfin, j’ai aussi en prévision un projet autour de la piraterie, ainsi qu’un thriller fantastique à quatre-mains.
 
 
ActuSF : Merci à toi pour ces deux beaux romans mixant enquêtes surnaturelles, touche steampunk et un plaisir de lecture communicable aux lecteurs de 7 à 777 ans !
 
Stéphane Tamaillon : Merci beaucoup à ActuSF, ainsi qu’aux lecteurs qui, comme vous, ont apprécié les aventures d’Hector Krine.
 
Bertrand Campeis 

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