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Invasion aux Forges !
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Invasion aux Forges !

Son dernier roman, Invasion, est paru en 2016 aux Etats-Unis est en passe d'être publié aux Forges de Vulcains.
A cette occasion, nous vous proposons de découvrir l'univers de Luke Rhinehart en compagnie de l'éditeur David Meuleumans.

Actusf : Luke Rhinehart est un auteur assez peu traduit en français. Qu’est ce qui vous a poussé à le publier ?
David Meuleumans : Comme beaucoup de lecteurs et lectrices français, je connaissais son premier roman L’Homme-dé, publié au Seuil en 1973 et repris aux éditions de l’Olivier en 1995. J’ignorais qu’il avait écrit d’autres textes. Mais on m’a transmis Invasion, que j’ai adoré, et je me suis donc mis à lire toute son œuvre. J’ai eu très vite l’impression d’être l’explorateur qui découvre une civilisation inconnue, pourtant cachée sous nos pieds. C’est une œuvre qui comporte une dizaine de romans, tous dans des genres différents, mais tous empreints de la même voix, du même ton, à la fois satirique, un peu noir, et débordant de vitalité. Je suis, de manière générale, très avide de satire, notamment la satire américaine. Pas la satire de l’Amérique, des Etats-Unis, mais la satire faite par des Américains, telle qu’on l’a vue pratiquée par des comédiens comme George Carlin, ou des animateurs comme Stephen Colbert. Parallèlement, il y a aux Forges une partie du catalogue qui est consacrée aux voix originales de l’Amérique, qui sont l’Amérique et qui, pourtant, s’éloignent de ce que nous, Français, pensons de l’Amérique – ce sont des romans, des essais souvent très à gauche, radicaux. A mes yeux, Rhinehart est un des derniers représentants d’une littérature américaine généreuse, éprise de liberté sociale, mêlant satire et délire. Il est le descendant d’Emerson, de Twain, de Salinger.


 
Actusf : Le 31 août prochain, nous pourrons donc découvrir Invasion, son dernier roman. De quoi celui-ci parle-t-il ?
David Meuleumans : Des extra-terrestres débarquent d’une réalité alternative et chamboulent le quotidien d’une famille d’Américains moyens... et, à terme, chamboulent l’Amérique. C’est une sorte d’inversion de L’Homme-dé. Là où le roman L’Homme-dé était le récit d’un homme qui conquiert sa liberté face à une société corsetée, Invasion est le récit d’un homme et de sa famille qui trouvent leur liberté et leur bonheur en s’échappant d’une société devenue folle. J’apprécie particulièrement ce roman car il est riche de cinquante d’observations du dévoiement de la promesse américaine.

"En un sens, ses romans (il en sort un nouveau tous les cinq ans environ depuis 1971) sont autant d’analyses de l’évolution de l’Amérique. Et de la nécessité de contrer l’évolution actuelle de l’Amérique."

Actusf : Entre humour et satire, Invasion est un roman issu du climat social et politique de ces dernières années aux Etats-Unis. Billy et sa famille, héros de cette histoire, finissent par se rebeller contre leur pays, cette Amérique moderne. Ce rejet et cette façon de dénoncer cette société, sont-ils des sujets récurrents chez Luke Rhinehart ? Ou est-ce par le biais d’un récit fictionnel qu’il se permet d’aborder ce genre de problématique ?
David Meuleumans : Oui, c’est un des thèmes majeurs de l’œuvre de Rhinehart. En un sens, ses romans (il en sort un nouveau tous les cinq ans environ depuis 1971) sont autant d’analyses de l’évolution de l’Amérique. Et de la nécessité de contrer l’évolution actuelle de l’Amérique. Il faut voir deux choses. Tout d’abord, Rhinehart est devenu adulte sous Eisenhower, dans l’Amérique conservatrice des années 50 et, dès qu’il l’a pu, il est allé vivre en dehors des Etats-Unis et a été, pour ainsi dire, un hippie. Ensuite, une de ses grandes lectures formatrices, c’est Molière. D’ailleurs, quand il s’est lancé dans l’écriture, il voulait être auteur de théâtre. Il ne s’est tourné vers le roman que parce qu’il n’était pas satisfait de la pièce qu’il était en train d’écrire. Il a gardé dans tous ces romans une double trace de cette lecture fondatrice : le goût de la satire, et l’habitude de beaucoup dialoguer ses romans. Mais cette satire n’a pris un tour très politique qu’après l’arrivée au pouvoir de George Bush. Comme nous sommes désormais dans l’ère Trump, on tend à oublier le traumatisme qu’a été, pour beaucoup d’Américains, la victoire (à la régulière ou pas) de Bush fils. Enfin, Rhinehart s’est rendu compte il y a très longtemps que faire un énième essai sur l’Amérique serait sans intérêt – il fait passer plus de choses en écrivant des romans.
 
Actusf : La famille Morton est très importante, mais les petits extraterrestres aussi ! Plutôt rigolotes et sympathiques (leur description me fait penser aux boules de suie des animés de Miyazaki), que sont réellement ces petites boules de poil par qui tout arrive ? L’auteur s’est-il inspiré d’autres œuvres ? Comment les a-t-il créées ?
Car plus c’est petit, plus cela provoque des « dégâts » à première vue…

David Meuleumans : La comparaison avec les créatures de Miyazaki est très juste ! Même si ce n’est pas une référence de Rhinehart. L’histoire est plus simple. Il a créé ces boules de poils il y a presque soixante ans, en inventant des histoires pour ses enfants. Cela lui est venu naturellement, comme les idées viennent aux enfants – d’une manière libre et spontanée. Pour ma part, ces boules me font penser aux Barbapapa, car elles changent de forme (même si les Barbapapa sont de grosses bêtes par rapport aux héros d’Invasion).


 
Actusf : Une suite est-elle prévue ?
David Meuleumans : Oui, et elle a déjà été écrite ! C’est une sorte de dictionnaire, ou manuel, ou mode d’emploi, rédigé par ces extraterrestres. Comme leur récit de voyage étonné sur Terre. Curieusement, Rhinehart, pourtant bon connaisseur de la littérature française classique (il cite Montaigne, Molière, Camus, Beauvoir) n’a jamais eu l’occasion de lire Les Lettres persanes. Mais Invasion et sa suite reposent sur le même dispositif narratif, qui permet de montrer les étrangetés et folies de notre monde.

"C’est une sorte de sage, mais un sage comme le moine Ikkyu, qui est un des propagateurs du zen au Japon : Ikkyu buvait, s’amusait, comme pour manifester le complet détachement prôné par le bouddhisme."

Actusf : Connaissez-vous ses projets en cours et futurs ?
David Meuleumans : Pas précisément. Mais il me semble qu’il a l’intention de continuer à écrire le plus longtemps possible, donc, je suis très impatient de voir la suite. C’est une sorte de sage, mais un sage comme le moine Ikkyu, qui est un des propagateurs du zen au Japon : Ikkyu buvait, s’amusait, comme pour manifester le complet détachement prôné par le bouddhisme. Ce rapprochement avec le bouddhisme n’est pas farfelu : c’est un des autres thèmes de l’œuvre de Rhinehart, qui a même écrit dans les années 70 un roman médiéval japonais, qui est une exploration de cette sagesse.
 
Actusf : Viendra-t-il prochainement en France ?
David Meuleumans : Il a très envie de revenir ! Il était en France en juin 2018, à la fois pour le festival FILAF de Perpignan et pour préparer la sortie d’Invasion. Il a été émerveillé par l’accueil des lectrices et lecteurs français. J’espère donc qu’il reviendra vite !
 

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