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ITW Alan Moore
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ITW Alan Moore

Alan Moore : Salut !

Pádraig Ó Méalóid :Salut Alan !

Alan Moore : Salut, Pádraig. Comment ça va, mon vieux ?

Pádraig Ó Méalóid : Comment va ?

Alan Moore : Pas trop mal, mec, pas mal du tout.

Pádraig Ó Méalóid : Ok, bien. Tu as rendez-vous avec moi ce soir.

Alan Moore : C'est ce que je vois. Je me suis fait une tasse de thé, et je suis tout à toi.

Pádraig Ó Méalóid : Super, moi-même j'ai une tasse de café, alors on est partis. OK, j'ai plusieurs trucs, là. Joe m'a dit qu'on a une heure, alors je vais essayer de caser un tas de trucs.

Alan Moore : OK.

Pádraig Ó Méalóid : Alors, je voulais d'abord te demander quelque chose, en fait, avant que je me lance dans ton propre travail. En faisant des recherches je suis tombé sur un truc : Superfolks. Tu vois, c'est un peu comme cette rumeur actuelle selon laquelle Jerry Siegel a lu Gladiator et a basé Superman là-dessus ; à un moment, Grant Morrison laissait entendre que tu avais lu Superfolks, et que tu avais basé toute ta production là-dessus.

Alan Moore : Eh bien, j'ai bien lu Superfolks. Je connais ce Grant Morrison, je crois, du temps où il essayait de se faire un nom en écrivant des trucs désagréables sur moi ; je sais qu'il a insinué ça. Mais c'était loin d'être la seule influence, ou même l'influence majeure de ma production. Est-ce qu'il y avait quelque chose en particulier ? C'était seulement une accusation générale ?

Pádraig Ó Méalóid : Oui – il y avait un article dans Speakeasy, dans les années 90 je crois... Quelque chose comme ça... Il me semble qu'il venait de le lire et que d'une certaine façon, il sélectionnait des passages qui apportaient de l'eau à son moulin, si on peut dire... Quand tu as lu Superfolks, quelle genre d'influence ça a eu sur toi ?

Alan Moore : Je ne me souviens même pas de quand je l'ai lu. C'était sans doute avant que je n'écrive Marvelman, et j'imagine que ça a eu le même genre d'influence qu'un truc que j'ai lu beaucoup plus tôt – sans doute un peu trop tôt pour que Grant Morrison l'ait repéré : le poème de Brian Patten, « Where are you now, Batman ? ». Il était dans le recueil Penguin Mersey Poet de 1960 [sic, The Mersey Sound]. Lui a eu une influence avec sa tonalité élégiaque, sa description d'anciens héros qui sont dans la gêne, qui songent aux jours meilleurs du passé. Je continue à dire que Superduperman de Harvey Kurtzman m'a sans doute influencé en premier, mais je me souviens de Superfolks, et j'y ai trouvé des bouts qui étaient un peu dans la même veine. Je me souviens aussi d'avoir lu The Kryptonite Kid de Joseph Torchia, à peu près à la même époque. Je n'arrive pas à me souvenir si … Je l'ai lu, c'est certain, mais comme je l'ai dit, je crois que Grant Morrison, de son propre aveu, a dit dans une interview qu'à ce moment de sa carrière, c'était sa façon de se rendre célèbre : attaquer un écrivain célèbre. Et c'est comme ça, d'ailleurs, qu'il a eu son boulot à Vertigo. Alors pour te dire la vérité, Padraig, je ne me souviens pas.

Pádraig Ó Méalóid : C'est pas grave. Ça fait seulement partie des trucs qui ont émergé, et je voulais te poser cette question parce que je n'ai pas réussi à trouver une référence à quelqu'un qui t'aurait vraiment demandé ça...

Alan Moore : Comme je l'ai dit, ça faisait sans doute partie d'un certain nombre d'influences qui pourraient avoir eu un impact sur la qualité élégiaque de Marvelman.

Pádraig Ó Méalóid : Je pense que c'était simplement… J'en parlais avec Chris Roberson, et il a fait mention du Steam Engine Time. Tu connais cette notion de Steam Engine Time ; quand c'est juste le bon moment pour que quelque chose apparaisse ? Je crois que c'était tout à fait ça. C'était dans l'air.

Alan Moore : Ouais. Je suis incapable de me souvenir d'allégations spécifiques, ou de quoi que ce soit de particulier qui aurait pu m'influencer, à part cette espèce d'impression élégiaque générale post-moderne.

Pádraig Ó Méalóid : Cool. OK, ce que je voulais te demander ensuite, c'est comment va Dodgem Logic, et comment ça avance ?

Alan Moore : Ce qui se passe en ce moment avec Dodgem Logic, c'est que le numéro huit, qui sera le prochain à sortir, sera le dernier à paraître pendant un moment, parce que Dodgem Logic a été fondé entièrement grâce à mon argent, et que nous ne sommes pas encore parvenus à être rentable. Il y a plusieurs raisons à cela, essentiellement parce que nous ne voulions pas de pub payante dans le magazine tout en souhaitant avoir des supports matériels de bonne qualité, pour inclure des œuvres comme celle de Melinda, ou les photographies de Mitch Jenkins et les montrer de la façon dont ils le méritent. Je ne le regrette pas du tout. Nous étions très, très près d'atteindre ce point où nous pourrions rentrer dans nos frais. De toute évidence, être très près ne signifie pas y être. D'un autre côté, si nos problèmes de distribution avaient pu se résoudre, ou si un ou deux autres trucs … nous aurions atteint ce point mort et le magazine aurait pu continuer. Au lieu de ça j'en suis venu à devoir plus ou moins faire une croix sur cet argent, mais j'y étais prêt, car il était important pour moi de faire Dodgem Logic comme je l'avais conçu. Je ne voulais pas faire de compromis.

Le numéro huit s'annonce superbe, il faut le dire. Nous avons une nouvelle de dix pages de Michael Moorcock, A Child's Christmas in the Blitz, que nous allons publier, et aussi beaucoup d'autres trucs très bien. Après, nous mettrons du contenu original sur le site internet, que nous sommes en train de remanier pour qu'il soit plus facile d'utilisation ; avant, il était très beau, mais pas forcément évident à utiliser. Il était un peu exigeant et compliqué, et sur certains ordinateurs le temps de chargement était très long ; nous essayons de régler tout ça. Nous discutons aussi avec des gens venant de magazines à succès, comme le New Humanist, qui examinent des moyens de rendre le magazine rentable, en utilisant des trucs comme les pré-abonnements, en changeant le format. Ils trouvent ainsi des sortes de compromis permettant, disons, qu'il y ait un certain nombre de pages en couleur haute qualité, pour que nous puissions toujours accueillir les visuels que nous voulons, mais que certaines pages qui ne tiraient pas vraiment de bénéfice des supports matériels de qualité supérieure, qui ne contenaient que des articles ou des récits, puissent être imprimées avec des matériaux légèrement plus abordables. Alors bien sûr, je ne sais pas si nous allons parvenir à faire tout ça, mais j'espère que nous en serons capables, car je suis très fier de Dodgem Logic.

Les huit premiers numéros n'ont pas fait de compromis. Ils ont été une vraie réussite par rapport au projet initial et les réactions que nous obtenions s'amélioraient de numéro en numéro. Et je pense  que la période dans laquelle nous entrons est parfaite : on a besoin d'un magazine comme Dodgem Logic, ou un autre équivalent underground, qui peut… Je veux dire, nous sommes dans ce que les Chinois appelleraient des Temps Intéressants, tu vois. Il y a des luttes de pouvoir, des explosions un peu partout dans le monde, et je n'ai aucune raison de croire que notre pays est à l'abri de cela... alors oui, je pense que ce serait sympa si nous pouvions trouver un moyen de maintenir Dodgem Logic à flot, car je crois qu'il remplissait un but utile. Et aussi, durant les dix-huit mois d'existence du premier numéro, nous avons pu faire plusieurs trucs sympas pour Spring Boroughs, ce qui inclut la distribution de colis à Noël dernier – nous étions extrêmement fiers du fait que Ann Timson faisait partie des gens recevant notre panier de nourriture Dodgem Logic.

Pádraig Ó Méalóid : Qui est Ann Timson ?

Alan Moore : Ann Timson, tu l'as sans doute vue sur une vidéo qui est passée sur toutes les chaînes de télé nationales, et je crois que la télévision américaine l'a interviewée à ce propos sur CNN. C'était un braquage de bijouterie à Northampton …

Pádraig Ó Méalóid : Oui ! Oui, bien sûr !

Alan Moore : C'était juste à l'angle sud-est des Boroughs, en haut de Gold Street, et Ann Timson est la femme qui est sortie de nulle part en courant comme un genre de vengeresse de comics, pour attaquer les braqueurs, qui étaient sur des scooters et avaient des masses. Elle les a roué de coups avec son sac à main, et ils ont essayé de fuir. Un d'entre eux est tombé de son scooter, et Ann Timson s'est jettée sur lui et a commencé à le frapper avec son sac à main. J'aime croire que, rien qu'en donnant à Ann un peu de nourriture durant la période de Noël, nous avons en quelque sorte contribué à son acte d'héroïsme. C'est le genre de personnes dont nous essayons de nous occuper, et je crois que la prouesse extraordinaire d'Ann est l'illustration parfaite des raisons pour lesquelles on devrait prendre soin de ces gens et les considérer. Et je ne parle pas seulement de Northampton, je parle des gens n'importe où, dans tout le pays. Chaque endroit où il y a un quartier comme les Boroughs – et il y en a un partout – où les gens ont été mis de côté, où ils sont vus comme de la racaille, des sous-prolétaires. Alors ce serait chouette si on pouvait remettre Dodgem Logic sur pieds et continuer à publier, sous quelque forme que ce soit. Nous vous tiendrons au courant, évidemment, et nous rendrons tout cela clair et transparent, aussi bien pour le dernier numéro que pour le site internet en cours.

Pádraig Ó Méalóid : J'allais te demander quelque chose d'autre à propos de Dodgem Logic : je sais que tu détestes toi-même notoirement les dates limites, mais tu as sans doute été obligé d'en imposer pour Dodgem Logic. Quel était ton sentiment là-dessus ?

Alan Moore : Eh bien, je me suis probablement occupé de plus de pages dans chaque numéro que n'importe quel autre contributeur, après avoir écrit « Great Hipsters » et la page éditoriale, ainsi que ma page dans la section « Notes from NoHo » - ainsi qu'un article de longueur quelconque.

Pádraig Ó Méalóid : Est-ce que tu écrivais les Martin Marprelate ?

Alan Moore : Non, ça c'était quelqu'un d'autre, un ami à moi de Northampton, qui devait garder un pseudonyme pour des raisons professionnelles. Un fabuleux écrivain, qui n'avait jamais essayé d'écrire de cette façon avant. Quoiqu'il en soit, ouais, j'écris la majeure partie du truc. Et en ce qui concerne le fait d'imposer des dates limites à d'autres personnes, eh bien, c'est pour ça que j'ai engagé Joe Brown et Queen Calluz, pour que je puisse conserver mon image de mec facile à vivre et libéral, et qu'on puisse quand même publier le magazine. Je veux dire si les gens dépassent une date limite de rendu, ce n'est pas comme si on les virait, tu vois ? On se débrouille autrement. Nous suggérons, s'ils vont dépasser la date limite, qu'ils nous le fassent seulement savoir. Tout le monde, à Dodgem Logic, recevait un salaire, à un taux que je pense être  raisonnable, et c'était le même pour tout le monde - qu'ils soient des professionnels reconnus ou quelqu'un des Boroughs qui écrivait une colonne pour nous. Non, je ne crois pas que nous étions trop despotiques. Tu peux demander à n'importe quel personne qui bossait pour Dodgem Logic – et je crois d'ailleurs que Calluz fait une interview avec The Quietus. C'est sa première interview, elle en est plutôt contente – je crois qu'elle te dirait sans doute que c'était comme de travailler pour Dodgem Logic. Comme toutes mes crises de colère, la brutalité, l'humiliation – et moi, assis au sommet d'un classeur à tiroirs comme Stan Lee, laissant tomber par terre les chèques des gens pour qu'ils soient obligés de ramper devant moi avant de pouvoir les ramasser. Nan, je ne crois pas … Je suis très content de la façon dont je me suis comporté en tant qu'éditeur de Dodgem Logic.

Pádraig Ó Méalóid : Alors maintenant, qu'est-ce que j'ai d'autre ? Je crois que la dernière fois que nous avons discuté, l'année dernière, ou celle d'avant, tu t'apprêtais à faire un one-man show comique, ou quelque chose comme ça, je me trompe ?

Alan Moore : Je crois que j'ai fait … eh bien, il y avait celle que j'ai fait pour l'organisation caritative Lovelight, pour la Roumanie ; c'est avec ça que j'ai fait mes débuts. Ça s'est bien passé, tu sais, personne ne m'a jeté de trucs, ce n'était pas un de ces scénarios truffé de trous comme dans The Blues Brothers. Oui, j'ai fait quelques spectacles, quelques chansons, et je me suis débrouillé tout seul pendant quoi, environ une demi-heure de spectacle improvisé. Et depuis ça – enfin, je ne pense pas que Michael McIntyre doive se faire beaucoup de souci à ce propos pour l'instant, mais j'ai fait au moins trois ou quatre spectacles avec Robin Ince, les Bedtime Stories for Godless Children, ou quelque soit le nom qu'il leur donnait cette année-là en particulier. Dans l'ensemble, ce sont des manifestations rationalistes, alors on y trouve un sain mélange de scientifiques, d'humoristes, et de gens comme moi qui n'entrent pas vraiment dans l'une ou l'autre de ces catégories. Je m'y connais un peu en science, donc je peux être relativement amusant.

Pádraig Ó Méalóid : Oui, je sais ça moi-même.

Alan Moore : Donc j'ai continué et j'ai fait deux ou trois soirées pour Robin, où je montais sur scène et je faisais mon petit discours pendant dix minutes. Je me suis aussi retrouvé à The Amazing Meeting, qui était essentiellement arrangé par James Randi, et c'était un congrès de sceptiques, ce que je n'ai pas réalisé avant d'arriver là-bas. Et alors je me suis dit ; « voilà un congrès de sceptiques, et j'ai dans l'idée que, étant un adorateur notoire du serpent, un certain nombre de ces gens sera sans doute sceptique à propos de moi ». Je crois que je m'en suis assez bien tiré, et je semblais en effet me trouver dans une position intéressante, où j'étais l'adorateur du serpent que les rationalistes…

Pádraig Ó Méalóid : Tu représentes le côté acceptable de la religion du serpent ?

Alan Moore : Je crois que oui ! En juin ou en juillet, je ferai le Cheltenham Science Festival, qu'on m'a demandé d'organiser, et je ferai une ou deux apparitions pour l'émission Infinite Monkey Cage de Robin et Brian Cox.

Pádraig Ó Méalóid : Je t'ai entendu, justement, dans cette émission, avec Josie Long je crois, non ?

Alan Moore : Il se peut que ce soit un podcast que j'ai fait avec Josie. Je discutais avec Robin un peu plus tôt, et il a dit qu'une ou deux personnes ont été offensée au nom de Karl Pilkington, parce que j'avais fait une remarque sur le fait que je me voyais comme le nouveau Karl Pilkington, car c'était la première fois que je faisais un podcast – je savais à peine ce que ces foutus machins étaient, avant ! J'en parlais à la légère, mais non, apparemment une ou deux personnes, des fans de Karl Pilkington, l'ont mal pris. Je devrais me contenter de la fermer, en fait ; je mets toujours les gens en colère.

Pádraig Ó Méalóid : [rires] Ah non ! Pour en revenir à ce spectacle originel, celui pour Lovelight, est-ce qu'ils avaient prévu de faire un DVD, pour que ce soit disponible ?

Alan Moore : Je n'en ai pas entendu parler depuis. Je ne sais pas s'ils ont assez de bonnes vidéos de cette soirée pour vraiment en faire une option réalisable. Mais je vais voir Robin vendredi – nous parlons de faire un spectacle de bienfaisance au profit de Dodgem Logic ; un certain nombre d'humoristes et de groupes de musiques liés à Dodgem Logic se retrouveraient dans un grand lieu de peut-être deux mille places, ou quelque chose comme ça, dans lequel je ferai mon spectacle. Robin [Ince], Stewart [Lee] et Josie [Long] feraient sans doute partie de l'aventure, et des gens comme Al Murray ont apparemment montré de l'intérêt pour le projet …

Pádraig Ó Méalóid :   Ok, je voulais te poser une question à propos de Jimmy's End. Qu'est-ce que Jimmy's End ?

Alan Moore : Jimmy's End. Vers la fin de la semaine, nous devrions avoir trouvé le financement pour ça. Je ne veux pas trop en dire, parce que je ne veux rien annoncer concernant qui ou ce que cela pourrait être, mais ce sont des gens que je trouve intéressants, et nous ne parlons à personne venant d'Hollywood.

Pádraig Ó Méalóid : Alors, c'est un film, une série télé, les deux, ou quoi ?

Alan Moore : Eh bien, pour le moment nous ne parlons que d'un court-métrage de dix minutes. Il existe des possibilités au-delà, mais nous ne voulons pas trop nous avancer. Le film de dix minutes, Jimmy's End, est la pierre angulaire de tout ce qui suit, donc nous voulons simplement le traiter comme quelque chose de complet et de fini en soi. Par la suite, quand les gens l'auront vu, il pourront dire s'ils seraient intéressés par l'éventualité d'un autre film, d'une série télé ou autre, que nous avons en réserve pour poursuivre. Mais je peux te dire que ça se présente très bien, ça me paraît très, très intéressant, et si d'ici la fin de la semaine nous avons trouvé le financement, alors nous devrions commencer à tourner assez rapidement, et cela nous prendra environ une semaine. Donc à mon avis il sortirait en fin d'année ; mais en ce moment je passe beaucoup de temps à réfléchir à des idées tournant autour de Jimmy's End, donc je crois que cela intéressera les gens quand nous l'aurons enfin assez développé pour pouvoir montrer au public certaines choses que nous avons préparées.

Pádraig Ó Méalóid : Est-ce que ça a quelque chose à voir avec Big Numbers, ou l'idée générale de Big Numbers ?

Alan Moore : Non, pas vraiment. Ça se passe à Northampton, mais bon, tout ce que je fais a tendance à se passer à Northampton. Je veux dire, si cela avait été faisable, la Ligue des Gentlemen Extraordinaires et Watchmen se seraient probablement déroulés à Northampton …

Pádraig Ó Méalóid : Le livre en aurait été très différent …

Alan Moore : En effet. En effet. Il n'y a pas vraiment de grand immeubles qui auraient permis d'avoir cette première page de Watchmen – la Express Test Lift Tower ? Je ne sais pas. Mais tu as raison, le livre en aurait été très différent. Mais en ce qui concerne Jimmy's End, c'est une toute petite vignette, et les gens devraient garder en tête qu'à la base, c'était seulement un projet de film pour la démo de Mitch [Jenkins], qui utiliserait les mêmes éléments que ceux de la séance photo burlesque de Dodgem Logic#2. C'est alors que j'ai dit : « Eh bien, si tu fais un film de dix minutes, est-ce que tu veux que j'en écrive le scénario, pour que tout ça se tienne ? » Et j'ai donc écrit un petit scénario autonome, destiné seulement à un film de dix minutes, qui serait complet en soi. Et oui, il se suffit bien à lui-même, et une fois que tu auras vu Jimmy's End, tu te demanderas peut-être comment il est possible de continuer ça d'une façon quelconque, mais nous avons quelques idées. Et non, ça n'a rien à voir avec Big Numbers, à part le fait que le lieu est le même. C'est difficile à décrire, mais j'imagine que l'on pourrait dire que Jimmy's End est peut-être un drame teinté de surnaturel ? On pourrait dire que c'est beaucoup de choses, en fait, donc peut-être que c'est vraiment trompeur, mais les gens pourront juger par eux-mêmes un peu plus tard dans l'année.

Pádraig Ó Méalóid : Certaines choses font régulièrement surface dans ton œuvre : Northampton en fait partie, de toute évidence. Beaucoup de trucs on lieu en novembre, qui est le mois de ta naissance, et tu sembles avoir une certaine affinité quand il s'agit de placer l'action dans ce mois-ci. Les jumeaux Kray apparaissent aussi assez souvent. Et il y a autre chose – un ami à moi veut écrire un exposé là-dessus pour le présenter à un festival de science-fiction ; tes comics en particulier, et c'est assez unique dans le monde du comics (depuis un moment, du moins), ont tous des personnages féminins très forts.

Alan Moore : Eh bien, je suis fier de ça. Les autres trucs – le fait que les jumeaux Kray apparaissent souvent par exemple, ce sont probablement des tics, tout simplement, qui collaient bien à l'époque.

Pádraig Ó Méalóid : Pourquoi toi seulement et pas les autres, à ton avis ?

Alan Moore : Eh bien, n'oublie pas que quand je suis entré dans le comics, c'était je crois la fin des années soixante-dix… Et que j'avais lu tout ce qui ressemblait de près ou de loin à de l'underground même depuis que le mouvement underground avait en gros mordu la poussière au début de la décennie. Donc je lisais Street Life, qui était un tabloïde underground ou un genre de journal culturel, dont s'occupaient je crois The Who, Eel Pie Books, quelque chose comme ça [L'écrivain Peter Hogan, qui travaille pour Eel Pie, dit que ce n'était pas eux qui le publiaient. PÓM] Je suivais aussi Spare Rib, que j'achetais chaque semaine pour ma première femme, Phyllis. Donc j'absorbais tout ce qui était féminisme – je pense qu'on pourrait probablement faire valoir un certain argument à propos de mon attitude envers les différentes races. Avec Tom Strong, en 2000, c'est le premier mariage interracial dans le comic américain ; je n'y avais même pas pensé. Mais oui, en ce qui concerne les femmes – tout d'abord, en mettant de côté les raisons politiques, si la moitié seulement de tes personnages sont développés, tu n'es pas un très bon écrivain, tu n'écris pas d'histoires très efficaces, et elles n'attireront que les garçons. J'ai été frappé par le fait que, à l'exception de Archie Comics, les filles ne lisent pas de comics américains, et on peut comprendre pourquoi – c'était toujours des hommes musclés en costume carburant à la testostérone, qui luttaient entre eux. Par ici, nous avions une gamme intéressante de comics pour filles – je ne suis pas convaincu qu'ils présentaient la meilleure image qui soit des femmes et de la féminité, mais de très bons écrivains travaillaient là-dessus, tu sais, comme ce John Wagner et Pat Mills. Ils avaient parfois un humour sardonique, mais ils sortaient de petites histoires bien écrites, spécialement faites pour les filles. C'était à l'époque où ces comics ont tous mordu la poussière – tout le commerce des comics anglais a coulé au milieu des années quatre-vingt, c'est ça ?

Pádraig Ó Méalóid : Oui, assez tôt, au début des années quatre-vingt, peut-être.

Alan Moore : C'est ce qui m'a décidé à écrire Halo Jones, car je pensais que ce serait intéressant, dans le contexte de 2000AD, qui était principalement composé de mecs avec des gros flingues. Ça ne m'est tout simplement jamais venu à l'esprit de ne pas concevoir un personnage féminin en faisant de mon mieux. Tous les personnages dont tu traites sont des défis. Je me souviens d'avoir lu un article de Martin Amis – c'était pendant les années quatre-vingt – où il parlait de son livre, d'un ton assez content de soi ; ça s'appelait The Information ? [sic, c'est Night Train.]

Pádraig Ó Méalóid : The Information est d'Amis, oui.

Alan Moore : Est-ce que c'est celui qui parle d'une femme, où son personnage est un flic féminin ?

Pádraig Ó Méalóid : Je ne sais pas, ne l'ayant pas lu …

Alan Moore : Il disait combien c'était difficile (et donc, sous-entendu, combien c'était audacieux) d'écrire en prenant le point de vue d'une femme. Ce qui, tu sais, est ridicule. Je veux dire, si tu écris du point de vue d'un monstre des marais, un demi-dieu des marais, alors n'est-ce pas pathétique si tu es incapable d'écrire du point de vue d'une femme humaine, que tu as sans doute passé beaucoup de temps dans ta vie à côtoyer ? Si ma description des femmes semblait être d'une quelconque façon crédible pour les femmes, ou réaliste, ou efficace, alors j'en suis extrêmement satisfait – car de toute évidence, dans une certaine mesure, si tu écris à propos d'un genre différent, tu fais des suppositions qui sont sans doute fondées sur tes propres perceptions, tes propres préjugés, donc tu ne sais jamais si tu vas être, je ne sais pas, condescendant par exemple, ou si tu vas le faire correctement. J'ai remarqué que de plus en plus ces jours-ci, si je fais une dédicace occasionnelle ou une apparition publique, le public est à moitié composé de femmes, les gens dans la file d'attente sont pour moitié des femmes, et je trouve ça génial, c'est un réel progrès depuis mon entrée dans le domaine.

Pádraig Ó Méalóid : Je dois dire, je relisais récemment les trois tomes de [La Ballade de] Halo Jones, et de toutes les choses que tu n'as jamais terminées, je déplore vraiment le fait de ne jamais savoir ce qui se passera dans les six autres tomes de Halo Jones. Est-ce que tu avais la moindre idée de la direction que ça prenait ?

Alan Moore : Eh bien, j'avais dans l'idée qu'elle traverserait de fabuleuses aventures ; l'aventure suivante aurait sans doute été celle où elle devient une femme pirate de l'espace avec Sally Quasar, quelqu'un que j'avais déjà mentionné avant. Et en gros, j'aurais raconté sa vie décennie par décennie, avec cette héroïne qui vieillissait dans chaque tome ; car à l'époque j'aimais bien l'idée d'avoir une bd dans 2000AD dont le personnage-titre serait une vieille femme de soixante-dix ou quatre-vingt ans. C'est aussi parce que, et c'est sans doute vrai dans mon œuvre … Je veux dire, j'ai écrit Marvelman quand j'avais quoi, la vingtaine ?

Pádraig Ó Méalóid : Je pense que tu approchais tout juste des trente ans. En 1983 tu a eu trente ans, donc c'était plus ou moins ça. La fin de la vingtaine. [Moore est né en novembre 1953, et la première partie de sa reprise de Marvelman a été publiée en mars 1982 par Warrior#1, ce qui signifie qu'à l'époque, il avait vingt-huit ans. PÓM ]

Alan Moore : Tu remarqueras que j'ai fait du personnage principal un homme de quoi, quarante-deux ans ? Ce qui était bien plus vieux que la normale – tous les superhéros de cette époque avaient la vingtaine, en quelque sorte.

Pádraig Ó Méalóid : Eh bien, leur âge était plus ou moins indéfinissable, mais oui, manifestement.

Alan Moore : Ils avaient éternellement la vingtaine, en quelque sorte. J'ai toujours voulu explorer des personnages de toutes races, de tous genres, de tous âges. Ça me semblait seulement être une façon naturelle d'aborder une narration, quelle qu'elle soit. Cela se serait donc terminé avec Halo Jones se trouvant sur une planète située juste à la frontière absolue de l'univers – au-delà, après un genre de rideau de lumière spectaculaire, il n'y a ni temps ni espace. Toutes les autres personnes se trouvant sur cette planète y vivent car, en fait, le temps n'y existe pas ; on peut potentiellement y rester pour toujours. Donc ce qui se serait passé, c'est que Halo Jones, après avoir passé un certain temps avec les autres immortels, serait allée d'un pas chancelant jusqu'à la piste d’atterrissage, serait montée dans son vaisseau et aurait volé dans le rideau de lumière psychédélique, pour sortir enfin. Et ça se serait terminé ainsi. Tu m'as donc épargné beaucoup d'écriture, et tu t'es toi-même épargné beaucoup de préoccupations inutiles.

Pádraig Ó Méalóid : Eh bien, merci beaucoup. Alan, j'apprécie sincèrement, car vraiment, en tant qu'œuvre finie, ça aurait été …  comme une œuvre maîtresse, ce genre de choses, et c'est vraiment dommage …

Alan Moore : Eh bien, tu sais, ma carrière dans les comics est parsemée de « C'est vraiment dommage ». Beaucoup de choses auraient pu voir le jour. Je suis content de celles qui ont marché, et qui sait, si j'avais vraiment essayé de faire, je ne sais pas, huit tomes de Halo Jones, j'aurais fini par m'enliser, peut-être, quelque chose comme ça. Peut-être que les choses sont au mieux telles quelles.

Pádraig Ó Méalóid : Oui, il y a quelque chose de poignant dans le fait qu'elle était un personnage poignant par elle-même, de toute façon ; donc en quelque sorte c'est un conte inachevé, et nous devons imaginer ce qui pourrait se passer ?

Alan Moore : Oui, cela laisse aux gens la possibilité de jouer avec cette idée.

Pádraig Ó Méalóid : OK, en fait j'ai terminé à présent ; j'ai encore cinq minutes, donc je vais te poser la question traditionnelle : comment avance Jérusalem ?

Alan Moore : Jérusalem est en bonne voie. Je l'ai repris, j'ai fait le chapitre 27 et 28. Le chapitre vingt-sept s'appelle « Burning Gold » - une autre référence à [William] Blake, de toute évidence – et il raconte l'histoire de la vie d'un des personnages de Jérusalem, mais il contient aussi une histoire de la monnaie et de l'économie. Cela remonte au fait historique que des pièces de monnaie en or ont été fabriquées à Northampton depuis 600, ce qui est la plus ancienne date de fabrication de monnaie dans tout le pays. Ici, nous avions un Hôtel de la Monnaie depuis environ 900 - un Hôtel officiel. Il existait depuis environ 650  mais il est devenu officiel vers 900. Et je parle aussi de tout ce qui a mené au grand effondrement de l'économie en 2008. Le point culminant de mon livre se situe en 2006, donc je n'ai légitimement pas pu parler de la crise du crédit et du krach boursier, mais j'ai pu parler de tout ce qui avait conduit à cela. Entre autres, Jérusalem parle des Boroughs, le quartier dans lequel j'ai grandi ; ce qui veut dire qu'il doit parler de la pauvreté, et si on parle de pauvreté, si on veut comprendre la pauvreté, il faut comprendre la richesse, donc je voulais qu'il y ait un chapitre expliquant clairement le tableau économique tel que je le voyais. Le chapitre que je viens de terminer, qui s'appelle « The Rafters and the Beams », parle de l'expérience noire à Northampton, et celui que je suis en train de faire en ce moment, « The Steps of All Saints », le chapitre 29, est écrit dans le style d'une pièce de Samuel Beckett, donc je m'amuse bien à faire ça. C'est une pièce de Samuel Beckett, où ce dernier est en fait un personnage – et c'est relié au fait qu'il a été mentionné dans le Wisden's Alamanac pour ses parties de cricket contre Northampton. La nuit durant laquelle il a visité Northampton, le reste de ses partenaires de cricket sont sortis boire et voir les prostituées – Northampton était assez réputé dans ces deux domaines. Beckett est sortit pour faire un tour des églises, et il est allé visiter ces remarquables églises gothiques anciennes dont il avait entendu parler, mais qu'il n'avait jamais vues – car Northampton possède les plus anciennes églises du pays. All Saints, à Brickfoot, est je crois la plus vieille d'entre elles, mais il y a aussi l'église St Pierre et l'église du Saint Sépulcre qui prennent de l'âge, elles ont un millier d'années. Donc Beckett est partit faire un tour pour voir ces églises, ce qui fait partie du récit que je suis en train de concevoir dans ce chapitre qui m'occupe actuellement. Quand celui-ci sera terminé, j'en aurai encore sept autres à faire, puis je vais devoir dessiner la couverture. Mais ça se présente bien, ça se présente bien. Et comme Dodgem Logic va faire une pause, c'est ce qui me détournait de Jérusalem, alors il se pourrait que ce soit pour cette année – j'imagine que l'an prochain ce sera vraiment terminé, et qu'il pourrait même sortir. Donc oui, les choses semblent bien se passer en ce moment.

Pádraig Ó Méalóid : C'est vraiment super. Et The [Moon and Serpent] Bumper Book of Magic, qu'est ce que ça devient ?

Alan Moore : The Bumper Book of Magic avance toujours, doucement. Avec Steve [Moore], nous sommes déjà à quoi, un tiers ou la moitié du livre – et maintenant, je me suis remis à Jérusalem - donc nous nous en occupons quand nous nous retrouvons ensemble, c'est ainsi que nous fonctionnons. Mais nous sommes très contents de ce que nous avons obtenu jusqu'ici, et c'est génial de travailler avec Steve, car – entre nous – en ce qui concerne les articles théoriques ou historiques, Steve est bien plus rigoureux que moi. Alors que je serais du genre à dire : « Oh, bon, on peut dire ça. » Steve, lui, dira : « Ben non, on ne peut pas vraiment dire ça. On ne peut en rien affirmer ça catégoriquement. » Et donc tu vois, c'est rigoureux, et nous essayons de faire en sorte que les choses restent ainsi – nous voulons avoir une logique irréprochable, et une recherche irréprochable, car nous savons bien que c'est un sujet controversé et assez nébuleux, donc nous voulons que ceci soit bien ficelé et précis, pour que tout le monde puisse le voir et par la suite, si nos recherches ont été mal faites, les gens pourront nous le dire. C'est ça le plan.

Pádraig Ó Méalóid : OK. Je suis impatient de voir ça, moi aussi. Je crois que c'est plus ou moins … J'allais te poser une toute dernière question.

Alan Moore : Oui ?

Pádraig Ó Méalóid : Tu travailles beaucoup, pour des choses qui te motivent visiblement. Es-tu heureux ?

Alan Moore : Je suis très heureux, oui. Je serais un peu plus heureux si j'avais plus souvent le temps d'aller voir Leah, Amber et les petits-enfants, mais nous leur rendrons visite plus tard dans le mois, dans une ou deux semaines.

Pádraig Ó Méalóid : Ça te plaît d'être grand-père ?

Alan Moore : C'est chouette, c'est merveilleux. C'est super d'avoir de leurs nouvelles ; je suis sûr que ça fait un moment depuis que nous avons vu les enfants pour la dernière fois, mais Leah me disait que Eddie marche, parle et, tu sais, fume la pipe, a sa propre voiture …

Pádraig Ó Méalóid : Je les vois souvent toutes les deux en faire un compte-rendu sur Facebook, vu que nous sommes amis sur Facebook – je suis sûr que tu n'as aucune idée de ce que je viens de dire signifie, mais …

Alan Moore : Ça pourrait être du martien pour moi, mais le concept de base m'est familier. Ouais, tu sais, c'est génial. Ils grandissent tellement vite, mais nous sommes vraiment impatients de les voir bientôt. Ce serait bien si nous pouvions les voir un peu plus que ça, mais bon, ce serait bien aussi si j'avais un peu plus de temps d'inactivité – sauf que ce n'est pas vraiment dans ma nature, malheureusement. Je crois que je suis un peu comme un genre de requin, si j'arrête de nager, je serai incapable de respirer, quelque chose comme ça. Mais à part ce détail mineur, je suis au comble du bonheur. Et, je dois le dire, être éloigné de la cacophonie de l'industrie du comics contribue grandement à ce bonheur. C'est comme de frapper sa tête contre un mur de briques pendant vingt ou trente ans – du coup, quand tu arrêtes, c'est merveilleux. Mais non, vraiment, ça va bien pour moi, Pádraig.

Pádraig Ó Méalóid : C'est bien, c'est bien. OK Alan, une fois encore, merci mille fois.

Alan Moore : Eh bien, le plaisir était pour moi, vieux, et je suis content qu'on ait pu tout caser dans l'heure.

Pádraig Ó Méalóid : En effet !

Alan Moore : Il faut que j'y aille maintenant, et que je me trouve quelque chose à manger. Mes amitiés à Deirdre, ok ?

Pádraig Ó Méalóid : OK, et dis à Melinda que je lui passe le bonjour.

Alan Moore : Je lui dirai, vieux, et bonne continuation pour toi, et on discutera sûrement à nouveau dans un futur pas trop lointain.

Pádraig Ó Méalóid : Sûrement, ça risque bien d'arriver. OK Alan, merci mille fois, sois sage.

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