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ITW de Fabien Clavel
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ITW de Fabien Clavel

Actusf : En quoi Homo Vampiris est-il un roman de vampires différent des autres ?
Fabien Clavel : Tout de suite la question difficile ! Bon, j’ai essayé de me différencier en deux points de ce que j’avais lu sur les vampires. D’abord, je voulais un côté SF marqué pour donner un aspect plus moderne au mythe. Tout le folklore chrétien construit autour de la figure ne m’intéresse pas. Même en tant que personnification du mal, le vampire doit pouvoir se détacher des croix, des pieux et de l’ail qui ont un côté un peu suranné. Un peu comme Matheson dans Je suis une légende, j’ai essayé de trouver une explication pseudo-scientifique à leurs existences et leurs pouvoirs sans pour autant recourir au virus qu’on met à toutes les sauces en ce moment. Mais, et c’est ma deuxième différence, le vampire, même débarrassé de ses éléments folkloriques, redevient une figure mythologique, ne serait-ce qu’à cause de son immortalité. C’est refondation en quelque sorte. Au moment où l’on croit que le vampire va s’affirmer comme parfaitement réaliste, il replonge dans la légende. Cela fait partie de mes thèmes : on n’échappe pas à ce qu’on est, ou à ce que les autres veulent qu’on soit. Mes vampires se débattent avec leur propre image, plus qu’avec leur identité.
 
Actusf : Pourquoi écrire un roman de vampires ?
Fabien Clavel : Le vampire est une figure qui se présente comme un renversement de ce que nous sommes : il vit la nuit, il est mort et vivant à la fois, il n’apparaît pas dans les miroirs... C’est toujours intéressant pour parler de l’humain que d’utiliser ses images inversées. En plus, les vampires sont quasi immortels ; en tout cas, ils durent longtemps. Cela permet des retours en arrière et de décrire des époques très différentes. Pour raconter des histoires, c’est précieux. Enfin, pour toutes ces raisons, le vampire n’est pas assujeti aux mêmes lois que nous ; c’est une espèce d’être amoral. D’ailleurs, mon idée était de montrer des vampires anarchistes et athées. Leur existence est la négation même du divin. C’est la raison pour laquelle les monothéismes, dans Homo Vampiris, veulent s’en débarrasser absolument. C’est aussi pour cela qu’ils ne devaient pas être sensibles à tout ce qui est élément religieux. Paradoxalement, ils sont destinés à devenir des espèces de dieux, étant donné leurs pouvoirs. L’homo vampiris incarnerait le surhomme, avec tout le danger que cela comporte.

Actusf : Quelles ont été tes sources d'inspiration (outre le personnage mythique du vampire) pour ce roman ?
Fabien Clavel : Étrangement, alors que je pars souvent sur des univers que j’ai aimés, cette fois, je ne peux pas dire qu’il y ait un ou des livres qui m’aient directement inspiré pour ce roman. Bien sûr, j’ai lu Je suis une légende, mais j’avais déjà mon synopsis ; j’ai d’ailleurs eu un peu peur en voyant qu’il avait déjà utilisé l’approche SF, mais c’était dans une optique différente. J’ai lu également Âmes perdues de Poppy Z. Brite et j’ai trouvé ça sans intérêt. Ma relecture d’Entretien avec un vampire ne m’a pas emballé non plus. En fait, mes idées venaient surtout du projet que j’avais conçu pour la tétralogie Nephilim. Il me fallait un groupe d’immortels traversant les âges et essayant de lutter contre on ne sait quoi. Nina joue le même rôle que Lol. D’une certaine manière, c’est une réécriture de mon cycle Nephilim. C’est surtout la série Heroes qui m’a redonné le goût d’une fiction contemporaine ou légèrement  futuriste. Évidemment, il y a aussi des réminiscences littéraires, comme Les Justes de Camus où des anarchistes complotent contre le tsar. Mais je n’y avais pas pensé, c’est Charlotte Bousquet qui l’a pointé du doigt. Et puis Buffy contre les vampires, par son côté désabusé et féministe. Même si cela n’est pas évident, je voulais donner à Nina un aspect féministe. Elle se détache peu à peu des clichés. Une fois qu’elle a joué à faire « la maman et la putain », elle devient libre d’être autre chose. Une femme peut-être. C’est aussi la raison pour laquelle je pars sur le mythe de Lilith, la première femme d’Adam, rejetée parce que trop indépendante.

Actusf : Un des aspects les plus intéressants d'Homo Vampiris est la description d'un futur sombre. Est-ce pour toi pure spéculation ou est-ce exactement la façon dont tu vois l'avenir ?
Fabien Clavel : C’est ce qui m’a demandé le plus de documentation. Les éléments de cet avenir sont des projections de problèmes qui se posent actuellement. Tout ce qui est dit sur la déplétion pétrolière est repris des travaux de Hubbert. Je me suis renseigné aussi sur les énergies alternatives et, à ce jour, rien n’est capable de remplacer le pétrole. La décroissance semble une nécessité, d’où la fin des vols d’avion. Pour l’instant, c’est ainsi que je vois les choses venir, peut-être pas dans cinquante ans mais plus tard. Et encore, je n’ai pas noirci le tableau avec des guerres civiles et des réfugiés climatiques. L’usage qui est fait des vampires dans mon roman est une manière de dénoncer la fuite en avant. J’ai lu des propositions de scientifiques qui avaient pour projet d’envoyer des tonnes de soufre (ou un autre produit dangereux) dans l’atmosphère afin de réduire le rayonnement solaire et donc faire baisser la température de la Terre. Évidemment, le soufre risque de retomber et de se transformer en poison pour les gens qui habitent en dessous ! Tout ça pour ne rien changer. J’ai l’impression que tout est bon pour se voiler la face et ne pas prendre la moindre mesure, ne pas modifier d’un iota nos modes de vie en attendant que le pire arrive. C’est un peu désespérant à la longue.

Actusf : Peut-on s'attendre à un autre récit, dans l'avenir, de vampires signé Fabien Clavel ? Si oui, dans le même "univers" ?
Fabien Clavel : J’ai laissé une fin ouverte, mais je n’ai pas de projet dans l’immédiat dans cet univers. Par contre, la figure du vampire est suffisamment plastique pour se prêter à différentes interprétations. Cela m’a amusé de voir que Homo Vampiris pouvait être qualifié de Bit-Lit, alors qu’à mon avis il n’appartient pas du tout à ce courant. Ça m’a pourtant donné envie d’écrire un vrai roman de Bit-Lit, histoire de m’approprier le genre. Les codes commencent à être suffisamment clairs pour qu’on puisse jouer avec.

Actusf : Est-ce que le fait de vivre à Budapest a une influence sur ce que tu écris ou ta façon d'écrire ?
Fabien Clavel : En fait Budapest et la Hongrie m’inspirent depuis longtemps, depuis le début en fait. C’est une ville que je connais depuis plus de dix ans maintenant. Mon deuxième roman, Anonymus, s’y déroulait en plein hiver, alors que je n’y étais allé qu’en été. Don Juan, dans L’Antilégende, y fait un détour. Quant à La Cité de Satan, son histoire commence en Pannonie, nom de la province romaine qui correspond à la Hongrie actuelle. Pour les autres romans, il y a toujours au moins un mot hongrois dedans. C’est d’ailleurs très pratique parce que, comme ce n’est pas une langue indo-européenne, cela ne ressemble à rien de ce que nous connaissons et peut donc facilement passer pour de l’elfique ou tout autre langage exotique. Actuellement, je suis en train d’écrire un roman qui traite de la Hongrie de l’an Mil. Ce sera mon premier livre de fantasy historique. C’est étonnant de commencer par la Hongrie pour traiter d’histoire plutôt que par la France, mais ça s’est fait ainsi.

Actusf : Tu as publié plusieurs livres pour la jeunesse, notamment les Gorgonautes et L'Océan des étoiles, comment choisis-tu le public de tes histoires ?
Fabien Clavel : En réalité, la première question que je me pose quand j’ai une idée d’histoire est celle du format qui conviendrait le mieux pour la raconter. Si un format court me paraît s’imposer, alors je cherche ce qui dans mon histoire est suceptible d’intéresser un « jeune », si les thèmes peuvent lui parler. La plupart du temps, ça fonctionne parce les intérêts ne différent pas tant que ça avec l’âge. Cela dépend aussi du matériau nécessaire pour l’histoire se tienne : ai-je besoin que le lecteur connaisse telle ou telle chose pour profiter de ce que je lui raconte ? Faut-il de la violence ou du sexe pour exprimer telle idée ? Par exemple, pour les vampires de Homo Vampiris, il était indispensable qu’il y ait du sexe, si possible assez trash, parce que c’est une manière de caractériser les personnages et leur rapport au monde. Donc, cette histoire ne pouvait s’adresser à un public jeunesse.

Actusf : Est-ce que tu changes ta manière de travailler suivant s'il s'agit d'un livre pour adulte ou d'un livre pour ados ?
Fabien Clavel : Je travaille de la même manière dans ma préparation : idée, synopsis, documention, rédaction. Cependant, dans l’écriture, il va y avoir deux sensibilités différentes : dans un roman adulte, je me laisse aller à mes obsessions sans filtre, de même pour le style. J’aime surtout l’épique et le grandiloquent. En gros, même si je ne sais pas si ça se traduit dans mon texte final, j’en reviens toujours à Victor Hugo, qui est d’ailleurs cité au début d’Homo Vampiris. Dans un roman jeunesse, ce qui m’intéresse, c’est d’essayer de retrouver ce qui m’a marqué au même âge dans mes lectures. Il y a toujours quelque chose du conte de fées, en particulier quand on se trouve dans un univers de fantasy. Du point de vue du style, je cherche le mot juste qui va lancer le rêve. Il faut être plus concis et plus précis, non pas seulement parce que le lecteur risque de décrocher après trois pages de description, mais surtout parce que son regard est moins blasé que le nôtre. Il est plus neuf. Son imagination se déclenche plus facilement. On a tous fait l’expérience de romans qui nous ont emballés petit, dont on garde encore des impressions extraordinaires. Et quand on les relit adulte, on se rend compte qu’on avait fait tout le travail d’imagination nous-mêmes. Le talent de l’auteur a été de savoir choisir ses effets pour créer une réaction immédiate. Au moment où j’ai écrit mon premier roman jeunesse, je sortais de la lecture des Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar qui m’avaient ébloui. J’en suis ressorti avec des impressions extrêmement fortes et je m’en suis inspiré pour La Dernière Odyssée.

Actusf : Comment est née l'idée de Niréus, le personnage des Gorgonautes et de La Dernière Odyssée ?
Fabien Clavel : Il y a dans l’Iliade un passage que tout le monde saute et qu’on appelle le « catalogue des navires ». C’est un moment où Homère fait une pause dans son récit et décide de nous décrire les forces en présence, du côté troyen comme du côté grec. Je suis allé le lire (je l’avais passé lors de ma première lecture). J’avais dans l’idée d’y trouver un héros dont je pourrais raconter l’histoire après la Guerre de Troie. Il existait en effet toute une littérature autour des retours des héros de Troie, les nostoï, dont on n’a gardé en gros que l’Odyssée. Je voulais que mon héros ait un nom qui claque, et que ce soit un second couteau, une sorte de perdant. Quand je suis tombé sur Niréus, je me suis dit que c’était exactement celui qu’il me fallait : c’est le moins puissant de toute la flotte grecque, il arrive avec seulement trois navires quand d’autres en commandent des centaines. Il est très beau, mais moins qu’Achille. Poursuivant mes recherches dans d’autres vieux récits moins connus sur la Guerre de Troie, j’ai constaté qu’on ne parlait de lui que pour citer son nom de temps en temps. Bref, il était complètement oublié. Alors, quand j’ai commencé à inventer l’histoire de son retour chez lui, dans la petite île de Symé, j’ai accentué le trait en le défigurant. Je voulais un héros amer, aigri, une sorte d’envers d’Ulysse. Un héros qui ne veut pas en être un, qui déteste tout le monde : l’humanité, les dieux et lui-même, qui essaye de s’en sortir comme il peut.

Actusf : Est-ce qu'on le retrouvera dans un prochain roman ?
Fabien Clavel : Dès le début, j’avais pensé à trois motifs qui reviennent continuellement dans la mythologie grecque : le nostos (retour chez soi), le periplous (navigation en Méditerranée) et la catabasis (descente aux enfers). J’ai déjà traité les deux premiers, le troisième reste encore à faire. Mais mon synopsis est pratiquement complet. Cela viendrait clore la trilogie de Niréus. Le problème, c’est que le tome 2 ne se vend pas bien. Cela risque de compromettre l’existence d’un troisième, quand bien même les deux premiers tomes ont chacun reçu un prix.

Actusf : Que peux-tu nous dire sur Soleil des abysses qui doit paraître dans les prochains mois ?
Fabien Clavel : Il m’est difficile d’en parler parce que le thème en est douloureux et que le manuscrit est achevé et actuellement en lecture chez la directrice de collection, Audrey Petit. Sans son retour, j’ai du mal à m’en faire une idée précise. En tout cas, j’en attends beaucoup parce que c’est un projet ambitieux. Même si cela ne sautera sans doute pas aux yeux du lecteur, l’ensemble est construit sur différents réseaux métaphoriques qui sont une nouveauté pour moi, en tout cas à ce niveau. Disons simplement que l’histoire se situe à un moment où le monde a été submergé par les eaux, suite au réchauffement climatique ; les hommes se réfugient au fond des océans pour échapper à une surface où tout est devenu bouillant. Mon roman commence quand un garçon se retrouve aux commandes d’un sous-marin qui doit descendre dans une faille inexplorée afin de débusquer un ennemi dont il ignore tout. Pour en rajouter : le garçon a perdu la mémoire et ne sait pas ce qu’il fait là.

Actusf : Quels sont tes projets pour 2010 (et après) ?
Fabien Clavel : Pour récapituler il y a donc Soleil des Abysses chez Autres Mondes. Et puis le roman de fantasy historique chez les Hongrois dont le titre de travail est Le Châtiment des flèches. J’essaye d’en faire une fresque épique, aux accents de western, dans la steppe hongroise avec des chevaliers bavarois et des cavaliers magyars qui s’étripent. En gros, le roi István prend le pouvoir en Hongrie et cherche à répandre le christianisme dans une société en grande majorité païenne. Cela ne sera donc pas de tout repos. Je suis le plus scrupuleusement possible les événements historiques et lie l’ensemble avec des explications fantasystes. Pygmalion devrait le programmer pour octobre. Enfin, il y a un roman jeunesse auquel je tiens beaucoup : L’Apprentie de Merlin. C’est de la fantasy arthurienne vue à travers les yeux de la disciple de Merlin (d’où le titre). Là aussi, je me suis beaucoup documenté et coulé dans l’univers arthurien mais je me suis éloigné de la légende classique pour raconter ma propre histoire. Pour le reste, il y a une nouvelle dans le dernier Galaxies, une autre a été acceptée pour l’anthologie Magiciennes et sorciers de Stéphanie Nicot chez Mnémos. Je dois également participer à l’anthologie d’Eric Boissau De cape et d’esprit chez Rivière blanche et puis à celle de Charlotte Bousquet Frontières chez CDS Éditions. Mais je n’en suis encore qu’au stade de l’idée pour ces deux dernières. Pour après, rien n’est sûr ni signé, alors...

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