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ITW Etienne Barillier
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ITW Etienne Barillier

Actusf : Un nouveau film au cinéma, L'Agence, un cycle au forum des images, du théâtre inspiré de Dick à Vénissieux, une BD adaptée de Do Androids Dream of Electric Sheep? chez Emmanuel Proust... Pourquoi selon toi Philip K.Dick séduit toujours autant les scénaristes ?
Etienne Barillier : Oh, je crois qu'on peut trouver trois raisons à cela : la première est que les scénaristes, qui se trouvent dans la situation de produire, peuvent explorer les territoires qui les ont marqués lors de leur lecture de jeunesse. C'est une première explication logique. La deuxième est que les thèmes que l'on peut voir dans son œuvre sont en plein dans notre modernité : notre rapport avec le virtuel, avec une société que l'on peut vivre comme oppressante, la drogue comme échappatoire, la question de l'humain. Bien sûr, Dick n'est pas le seul à avoir exploré de telles thématiques. Mais elles sont concentrées dans son œuvre. Une troisième explication serait d'ordre commercial. Dick est devenu une valeur sûre. On peut vendre sur son nom.
 

Actusf : Quel regard as-tu sur ces adaptations, L'Agence et Do Androids Dream of Electric Sheep? Faut-il les voir/lire ?
Etienne Barillier :  L'Agence est une adaptation intéressante. Non pas parce qu'elle apporte quelque chose de foncièrement nouveau dans ce sous-genre cinématographique qu'est le cinéma dickien. Mais parce que le film tente une approche de la science-fiction sans faire de la science-fiction. En cela, il est proche de Philip K. Dick. Malheureusement comme tous les films adaptés d'une nouvelle, il n'en garde que quelques éléments forts et en néglige quelques autres. De plus, pour passer d'une forme brève à une forme longue et aboutir à une histoire complète, avec ses propres idées, ses propres règles, etc., il faut ajouter des éléments au scénario. Or, quand on gratte la surface du film, on tombe sur des problèmes de logique interne qui nuisent quelque peu à la structure de l'ensemble.
La bande dessinée Do Androids Dream of Electric Sheep? part d'une démarche intéressante parce qu'elle tente une gageure : faire une adaptation quasi littérale du roman. Le texte du roman est quasi intégralement présent. Il se pose donc le problème de la redondance entre l'information donnée par le texte et ce qu'apporte l'image. Au fil des volumes ce problème a été de mieux en mieux géré par Tony Parker : il ne faut pas oublier que cela a été publié sur vingt-quatre numéros aux États-Unis ! Ce qui rend l'achat des volumes particulièrement intéressants, ce sont tous les textes en postface qui constituent autant de petits essais autour de Philip K. Dick.
 

Actusf : Dick est décédé en 1982, que reste-t-il de lui aujourd'hui ? Pourquoi en parle-t-on toujours autant ?
Etienne Barillier :  Il reste neuf ! Une œuvre profondément littéraire et dont on n'a pas fini de faire le tour. Tous les ans paraissent à travers le monde plusieurs livres qui l'étudient. Il y a une part d'énigme en cela. Nous parlons tout de même d'un écrivain de science-fiction auquel a été consacrés par moins de cinq biographies ! D'ailleurs là est sûrement le fond du problème. Si Dick n'avait pas le label SF, personne ne se poserait la question de la masse critique qui lui est consacrée.
 

Actusf : On trouve une biographie de Dick dans la BD Do Androids Dream of Electric Sheep? Philip K.Dick aurait donné des informations au FBI sur ses collègues écrivains. Est-ce vrai ? C'est une info qui m'a plutôt étonné…
Etienne Barillier :  Ah. C'est vrai. Il l'a fait et il n'en a pas été fier après. En 1972, après avoir été cambriolé, il a écrit une série de lettres. Plus tard en 1974, il a dénoncé une correspondance avec Stanislas Lem. Dick était profondément paranoïaque à cette époque, persuadé d'être la victime d'une conspiration marxiste mondiale. Or, depuis février 1974, Dick vit une série d'événements mystiques qui le bouleversent. Il sent que ses actes lui sont dictés par une conscience supérieure (celle que l'on retrouve dans VALIS). Dick ne doit pas être mis sur un piédestal... Son histoire avec le FBI commence dès les années 1950 quand deux agents du Bureau proposèrent à la femme de l'époque Kleo et à lui-même de leur payer des études universitaires à Mexico afin d'infiltrer les groupes étudiants locaux !
Il a écrit une vingtaine de lettres au FBI. Sa dernière femme, Tessa, raconte qu'en fait il n'en postait pas la plupart. Il se contentait de les mettre à la poubelle, estimant que le Gouvernement les lirait s'il le surveillait !
 
 
Actusf : Qui sont selon toi les auteurs dont l'influence dickienne est la plus forte aujourd'hui ? Que reste-t-il de son "héritage" littéraire en France et aux États-Unis ?
Etienne Barillier :  Je serais mal à l'aise de donner des noms. Il n'a pas créé une école. Mais il ouvert des portes. Peut-être une manière de considérer la science-fiction, l'écriture. Je me souviens quand 10/18 avait publié ses romans, dans la collection "Domaine étranger". Ubik publié dans une collection de littérature générale. C'est assez inouï quand on y pense.
L'héritage littéraire est partout. Dick a brisé des codes, en montrant qu'il était possible de fusionner science-fiction et littérature générale. Houellebecq a lu Dick. Dantec aussi. Et bien d'autres !
 
 
Actusf : Quel regard as-tu aujourd'hui sur son œuvre ? Tout est-il encore lisible et quels sont les romans ou les nouvelles que tu conseillerais pour commencer à aborder son univers ?
Etienne Barillier :  La menace communiste, les androïdes dont l'intérieur est rempli d'engrenages mécaniques et de bandes magnétiques ont forcément vieilli. Le dosage de science-fiction dans les romans de Dick est quand même assez réduit par rapport au reste de ses contemporains. Comme ce n'est pas un auteur de la grande description ni de la prospective, cela ne parasite pas notre lecture. C'est un auteur d'idées et de concepts. Et les idées ne vieillissent pas, elles disparaissent seulement. Depuis Dick nous avons l’impression que ses idées ne cessent de prendre de l’importance.
 

Actusf : Tout est-il traduit en Français ? Reste-t-il des choses inédites ?
Etienne Barillier :  Il reste encore quelques textes inédits, rien de bien majeur. L'événement de l'année dernière a été la parution en volume de l'Exégèse. Ces huit mille pages restent encore largement inédites, on n'ose espérer un jour une édition intégrale ! Mais le volume anglo-saxon fait déjà plus de mille pages. Dirigé par Jonathan Lethem , le volume comporte une riche annotation, que du bonheur ! Les ayants droit de Philip K. Dick souhaitaient le voir paraître afin qu'il n'y ait aucune ambiguïté, que le livre soit abordé d'une manière universitaire. Dick ne cherchait pas à fonder une religion. Il s'interrogeait sans fin sur ce qu'il avait vécu en 1974. Il cherchait à en comprendre le sens sans évacuer la moindre éventualité, la moindre théorie.
 

Actusf : On trouve sur le web pas mal d'articles autour de Philip K.Dick. Y'a-t-il pour toi, d'un point de vue "étude", des thématiques de son  œuvre qui reste encore à explorer ou a-t-on tout dit ?
Etienne Barillier :  J'ai dans la bibliothèque quantité de textes critiques qui abordent Dick d'un point de vue psychanalytique, structuraliste, marxiste. Aujourd'hui j'ai l'impression qu'on se concentre beaucoup plus sur l'aspect mystique, symbolique, la gnose de son œuvre. Ce qui me gêne dans de telles approches, c'est qu'elles négligent la voix si particulière de Dick, son humour, sa petite musique au profit d'une intellectualisation dont lui-même se méfiait.
 

Actusf : Quelle sera l'actualité de Philip K.Dick dans les prochains mois (Film, BD...) ?
Etienne Barillier :  Côté film j'attends avec impatience ce que peut faire la BBC en adaptant Le Maître du Haut Château. En en faisant une mini série, cela donne l'espace pour raconter bien plus de choses qu'avec les deux heures d'un long métrage.
Je ne sais pas trop que penser du Ubik de Gondry. C'est un livre que j'aime et l'idée de le voir à l'écran ne m'enthousiasme pas. Je serais tellement heureux de passer une soirée avec Terry Gilliam pour qu'il me raconte les idées qu'il avait en tête pour les différents romans de Dick qu'il n'a jamais pu tourner...
 

Actusf : Tu as signé il y a quelque temps le livre Steampunk chez Les Moutons électriques. On te sait aussi spécialiste de Fantômas. Y'a-t-il des liens entre ces différents pôles d'intérêts ?
Etienne Barillier :  Je dirais que le point commun c'est moi ! J'ai eu la chance de pouvoir travailler sur des sujets qui me passionnent. J'ai donc beaucoup de personnes à remercier.
 

Actusf : Quels sont tes projets ? Sur quoi travailles-tu ?
Etienne Barillier :  Je continue à mettre à jour www.dickien.fr  ! Sinon, je travaille pour toi ! Le petit guide à trimbaler de Philip K. Dick m'occupe largement. Je le conçois comme un guide d'initiation à Philip K. Dick, mais aussi comme un aide-mémoire. Je le veux précis, concis et accessible. Je souhaite aussi le remplir de petits bouts d'information rares afin de satisfaire le lecteur dickien. Le plus dur est de rester simple, de rester humble en traçant des voies pour que le lecteur puisse suivre son propre chemin.

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