"J’aime ne pas avoir à écrire dans la longueur. C’est probablement le résultat de mes années à Hollywood, où s’ils veulent 46 minutes, ils ne vous en donneront pas une 47ème juste parce que vous pensez que l’histoire le nécessite. Une scène de plus ? Eh bien, non. Il faut placer une publicité. Il y a un peu plus de flexibilité en ce qui concerne les films, mais ils attendent de vous que vous ne dépassiez pas les deux heures, deux heures et demie. Ce que je faisais était toujours trop long, donc quand je suis sorti de ce monde et que je suis revenu aux livres, je voulais faire quelque chose de grand, avec des milliers de personnages et une approche épique. Il y a beaucoup à gagner à le faire… pour un auteur. Vous pouvez présenter une histoire d’une échelle et d’une complexité considérables… et vous pouvez en développer les personnages en les suivant à travers les années et différentes circonstances, en interaction avec d’autres personnages et se comportant de manière contradictoire – toute la complexité d’un véritable être humain. Vous permettez aux personnages de s’incarner d’une façon beaucoup plus difficile à réaliser lorsque vous avez moins d’espace.""
"Certains critiques du milieu semblent avoir un a priori très négatif quant à tout ce qui fait partie d’une série, cet a priori qu’un roman seul est immensément supérieur. Je ne pense pas que ce soit nécessairement vrai. Ils jugent le roman en plusieurs volumes à travers ses pires exemples de la même façon que la science-fiction, dans son histoire, a été condamnée à être jugée à travers ses pires exemples. Oui, il y a de très mauvaises, d’insupportables séries, mais ce n’est pas inhérent au format."
George R.R.Martin et le délais entre chaque tome du Trone de fer.

Chacun me prenait donc environ deux ans. Maintenant, cinq années s’écoulent entre chaque livre, ce qui est beaucoup trop, et je ne suis pas certain de savoir pourquoi j’en suis là. La stratégie narrative est partiellement impliquée. Lors de la WorldCon de Philadelphie (qui me semble remonter à un million d’années), j’ai annoncé le fameux délai de cinq ans. J’allais faire un bond de cinq ans dans l’histoire pour permettre aux plus jeunes personnages de vieillir et aux dragons de grossir, et pour d’autres raisons diverses. J’ai commencé à écrire à ce rythme en 2001 et ça a très bien marché pour une myriade de personnages, mais pas du tout pour d’autres, parce qu’il est impossible qu’il ne se passe rien en cinq ans… Or si des choses se produisent, vous devez écrire des flashbacks, des introspections rétrospectives, et ce n’est pas une très bonne manière de les présenter. Je me suis démené dans cette mauvaise direction pendant environ un an pour finalement laisser tomber quand j’ai réalisé qu’il y aurait un roman intermédiaire. Il s’agissait de A Feast for Crows [séparé en trois tomes pour l’édition française, Le Chaos, Les Sables de Dorne et Un Festin pour les Corbeaux], dans lequel l’action est relativement continue par rapport au roman précédent."

"Puis mon ami et collaborateur occasionnel Daniel Abraham a suggéré de démêler des fils plutôt que de trancher la tapisserie entière en deux. A la minute où il en a parlé, j’ai su que c’était la réponse. J’aurais dû y penser moi-même puisque je l’avais déjà fait avec le sixième tome de la série Wild Cards, le second de cette série de quatre romans en mosaïque. Le sixième livre était si dense que nous l’avons séparé en démêlant les fils. Ce qui devint Ace in the Hole et Dead Man’s Head se passe simultanément à New York et Atlanta pour une majeure partie du récit, et ils fonctionnent très bien séparément. C’était la réponse ici aussi."
La série des Wild Cards

"Le prochain roman après A Feast for Crows n’avancera pas du point de vue chronologique mais du point de vue de l’intrigue. Des connexions apparaîtront entre les différents récits. Dans le dernier livre, beaucoup de nouveaux personnages se joindront à l’histoire parce que j’ai agrandi la tapisserie… J’ai toujours voulu le faire. Je n’avais pas prévu d’introduire une telle multitude de points de vue internes, mais les intrigues étaient tellement complexes intrinsèquement que c’était nécessaire (même si je vais devoir en tuer quelques uns !). Quand j’aurai terminé ce roman, je pense qu’il y en aura deux supplémentaires. Je parlais de six avant que celui-ci ne soit divisé en deux, donc je dirais maintenant sept, mais je ne parierai pas là-dessus. Tolkien disait que les histoires ont leurs propres desiderata, et je pense que c’est le cas, donc je vais écouter l’histoire et la raconter de mon mieux."
"Je lis beaucoup de fiction historique et j’adore ça. Mon seul problème, étant quelqu’un qui en connaît un rayon sur l’histoire, est que je sais en général ce qui va se produire. Donc à moins que vous n’ayez écrit quelque chose d’uchronique, vous ne pouvez pas vraiment surprendre le lecteur avec un « Oh ! Ils ont tué les princes dans la tour ! ». Mais je voulais la saveur de la fiction historique. J’admire énormément Tolkien. J’adore ses romans et ils ont eu une influence importante sur moi et sur tous ceux qui ont écrit de la fantasy, il n’en reste pas moins que le canon auquel il a contribué, dans les mains des écrivains moins talentueux qui ont marché sur ses traces, est redondant. C’est devenu un cliché du genre légèrement caricatural : « Tous ensemble, nous allons combattre le Seigneur Noir avant qu’il ne répande les ténèbres et le chaos à la surface du monde ». Tolkien l’a magistralement raconté, mais nous n’avons pas besoin de le raconter une deuxième fois."
"Je suis attiré par les personnages « gris », les personnages qui ne sont pas ce qu’ils semblent être, les personnages qui changent. Je pense que c’est la partie la plus intéressante en fiction et qui manque à beaucoup d’œuvres de fantasy. Trop de personnages sont noirs et blancs, et tout le monde combat un Seigneur Noir. Je n’ai jamais été intéressé par écrire ce genre d’histoire. Avoir plusieurs points de vue est crucial pour nuancer les personnages. Vous devez être capable d’appréhender un conflit des deux côtés, parce que les êtres humains dans une véritable situation de conflit ont des processus d’auto-justification, se disent que ce qu’ils font est juste. En dehors des dessins animés, personne ne dit : « Je suis le Seigneur Noir et je vais faire le mal ». Nous sommes des Seigneurs Gris ! Et bien sûr vous pouvez le constater dans toute notre histoire en temps de guerre. George Bush pense que ce qu’il fait est juste, Oussama Ben Laden pense que ce qu’il fait est juste, et tous les deux pensent que l’autre est le méchant… Vous avez donc besoin d’une multitude de points de vue pour présenter un conflit qui sera plus qu’une rivalité de dessin animé. C’est à ce niveau que j’estime que la structure est une part essentielle de ces romans."
"Je crois sincèrement qu’il y a du bon dans la longue série à plusieurs volumes, pour laquelle Le Seigneur des Anneaux était le standard original. Il n’aurait pas bénéficié à être raccourci à un seul livre de la longueur appropriée pour l’époque. D’un autre côté, il avait une fin. Je pense que toute bonne fiction doit avoir une fin, de même qu’un début et un milieu, et j’ai pour ma part une fin en tête. Je vais le formuler autrement : ce n’est pas une série qui n’en finira jamais. Ce qui ne veut pas dire que lorsque j’aurai terminé je n’écrirai pas d’histoires se déroulant dans le même monde. La troisième novella à propos du chevalier Dunk est à moitié écrite, et il se pourrait que j’en écrive d’autres. Avec un peu de chance, elles se rejoindront pour former quelque chose dont l’entier est plus grand que la somme des parties, mais l’avenir nous le dira. Comme c’est le cas de tout ce que j’écris en ce moment, les novellas menacent de se transformer en romans…"
George R.R.Martin et le marché actuel
"Le problème aujourd’hui est qu’il y a vraiment trop de romans – de plus en plus tous les ans, chacun avec un lectorat de plus en plus petit. Dans les années 1970, Dhalgren [de Samuel R. Delany] et La Paille dans l’œil de Dieu [de Larry Niven et Jerry Pournelle] sont sortis la même année, nouvelle vague et science-fiction conservatrice de la vieille école. Les fans de l’un ont peut-être détesté l’autre, mais tout le monde avait lu les deux parce que le genre était limité et que ces deux livres étaient importants. Maintenant, ce ne sont plus deux mais cinquante lectorats qui se partagent l’audience, chacun avec son propre cercle restreint de figures de proue."

"Quand vous êtes un jeune auteur qui essaie de percer, vous faites différentes choses, en essayant de muscler vos talents littéraires. Heureusement les meilleurs d’entre eux lisent de la science-fiction, de la fantasy et de l’horreur, mais aussi en dehors du genre imaginaire (mystère, fiction historique, non-fiction, et j’en passe) et ils retiennent quelque chose de chacune de ces lectures. Une partie de l’apprentissage consiste à le faire soi-même. Pourtant je connais des jeunes auteurs qui écrivent un roman de science-fiction puis veulent écrire de la fantasy, et dont l’éditeur exige qu’ils changent de nom. Je suis suffisamment vieux et vieux jeu pour être réfractaire à l’idée d’un pseudonyme, mais les jeunes auteurs ont grandi avec le concept et n’ont aucun problème avec ça. Ils ont trois ou quatre noms s’ils veulent écrire dans trois ou quatre genres. Et parallèlement à ce phénomène des auteurs sont contraints d’abandonner leur nom pour des raisons de ventes calamiteuses, même s’ils restent dans le même sous-genre. Je trouve que c’est une mauvaise chose."
"A la décharge des éditeurs, ils offrent au public ce qu’il veut, et il y a une partie du public qui veut qu’un roman soit comme ses céréales au petit déjeuner : quand ils achètent une boîte marquée Corn Flakes, ils ne veulent pas rentrer chez eux pour s’apercevoir qu’on leur a vendu des Rice Krispies. Malheureusement, l’industrie de l’édition essaie de satisfaire ces gens en leur vendant des auteurs comme des marques. Il y a de la bonne fantasy publiée et certains romans, à ma grande stupéfaction, sont labellisés « dans la tradition de George R.R. Martin » (je ne savais même pas que j’avais une tradition, et je devrais choisir qui en est !). En tant qu’auteur, je veux être une sorte de marque parce que je veux que mes lecteurs me suivent d’un bouquin et d’une série à l’autre, mais je ne veux pas être une marque pour ne produire que des Corn Flakes. Je veux être capable de produire ce que bon me semble quand bon me semble."
Les produits dérivés.

"Même si je ne suis que peu impliqué dans tout ça au jour le jour, j’ai demandé un droit de regard ce qui signifie que je dois approuver et répondre à pas mal de sollicitations. J’ai aussi un certain nombre de voyages à l’horizon, à commencer par la promotion de Un Festin pour les Corbeaux au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, respectivement du 15 au 25 octobre et du 7 au 23 novembre. Entretemps ce sera l’Italie où nous lançons un jeu de cartes et un jeu de plateau. Tout ceci prenant un mois de ce qui aurait pu être du temps pour écrire…"
"Mais j’aime mes fans. La Brotherhood Without Banners [la Confrérie sans Etendard] et les Ice and Fire Fans [les fans du Trône de Fer] sont de sacrés supporteurs ! Ils viennent de lancer leur site lors de la dernière WorldCon, et pendant les deux dernières années ont été les plus remarqués de la convention. J’ai également constamment des lettres et des emails concernant d’anciens projets, me demandant de les reprendre – un nouveau Wild Cards, une suite à Fevre Dreams… J’y ai sérieusement songé à un certain moment, mais je ne suis pas emballé à l’idée d’une suite. Mais je ne suis que dans la cinquantaine et je suis plutôt en forme pour quelqu’un de mon âge et de ma corpulence ! Je veux terminer cette série et il y a d’autres sortes de choses que je voudrais écrire. Ce qu’elles seront, je ne le sais pas encore."