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ITW Lois McMaster Bujold
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ITW Lois McMaster Bujold

Dans nos archives, nous avons cette belle interview de 2009 de Lois McMaster Bujold... Une rencontre passionnante avec l'autrice de La Saga Vorkosigan et Chalion !
 
Actusf : Comment sont nés Barrayar et Miles Vorkosigan ?
LMB : La planète Barrayar a commencé à se développer au Chapitre Un de mon tout premier roman, Cordelia Vorkosigan (que j’ai écrit en 1982-1983 et qui a été publié pour la première fois en 1986), avec Aral Vorkosigan. Le personnage humain est apparu en premier, puis au fur et à mesure que  l’intrigue se développait le monde s’est construit progressivement autour de lui. Rétrospectivement, Miles a surgi dans mon esprit dès l’écriture de ce premier récit, quand j’ai décidé que Aral et Cordélia auraient un fils physiquement handicapé dans ce monde patriarcal et militariste qu’est Barrayar. En fait cela a été la première chose que j’ai su sur Miles, avant même de savoir son nom : qu’il serait à la fois rabougri et brillant.

La première scène que j’ai imaginée de L'Apprentissage du guerrier, le livre où le personnage de Miles trouve son vrai départ, était en fait la mort du sergent Bothari (un homme ambigu qui était un personnage mineur du premier bouquin…mais qui a refusé de rester un personnage mineur) qui a eu lieu sur une piste d’atterrissage, loin de chez lui, alors qu'il protégeait Miles. Au moment où je suis revenu sur cette scène clef dans mon deuxième roman, beaucoup de choses avaient changé.
Le deuxième tome de la série, Barrayar, a été, en fait, écrit en partie à ce moment-là puis plus tard. Cordelia Vorkosigan étant mon premier roman, j’avais préféré écrire une fin plus longue que j'ai fini par raccourcir de 6 ou 8 chapitres pour arriver à la fin actuelle (j’avais initialement arrêté après la scène d’attaque de la soltoxin). Ces pages jetées ont fini dans mon grenier sous la forme d'une copie carbone isolée (je les avais écrites avant d'avoir un ordinateur, sur la vieille machine à écrire de mes années de fac). Plus tard,  je suis tombée par chance sur cette copie, et  j'ai finalement vu comment l’histoire devrait se poursuivre. J'ai donc écrit un nouveau premier chapitre, corrigé ce que j’avais déjà en mains et continué le récit. On devait être en 1990, ce qui a fait de Barrayar mon septième bouquin (bien que ce soit aussi mon premier, en partie).
 



Actusf : Comment voyez-vous Barrayar ? Et quelles relations avez-vous avec ce personnage aujourd’hui ?
LMB : Miles a changé et grandi avec le temps, comme moi. Si vous ne comptez pas ses aventures prénatales dans Barrayar, ainsi que le petit encart sur lui en tant qu’enfant de 5 ans hyperactif dans l’épilogue, ses aventures commencent quand il a 17 ans. Dans le nouveau bouquin que j’ai terminé pour Baen, CryoBurn (dont je reparlerai plus tard), il a 39 ans, et vit une vie que ni lui ni moi n’aurions pu imaginer en 1984 quand j’ai écrit sur lui  pour la première fois. Il a donc vieilli de 22 ans pendant que moi je vieillissais de 25 ans. On se suit de près finalement.

En parlant de vieillissement, la photo de moi qu'on peut voir sur la quatrième de couverture des romans de chez « J’ai Lu » a été prise alors que j’avais 35 ans. Je viens d’avoir 60 ans. Il faut vraiment qu’ils la réactualisent….

Actusf : Que peut-on attendre de l’évolution de vos personnages ?
LMB : Et bien je ne sais pas. Je crée au fur et à mesure. Cette question suppose que je continuerai d’écrire des séries qui suivent certains personnages de façon chronologique, comme les Vorkosigan (essentiellement). Mais la série des Chalion, par exemple est structurée de façon thématique avec un livre pour chaque dieu et du coup, tout peut s’étaler dans le temps ou sur des tas de personnages, ce qui est un potentiel que j’aimerai de nouveau utiliser si j’écrivais de nouveau sur ce monde. Le monde de Sharing Knife pourrait aussi évoluer dans de nombreuses directions aussi. Ou je pourrais écrire un one-shot ou une nouvelle série. Donc je ne sais pas à quoi m’attendre.

Si on regarde le futur proche, je viens juste de terminer (Juin 2009) un nouveau roman de Miles Vorkosigan, intitulé CryoBurn. Il sera publié et mis en ligne aux États-Unis dans la collection Baen Books en Novembre 2009. (Ainsi qu’en Russie par mon éditeur de toujours, AST, et nous venons juste de recevoir une offre de livres audio par Blackstone Audiobooks). J’imagine qu’il y aura aussi une version française en temps et en heure.

Dans ce bouquin, Miles a 39 ans et fait une enquête en tant que  Auditeur Impérial sur les ordres de Gregor dans un monde que nous n’avions jamais vu avant, Kibou-daini. L’histoire s’articule autour du point de vue de 3 personnages : Miles, Armsman Roic et un indigène appelé Jin Sato. La thématique générale est au mystère, avec de la cryogénísation et des manipulations. Et Miles n’est pas le seul manipulateur.

ActuSf : Avez-vous été contacté par Hollywood ou autres pour une adaptation ? Est-ce un souhait ?
LMB : À la fin des années 80, j’avais vendu les droits télévisés de ma nouvelle « Barter » à Tales From The Darkside qui était un programme court. Ils ont produit et diffusé un épisode, mais qui ressemblait très peu à mon histoire. J’avais aussi eu une option au milieu des années 90 pour L'Apprentissage du guerrier et heureusement que cela n’a pas été au bout car le script n’avait aucun rapport avec le roman. Ceci dit cela m’a quand même payé mon déménagement pour Minneapolis, et ça j’en suis plutôt contente.

En fait le script était si mauvais, qu’il a épuisé tout naïf enthousiasme  que j’aurai pu avoir à l’idée d’un film réalisé à partir de mon œuvre. Donc je ne peux pas dire que c’est un souhait de ma part. Mais si une nouvelle proposition arrivait, et bien je dirais probablement oui, en prenant l’argent et en fermant les yeux sur le résultat final.

En BD, les éditions Soleil sont en train de réaliser une adaptation de L'Apprentissage du guerrier. Je viens juste de voir les deux premières esquisses publiés dans Lanfeust cet été. Je crois avoir compris que le premier des 3 volumes devrait être publié très prochainement. Je l’attends avec impatience. Je ne peux pas juger les dialogues, mais ils ont l'air de suivre de très près mon histoire, et les images sont plaisantes. Elles semblent avoir été dessinées avec une touche française. L’interprétation de Miles est plutôt bonne et j’aime particulièrement celle de Ivan. L’artiste Jose Beroy, dessine des personnages très expressifs, une qualité qui sera précieuse au fur et à mesure du développement de la trame du récit. Voilà un échantillon en ligne.

ActuSf : En français, nous pouvons lire Le Couteau du Partage. Comment est née cette série.
LMB : Je dois dire en passant que j’aime beaucoup les couvertures françaises de Bragelonne. Elles sont très élégantes. L’idée initiale m'est sortie du chapeau par une belle journée d’été en Juin 2004. Je venais de soumettre la version finale de La Chasse sacrée à mon éditeur Eos, et j’étais en train de savourer une sorte de vide en attendant la révision de mon manuscrit. Officiellement j’étais donc en dehors de tout ce qui concerne l’écriture. J’avais vraiment l’impression, comme souvent après avoir fini un roman, d’avoir le cerveau à plat et avec une sensation nauséeuse rien qu’à l’idée de lire quelque chose sans parler d’écrire. Mais ce jour-là était une superbe matinée ensoleillée du Minnesota qu’il ne fallait pas gâcher, et je suis sortie profiter du soleil.

Bref, j’ai commencé à me raconter une histoire, juste pour me divertir. Et, à ma propre surprise, mon imagination s’est remise en marche, aboutissant à cette improbable romance. Comme c’est souvent le cas, je me suis retrouvée à raconter cette histoire à mon amie Pat, en lui précisant toutes les raisons pour lesquelles, bien que je l’avais immensément aimée, elle n’aboutirait jamais à un roman. Je veux dire, les auteurs sont supposés apprécier leur travail, mais sûrement pas à ce point là quand même, non ? En raccourci, ce qu’elle m’a répondu c'est : « mais bien sûr que si » !
 

Ont suivi environ deux mois de travail intense afin de bâtir un monde autour de mes personnages et de leurs caractéristiques. De nombreux auteurs de SFF commencent leurs mondes, puis dans un second temps créent leurs personnages et leur récit pour l’explorer ; moi, habituellement je fais tout le contraire, comme nous l’avons vu ci-dessus avec Cordelia Vorkosigan et tous les livres qui l’ont suivi. Mes mondes sont créés au fur et à mesure de l’évolution de mes personnages et de l’intrigue, sans pré-exister avec luxe de détails. (La trame est souvent malléable, elle aussi, ce qui veut dire qu’en fonction du contexte tout peut se déplacer ou muter. Ce qui a tendance à me rendre nerveuse quand j’accepte un livre sur commande, parce que rien n’exclue qu’à la fin le livre soit totalement différent de ce que pourquoi l’éditeur pensait avoir payé.) . Mais bon, certaines choses doivent quand même être bien en place avant même que le récit puisse commencer.

Ici, mon premier pilier pour construire ce monde a été les Malices.
Elles ont deux sources ; la première était le résultat d'une méditation, au cours d’une de mes marches. Je pensais au manque de Seigneurs Noirs dans mes récits et de ce que ces êtres amènent à des romans (ou des trilogies) de Fantasy avec un scénario du type : LA guerre qui finira TOUTES les guerres. Mes mondes ne fonctionnaient pas de cette manière dans mes romans. Moi je n'avais à chaque fois que des foutues guerres les unes après les autres.
Ma seconde source d'inspiration est venue d'une invitation au Balticon de Juin 2004, au moment d'une invasion de cigales, de gros insectes qui pleuvent du ciel… Ça m'a donné une idée de guerre dans le roman.

Mon deuxième pilier a été bien sûr les couteaux tueurs de Malices, ces Sharing Knives, qui nécessitent un sacrifice humain ; et du coup la culture qui y est associée.

La notion de ces couteaux est venue en premier ; j’ai plus ou moins conceptualisé ensuite plusieurs aspects des Lakewalkers. Et puis la scène de début s’est présentée d’elle-même à mon esprit, et hop ça y était, j’étais lancée. Le monde des Lakewalkers et des farmers n’est pas le nôtre —ce n’est pas notre présent, passé ou un quelconque futur post-apo, mais plutôt un mode de Fantasy à part. Malgré tout,  le monde de Sharing Knife est délibérément proche du territoire américain, non seulement physiquement mais aussi socialement : pas de seigneurs, pas de dieux ni de religions d’état, mais avec une structure politique partant du bas plutôt que du haut, tout étant plus ou moins sous contrôle local.

Pour les détails physiques j’ai pioché au fond des couches de ma propre expérience : les fermes, les forêts, les lacs, les animaux, plantes, insectes, populations et climat de mon enfance dans l’Ohio. Comme pour beaucoup d’autres américains tout cela a disparu du fait de l’urbanisation et n’existe plus que dans mon esprit. Mon enfance est sous le bitume, la terre a disparu et est utilisée maintenant pour d'autres besoins et les gens ne savent plus ce qu’il y avait là avant. Cette sensation de perte n’est pas propre aux USA bien sûr, mais ici elle est particulièrement ressentie par beaucoup d’entre nous.

Les deux premiers volumes, Ensorcellement et Héritage ont été écrits comme un seul livre puis coupés en deux au moment de la publication; la seconde paire, Passage et Horizon, a été désignée comme dyptique ou sub-dyptique, suivant les conséquences des premières parties. Mais en fait cette tétralogie ne forme qu’une seule histoire et doit en principe être lue dans l’ordre.

ActsuSF : Comment vous est venue l’idée des réplicateurs utérins et comment pensez-vous que les femmes de notre époque réagiraient si elles avaient la possibilité de les utiliser ?
LMB : Ce n’est pas vraiment une idée nouvelle en SF ; Aldous Huxley en a utilisé une version dès 1932 dans le Meilleurs des Mondes. Mais dans mes vieux souvenirs du livre ils étaient plutôt utilisés à visée eugénique. D’autres modèles de sociétés, plus libres, devraient pouvoir aussi les utiliser ; mon univers de SF essaie d’incorporer autant de styles de vies qu'il m'est possible d'imaginer. Ceci dit, il s’agit d’une technologie totalement abordable, bien que de nombreux progrès bio-médicaux soient encore nécessaires. De nombreux projets chez l’animal sont déjà en cours, et je suppose que si cette technique devait se commercialiser, cela passerait d’abord par une utilisation pour  l’animal.

Comment les femmes de notre monde réagiraient ? Je prévois des discussions semblables à celles de mes propres livres. Celles qui nourrissent une vision romantique de la grossesse seraient choquées; celles qui ont  eu elles-mêmes ou qui connaissent quelqu’un ayant subi les nombreux inconvénients pouvant être associées à une grossesse (de la fausse couche à la mort maternelle, en passant par les handicaps sans parler des problèmes d’infertilité), en voudraient un dès aujourd’hui.

Regardez donc (via wikipédia par exemple) les termes médicaux suivants : Pré-éclampsie, éclampsie, grossesse extra-utérine, placenta praevia. En hors-d’œuvre...

ActuSF : Vous avez le prestigieux prix Hugo à la fois en Science-Fiction ET en Fantasy. Est-ce que vous savez comment ont réagi les autres auteurs ? Est-ce qu’ils pensent que c’est mérité ?
LMB : Je ne sais pas comment chacun a réagi, mais les prix Hugo sont régulièrement gagnés par des livres et des histoires des deux genres, et ce depuis longtemps dans l’histoire de la WorlCon. Il n’y avait rien d’inhabituel dans cela !

Ce n’est pas de mon ressort de juger si ces prix étaient « mérités ». Un prix littéraire n’est pas quelque chose qu’un auteur gagne comme une course ; c’est plus comme un cadeau que l’on vous offre. Dans la lecture il y a une certaine part de subjectivité après tout. Les prix vont pour le travail pour lequel les jury votent, que ce soit un petit jury ou une large assemblée de votant. Cela fait plus ou moins partie de la définition. Les critiques devraient êtres faites à ceux qui ont voté pas aux auteurs.
Juste au cas où les lecteurs de ActuSF ne le sauraient pas, les prix Hugo sont votés par les fans membres de la Convention Mondiale de Sf (pour plus d’informations http://www.wsfs.org/ ). Aussi bien les organisateurs que les participants peuvent voter. Il y a environ 4000-6000 participants, bien que chacun ne vote pas pour les Hugo ou pour toutes les catégories de Hugo.

ActuSF : Êtes-vous dans le même état d’esprit quand vous écrivez de la SF et de la Fantasy ?
LMB : Plus ou moins oui. Les techniques et les mécanismes d’écriture sont très semblables. C’est plutôt une question de se mettre dans la peau de personnage. Changer de point de vue entre un personnage et un autre est un saut quasiment aussi grand que de changer de monde.


ActuSF : Quelle différence faites-vous entre les lecteurs de Fantasy et ceux de SF ?
LMB : De nombreux lecteurs, moi y compris, lisent les deux et donc là il n’y a pas de différence. Parmi ceux qui préfèrent la SF et à qui j’ai parlé, la place du réalisme était la plus importante, car il leur permettrait de plus s’impliquer émotionnellement.
Parmi ceux qui préfèrent la Fantasy, de la prose poétique, plus de sens du fantastique ou de l’histoire sont mis en avant.

Cela dit, pour moi il apparaît que le “sense of wonder” de la SF et le “sense of the numinous” de la Fantasy sont les deux faces d’une même pièce

ActuSF : Quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?
LMB : Actuellement (Octobre 2009), je suis en break. Après avoir fini CryBurn cet été, j’ai été plongé dans 6 semaines de rendez-vous chez le dentiste, ce qui n’était pas prévu dans mon planning original. J’ai regardé beaucoup de télévision pendant cette période, notamment via Netflix (un très bon site de location de DVD aux USA). La première semaine de Septembre a été occupée par d’importants voyages à des conventions. Ces dernières trois semaines, j’ai repeint mon bureau à la maison pour la première fois depuis 14 ans. Le gros du travail est fait mais il reste encore quelques finitions à faire. Je ne sais pas si c’était pour éviter d’écrire ou bien si c’était le signe du retour de mon énergie créative, mais je préfère me dire qu’il s’agit de cette dernière possibilité ce qui est encourageant pour l’avenir.

Il y a aura beaucoup de campagnes promotionnelles cet automne pour la sortie de CryoBurn mais je n’y pense pas pour le moment.

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