- le  
Jack Vance on the radio
Commenter

Jack Vance on the radio

L'Animateur :
Dans un de vos recueils de nouvelles, Barry N. Malzberg dit la chose suivante dans son introduction :
« D’après ce que je sais, il ne s’est jamais mêlé au milieu de la SF. Vivant d’une façon iconoclaste et heureuse dans un lointain patelin du Far-West où il s’est contenté de laisser son œuvre et rien qu’elle parler à sa place. Je ne peux nommer un seul autre auteur de SF qui soit parvenu à ce genre de réussite sans faire de l’auto-promotion et participer aux manifestations du milieu, ce qui en dit long sur la valeur de sa fiction.»

Malzberg ajoute :
« Jack Vance est un auteur remarquable, ses paysages sont imaginés dans les moindres détails, sa compréhension du fait que les mondes à venir ne se contenteront pas d’être de simples extensions du nôtre, mais lui seront peut-être entièrement étrangers, n’a jamais été dépassée en SF. C’est aussi un des deux seuls auteurs, l’autre étant le brillant novelliste Avram Davidson, à avoir gagné les Hugo Award pour la SF et le Edgar Award pour le roman policier. Son vrai nom est John Holbrook et c’est sous ce nom qu’il a également mené une carrière impressionnante dans le roman policier.»

Q : Ma première question sera donc, pourquoi venir à cette émission et ne pas continuer à laisser votre œuvre parler à votre place ?
Jack Vance : Il n’y a aucune raison sérieuse de se forcer à être cohérent en la matière.

Q : Pourquoi fuyez-vous la publicité ?
Jack Vance : Il semble que lorsqu’on écrit de la SF ou n’importe quelle sorte de fiction, on crée un monde auquel on demande au lecteur de croire. La crédulité du lecteur est fragile et même fragmentaire. Si vous intercalez votre propre image entre votre lecteur et le monde auquel vous lui demandez de croire, vous amoindrissez vos chances de faire adhérer votre lecteur à l’univers que vous lui proposez. Pour obtenir le meilleur effet à partir de votre œuvre, il faut s’assurer que votre lecteur est, comment dire… sûr qu’on lui épargne le handicap de voir le visage de l’auteur se dresser entre lui et l’œuvre. Je pense que beaucoup trop d’écrivains se font avoir par leur éditeur, qui les pousse à fournir toute cette publicité. On trouve sur la couverture du livre tous les détails... leur biographie, leur photo, leurs faiblesses, et au fond ils se présentent comme des gens ordinaires. Or le lecteur aimerait plutôt envisager l’auteur comme quelqu’un d’extraordinaire. Avec trop d'infos sur la quatrième de couverture, la bulle est crevée. Donc, tenant compte de cette simple mécanique, quand on crée un monde de SF, il est avisé de ne pas encombrer l’esprit du lecteur avec sa personnalité.

Q : Beaucoup d’auteurs disent : "Je veux que mon œuvre parle pour moi", mais ils ne chercheront pas à éviter leurs fans... Cette personnalité forme et déforme leur œuvre ?
Jack Vance : Exact. Je n’aurais su mieux le dire.

Q : Le succès compte-t-il pour vous ?
Jack Vance : Et comment !

Q : Quel est la mesure de celui-ci à vos yeux ?
Jack Vance : Un très gros compte en banque

Q : Mais pas l’adulation, ou les apparitions aux diverses émissions…
Jack Vance : Non, non. Je n’ai pas de problèmes de vanité. J’aimerais seulement voir cette vanité se traduire en espèces sonnantes et trébuchantes à la fin du mois. La popularité en soi ne m’intéresse pas beaucoup.

Q : Vous avez gagné deux Hugos, un pour « Les Maîtres des Dragons », l’autre pour « Le Dernier château ». Ces prix, même si on peut se demander s’ils ont un effet dopant sur les ventes, sont-ils le genre de récompenses que vous recherchez ?
Jack Vance : On est forcément sensible à l’appréciation de son œuvre. C’est comme ce qu’a écrit Malzberg à mon propos. On ne peut s’empêcher d’émettre un halo de satisfaction. Parce que cela signifie qu’on a réussi à communiquer, essayé de créer quelque chose qui a plu a quelqu’un. Les Hugos sont une reconnaissance, exactement de la même manière. Mais celle-ci est souvent douce-amère. Il arrive qu’on se dise, "Je ne le méritais pas pour le livre couronné, mais je le méritais pour tel ou tel autre livre. Comment se fait-il que je l’ai eu pour ça et pas pour ça ? Comment se fait-il qu’on ne m’ait pas mis en prison pour ça ?" (rires). Au bout d’un certain temps on devient plus circonspect sur ces choses, si on obtient la récompense tant mieux, sinon, ça n’a aucune importance.

Q : Mais au fond, ce qui compte ce sont les gens qui achètent vos livres et qui croient aux univers que vous créez…
Jack Vance : C’est mon avis. J’essaie de faire de mon mieux. Quand j’étais très jeune je pensais devenir un de ces auteurs prolifiques, un million de mots par an…

Q : … Un tâcheron ?
Jack Vance : Non, pas nécessairement, regardez Max Brand auteur extraordinaire, il produit des millions de mots par an, mais son travail est brillant. Je pensais juste devenir quelqu’un qui écrirait beaucoup et pour m’entraîner je me suis obligé un jour à rédiger deux nouvelles dans le week-end. Elles étaient bien sûr déplorables.

Q : Et elle se vendirent immédiatement ?
Jack Vance : Non seulement elles se vendirent immédiatement, mais en plus à la Twentieth Century Fox. C’est grâce à ça que j’ai travaillé avec eux. Ils en ont choisi une pour faire un film. Et c’est une des nouvelles les plus mauvaises qu’on puisse imaginer.

Q : Nous avons eu à cette émission, il y a quelques semaines, Robert Silverberg qui a écrit, et en public, deux millions de mots…
Jack Vance : Silverberg est incroyable.

Q : Et maintenant, il a décidé de laisser tomber la SF, de cesser d’écrire, avez-vous déjà pensé à faire quelque chose de semblable ?
Jack Vance : Je n’en ai pas les moyens. Quand je gagnerai autant d’argent que Silverberg je commencerai à y penser.

Q : Que pensez-vous de la SF ?
Jack Vance : Je ne sais pas.

Q : Est-ce que vous en lisez ?
Jack Vance : Non. Je ne connais que mon propre travail, dont je suis content, où je vois une progression. Il s’est amélioré avec les années et je suis arrivé à présent, à ce stade de la vie où j’ai peur que mon prochain livre ne soit pas aussi bon que le dernier, ce qui me ferait penser que je suis fini…

Q : Est-ce qu’un auteur est capable de faire ce jugement ?
Jack Vance : Qui d’autre ?

Q : Le public.
Jack Vance : Eh bien,c’est discutable, J’imagine qu’une fois encore il faut se fier à son compte en banque. En tout cas ça marche pour moi, au sens où, mieux je me sens dans ma peau d’écrivain, plus je gagne de l’argent. Je ne serai probablement jamais riche, mais depuis quelques années, j’ai fait mon entrée dans l’échelon inférieur de la classe moyenne. Je ne gagne probablement pas autant d’argent que vous.… Mais au moins, je survis.

Q : Barry Malzberg évoque l’importance de l’idée de survie dans ce que vous écrivez… On pourrait espérer que des auteurs n’ayant pas une grosse production gagnerait au moins de quoi vivre, et que des gens aussi connus que vous gagneraient eux, beaucoup d’argent. Et on revient au thème précédent : n’est-ce pas une honte qu’un auteur avec autant de livres que vous à son actif, un auteur de votre stature dans son domaine…
Jack Vance : Oh, je ne suis pas démuni. J’ai de quoi survivre… Je ne gagne pas assez, mais j’ai le minimum vital… En réalité très peu d’écrivains de science-fiction parviennent à gagner leur vie correctement. Asimov a fait un peu de fric, mais je ne sais pas si c’est venu de la science-fiction ou des autres choses qu’il a rédigées…Silverberg a gagné beaucoup d’argent mais il m’a confié en avoir gagné plus avec ses livres documents qu’avec ses livres de fiction. Frank Herbert a empoché pas mal de pognon, mais il a commencé avec un livre intitulé « Dragon in the Sea » ou quelque chose comme ça, qui a forgé sa réputation. Ensuite il a écrit « Dune » qui est devenu un best-seller au-delà même des limites de la SF. Il existe à présent un type nommé Carter, pas très connu encore du public, mais d’après ce que j’ai compris, il vient de vendre une histoire au cinéma. Je ne sais pas combien ils lui ont donné pour son livre, mais je sais que le budget du film est de sept millions de dollars, dont Carter en obtiendra peut-être trois... Non je plaisante. Il mérite ce qu’il va gagner, c’est un travailleur de force, il a travaillé, publié et injecté énormément d’enthousiasme en Science Fiction. Je n’ai pas lu ses livres, donc je ne peux pas en parler, mais s’ils les a vendu, c’est qu’il le mérite. J'en suis très heureux pour lui.

Q : Vous écrivez dans deux genres différents, la SF et le polar, il est possible de gagner de l’argent dans un genre comme dans l’autre…
Jack Vance : Je n’en suis pas sûr, plus maintenant…

Q : Pourquoi ?
Jack Vance : Je crois qu’on a atteint le zénith du genre, qu’on l’a dépassé, et qu’on en est au déclin. Il existe certains auteurs, Len Deighton et John Le Carré ont produit des livres assez puissants pendant un certain temps, mais je pense qu'il n’existe plus vraiment de gros producteurs de ce genre de fiction. Ils sont presque tous morts. Il y a dix ou quinze ans, le roman policier était une partie intégrante de la culture populaire, mais plus maintenant. Je crois que c’est la télévision qui a tué le polar. Mais, selon moi, la Science Fiction ne s’adresse pas au même public que la télé. Le public auquel s’adresse la SF est composé de jeunes gens vifs d’esprit entre 13 et 25 ans, et, peut-être que, s’ils y prennent goût, ils continueront à en lire. L’auteur de SF écrit pour des jeunes qui ne s’intéressent pas beaucoup à ce qu’on leur propose à la télé.

Q : Avez-vous une définition, satisfaisante de votre point de vue, de la Science Fiction ?
Jack Vance : Un auteur a parlé de « fiction spéculative », ce qui est, je crois, la définition la plus juste à mon sens… (…) La SF représente quelque chose de complètement de différent de la littérature, ce n’est pas une branche de la littérature…

Q : C’est du dodécaphonique… comme chez Ravel…
Jack Vance : Non c’est Schœnberg,et c’est l’atonalité dont il parle, cela signifie que vous utilisez les notes de la gamme sans références aux modes déjà existants. Il est facile de considérer la SF comme un sous-genre de la littérature générale, mais ce n’est absolument pas le cas en réalité. Ces deux modes d’expression ont en commun de se servir de mots, d’intrigues, de personnages, mais ils ne se ressemblent pas vraiment. Si vous prenez un morceau de sculpture par exemple et un bois de frise ornementé, vous pouvez vous dire que c’est la même chose, ça taille dans la matière et ça se sert d’une ressemblance avec quelque chose d’existant. Pourtant ce sont des choses qui diffèrent d’une manière essentielle, dont l’esthétique n’a rien à voir. J’aime me référer au Jazz et à la musique classique. Les deux se servent des mêmes mesures… parfois des mêmes instruments, jouent les mêmes gammes majeures et mineures, la même écriture. Et pourtant il est très difficile de les comparer. Beaucoup de gens ont commis cette erreur. Gershwin aurait dû se méfier, quoiqu’il ait gagné un fric fou, mais il a donné une interprétation du Jazz en termes classiques et ça l’a rendu très populaire. Mais ce n’était plus du Jazz. De la même manière, la SF a aussi peu de rapports avec la littérature générale, que le Jazz n’en a avec la musique classique. Les tentatives de jeter un pont entre les deux sont vouées à l’échec. Ça arrive par exemple dans les Star Trek, où quelqu’un a décidé de transmettre la Science Fiction aux masses. Ils utilisent des thèmes de la SF, de la même manière que Gershwin utilisait certains clichés du Jazz, pour les rendre digestes au grand public. Bien sûr, ça leur a réussi au-delà de toute espérance. Mais ça ne me met pas en colère. Ça vous met en colère, vous ?

Q : Évidemment, l’art de mauvaise qualité me met de mauvais poil, mais …
Jack Vance : Je me suis souvent posé la question de savoir ce que je ferais si on me proposait d’écrire des épisodes de Star Trek. Ma première réaction serait : "Combien ?". Ensuite… Non, je crois que ça ne m’intéresse pas finalement sauf pour une somme qui excède leur budget.

Q : Quand même, j’ai souvent descendu la série, mais ils ont sortis certaines choses parfois…
Jack Vance : Mais qu’est-ce que vous pouvez dire sur la guerre et la paix, à part que la guerre c’est mauvais, et que la paix, c’est parfois bon… Je trouve que c’est une perte de temps magistrale pour une série avec un budget pareil, c’est de l’enfoncement de portes ouvertes, et elles ont été arrachées de leurs gonds depuis longtemps. On n’a pas besoin d’une série de SF pour décrire les horreurs de la guerre. Il y a d’autres moyens.

Q : Vous voulez distraire quand vous écrivez, avez-vous un autre but ? Voulez-vous changer le monde, des points de vue que vous souhaitez partager ?
Jack Vance : Oui et non. D’une certaine façon, c’est impossible à éviter, ne serait-ce que par la façon dont les mots se succèdent dans la phrase. Cela établit une image de l’univers. A chaque fois qu’on avance un mot après un autre, on ne propose pas un point de vue, mais une vision du monde…

Q : Mais encore, d’une façon plus générale ?
Jack Vance : Eh bien disons que je pense qu’il est dangereux de perdre et de détruire les traditions par exemple, et l’espèce humaine est en train de s’en débarrasser à une vitesse alarmante. J’aimerais voir notre héritage préservé, les anciennes façons de s’exprimer, coutumes musiques, etc. On avance dans la vie en tirant du plaisir de la complexité de celle-ci. Les traditions étranges, les coutumes arbitraires, ajoutent de la complexité à la vie. Prenez le football par exemple, c’est selon moi un sport d’un ennui mortel. Par contre, le base-ball, avec ses bizarreries, est un jeu très arbitraire et bourré de petites règles insolites, on ne peut pas faire ceci, mais on doit faire cela, c’est ce qui rend le jeu intéressant. Au foot, une équipe shoote dans la balle d’un côté et l’autre équipe renvoie dans l’autre camp de la même manière. On m’a expliqué qu’il existait quelques règles, en foot, qui rendait le jeu un peu plus compliqué... Les échecs sont nettement plus intéressants que le jeu de dames, grâce à toutes ses règles arbitraires. Si vous simplifiez la vie au point d’en faire une partie de foot ou de dames, vous la rendez très ennuyeuse. Les coutumes, même apparemment insensées, ajoutent du piquant à la vie. En Angleterre, par exemple, il existe une loi selon laquelle on a le droit d’uriner sur la roue gauche d’un véhicule, un droit garanti par la loi, droit coutumier. Alors que si vous pissez sur l’autre roue, on vous déportera aux colonies. Si vous sortez d’un pub en Angleterre souvenez-vous en, la roue gauche, pas l’autre. Il survit des tas de règles de ce genre en Angleterre,et je trouve qu’il devrait en être de même ici. Notre vie s’écoule maintenant sur un rythme très rapide, un jour ceci est à la mode, le lendemain, c’est démodé.

Q : Vous essayez de ralentir la roue du temps…
Jack Vance : exact…

Q : Pensez-vous que notre vie va trop vite ?
Jack Vance : C’est un truisme, regardez ce qui se passe dans les moyens de communication, ça part dans tous les sens à la vitesse de la lumière. C’est très vite ennuyeux, de nouvelles modes naissent toutes les semaines, alors qu’il y a quelques années, ce n’était qu’une fois par an, et avant, une fois tous les deux ou trois ans. Qui sait quel sera le rythme dans l’avenir…

Q : Est-ce que ça s’applique aussi à l’écriture ? Trop vite fait, sans profondeur ?
Jack Vance : Trop vite et sans profondeur sont deux notions différentes. En d’autres termes, on peut avoir une grande vitesse d’exécution et être d’une profondeur shakespearienne. Nous participons tous à ça, de toute façon, cette hâte des moyens de communication,que faisons-nous d’autre en ce moment même ?… Que ce soit bien ou mal, est hors propos, nous vivons ainsi… Je ne me vois au fond, pas autrement que comme un artiste qui essaie de vivre de son art.

Question d’un auditeur : J’ai remarqué que vos romans étaient souvent narrés d’un point de vue pré-industriel. Est-ce que vous avez l’intention d’écrire des choses qui rentreraient dans une acception plus large de la technologie ?
Jack Vance : Une des raisons pour lesquelles je n’écris pas sur la télépathie, ou la prémonition, etc, c’est qu’il est difficile de savoir où on s’arrête. Ça dépasse l’aptitude à construire une intrigue intéressante. Et c’est pour la même raison, que je n’écris pas souvent sur les sociétés où règnent les technologies de pointe. Lorsque vous avez des choses comme la communication instantanée et la cryogénisation, ça vous rend si puissant, tout devient si facile que le conflit avec les phénomènes naturels disparaît. Vous abandonnez d’avance la moitié de ce qui fait l’intérêt d’une histoire.

Question d’un auditeur : Dans une de vos nouvelles, vous traitez de la longévité. Ce qui m’a impressionné, c’était votre façon de l’aborder sur un plan personnel, et de raconter quel déséquilibre était alors engendré, entraînant l’individu à des excès. Et c’était fascinant, parce que cela paraissait tellement réel. On se disait qu’on verrait peut-être ça au cours de son existence...
Jack Vance : Si vous pensez à une société de technologie de pointe et vous avez certainement vu dans des actualités récentes, où il est question de vivre un siècle, l’humanité sera forcée de considérer la nécessité de trier ceux qui auront le droit de vivre aussi longtemps, et ceux à qui cela sera interdit, en admettant que nous ne réussissions pas à coloniser Mars. D’une manière ou d’une autre ces considérations seront dictées par les accomplissements de l’individu. Tel était le thème de cette nouvelle.

Question d’un auditeur : Je suis un de vos lecteurs, j’aime particulièrement la série des « Princes Démons », je me demandais si vous alliez poursuivre…
Jack Vance : J’attends depuis un moment d’obtenir un contrat global d’un éditeur désireux d’acheter cinq livres, incluant deux rééditions et deux nouveaux romans, mais ça n’a jamais rien donné. C’est à dire que je ne veux pas travailler sur les deux nouveaux romans de la série et céder les droits des trois premiers. Jusqu’à ce que je puisse obtenir un contrat global pour la réédition et les deux nouveaux romans, je laisse ça de côté.

Question d’un auditeur : Est-ce qu’il vous arrive d’être bloqué ? De ne plus pouvoir avancer dans un livre ?
Jack Vance : En général, au deux tiers d’un livre, je suis dans une impasse absolue.Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire pour finir ce bouquin. Et il m’arrive de ne pas m’en sortir. On m’a un jour demandé une nouvelle pour laquelle j’avais une bonne idée de départ, et je me suis retrouvé absolument coincé à un certain moment, toutes les fins possibles me paraissaient déjà vues. Alors j’ai dû modifier cette histoire, la transformer, elle est passée d’un degré cosmique à une simple histoire de relations personnelles. L’éditeur n’était pas satisfait, et j’ai passé des mois à la bricoler. Il arrive qu’on rencontre des problèmes dont on ne trouve pas la solution. J’imagine qu’un génie pourrait la trouver. Earl Hines, le pianiste, par exemple,se plonge lui-même dans des impasses harmoniques, mais comme c’est un génie, il s’en tire la plupart du temps, pas toujours, c’est normal.

Question d’un auditeur : Vous écrivez aussi des romans policiers ?
Jack Vance : Je n’en ai pas beaucoup écrit ces derniers temps à part « Méchant Ronald », dont on a fait un téléfilm. Je crois que je n’en écrirai plus. La Science Fiction - un mot horrible, comme le Jazz est un mot horrible pour une très bonne musique - me paraît le moyen le plus adéquat de s’exprimer. De toute façon je gagne plus d’argent dans la SF que dans le reste. En général, avec les polars, on est publié, grand format, poche, droits étrangers, avec la SF, j’ai parfois le grand format, toujours le poche, beaucoup de ventes à l’étranger et des rééditions. Si on additionne tout ça, on gagne plus qu’avec le polar. Bien que j’aie vendu « Méchant Ronald à la télé et gagné plus d’argent avec ça, qu’avec beaucoup d’histoires de SF. Mais on ne peut pas compter là-dessus.

Question d’un auditeur : Est-ce que vos éditeurs vous aident ?
Jack Vance : Non. Enfin si. On me fait des suggestions sur certaines histoires et si elles l'améliorent, je m’en sers. Mais je n’ai quasiment plus de contacts avec les éditeurs. Tout se passe à travers mes agents. Je pense que lorsqu’on a l’opinion d’un professionnel habitué à lire des manuscrits régulièrement, c’est comme chez le docteur, il faut y croire.

Question d’un auditeur : Et si vous n’aviez pas été romancier ?
Jack Vance : Oui je me suis posé cette question, parfois. Mais j’ai décidé d’être écrivain très tôt. Au départ je me destinais à être savant, mathématicien… quand j’étais très jeune.

Question d’un auditeur : Êtes vous fan de Martin Gardner ?
Jack Vance : Oui et non. Je ne l’aime pas, lui, personnellement, Je n’aime pas ses poses philosophiques, il m’agace, il est coincé, c’est un esprit étroit bien qu’il prétende le contraire. Campbell est un esprit large, ouvert, bien que Gardner soit plus intelligent. Campbell était plus profond, plus franc. Gardner m’énerve, parce qu’il balance ses opinions comme s’il s’agissait de faits établis. Et il tourne certaines idées en ridicule uniquement à cause de ses préjugés. Il existe des choses dans ce monde qui méritent d’être étudiées plutôt que tournées en ridicule,je pense à la parapsychologie, et je crois que Martin Gardner devrait plutôt garder l’esprit ouvert et devrait examiner les évènements ou les récits d’évènements, sur la base de leurs mérites plutôt que sur celle de ses préjugés, s’il veut être considéré comme un véritable savant. Ça vaut également pour Isaac Asimov…

Question d’un auditeur : Intéressant… ils ont en effet souvent des idées similaires…
Jack Vance : Ils sont dogmatiques.

Question d’un auditeur : Oui ils se prennent au sérieux, avec l’âge je suppose que ça nous arrive à tous…
Jack Vance : Je comprends Gardner, il a un boulot de cadre au New York Times Magazine, un boulot branché. Mais Asimov devrait être plus avisé. Il a vécu dans les cercles fondateurs de la SF, il a connu Campbell intimement, et celui-ci devait être furieusement dogmatique, dans d’autres domaines, mais peut-être Asimov a-t-il adopté cette attitude à cause du dogmatisme de Campbell lui-même.

à lire aussi

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?