Bon, j’ai une chose à vous avouer : je suis fan de Jean-Philippe Jaworski. Quand j’ai lu son jeu de rôle, Te Deum pour un Massacre (je n’ai pas eu l’occasion de trouver Tiers Âge, son autre JdR), j’ai adoré. Il y avait là-dedans de l’érudition, du vivant, de l’humour, et un talent certain pour suivre le fil du pouvoir et de ses conséquences. Te Deum est un travail historique de première force sur les guerres de religions, qui donne envie d’y passer du temps. C’est pour ça que quand j’ai pu lire Janua Vera, j’ai très vite eu peur d’être déçu. C’est que pour écrire des romans (ou dans ce cas précis, des nouvelles), il faut quelque chose en plus, à savoir créer une histoire intéressante et des personnages vivants. Le style et l’érudition ne suffisent pas.
Tenez bon
Or, ça commence mal. La première nouvelle du recueil, intitulée elle-même Janua Vera, est difficile à soutenir. Ecrite au présent, dans un style très ampoulé, elle demande un grand effort pour une intrigue qui, par principe, ne peut pas bien fonctionner, car elle repose sur les états d’âme d’un personnage, le Roi-Dieu, qui se refuse à avoir des états d’âme. Bref, c’est ardu. Personne n’aimant être déçu par les auteurs qu’ils aiment, j’étais assez embêté.
Et puis arrive ce rare miracle, un livre qui s’améliore au fur et à mesure. Les nouvelles suivantes sont bien meilleures ; certaines sont même des petits bijoux. Jaworski puise dans toutes les classes sociales, tous les environnements, pour dresser autour de ses personnages le portrait de son pays imaginaire, le Vieux Royaume. C’est un royaume de fantasy, certes, mais rendu infiniment plus riche, plus vraisemblable et plus complet par l’indéniable talent universitaire de l’auteur. Les personnages en sont réalistes, cruels et parfois héroïques. Surtout, les ambiances sont très fortes, rendues crédibles par des détails savoureux.
Divers mais solide
Bien sûr, même parmi ces histoires-là, certaines sont meilleures que d’autres. J’ai eu beaucoup plus d’intérêt à suivre Benvenuto, l’assassin qui se démène pour sauver sa vie dans le panier de crabes de sa cité natale, qu’à écouter les combats intérieurs et extérieurs de Cecht, le guerrier barbare qui s’est abruti de violence depuis des années. Les dénouements sont parfois un peu convenus, pour des intrigues qui mériteraient mieux que cela. Mais même parmi celles auxquelles il manque quelque chose, l’intérêt est là qui fait tourner la page suivante avec avidité.
Jaworski adapte son style à ses ambiances et à ses personnages, ce qui est la marque d’un bon auteur. Son monde, bien que diversifié comme beaucoup de mondes de fantasy, est cohérent et se tient, et même s’il y a des situations et des personnages avec lesquelles l’auteur s’amuse visiblement plus, toutes (sauf peut-être la première nouvelle) donnent l’impression de mériter leur place dans ce recueil. Surtout, le monde est assez vaste pour qu’on pense qu’il y aura toujours matière à en tirer des histoires. Et même pour qu’on l’espère.