Adèle est en train faire les courses que sa mère lui a demandé, lorsqu’elle rajoute au moment de payer un paquet de chewing-gums : de simple objet de consommation et de tentation, le paquet va devenir prétexte à une fable dense et fine, mettant en jeu des questions aussi vastes que la culpabilité (le vol des chewing-gums), l’image de soi (l’illusion et le désir d’être parfaite ou la posture de rébellion), la différence dans la fratrie (la mort de la sœur), la solitude individuelle (qu’est ce qu’être responsable ?), la quête et la sensation du vivant avec le rôle du corps omniprésent. En effet, Adèle est passionnée par les expériences qu’elle mène avec son microscope et souhaite devenir chirurgienne ; elle explore également son propre corps; il y a aussi un corps absent, celui de sa sœur ainée morte; enfin le remède à la douleur débordante sera le refuge dans le corps d’un autre, les bras enlaçants de la mère, lieu d’une tendresse absolue.
Adèle est une adolescente qui scrute le vivant : en volant, elle tente une petite digression dans sa vie et en donnant ainsi un coup de poing à sa vie bien sage elle fait monter l’adrénaline, et crève ainsi l’abcès d’une forte dose de culpabilité latente. Afin de réfléchir plus avant, elle convoque alors deux figures, « sœur Emmanuelle », la petite sœur des pauvres, modèle de générosité et de don de soi mais aussi Emmanuelle la sœur aînée détestée et décédée. L’humour et la distance avec soi même rôde en permanence entre les lignes; pour exemple le passage où l’on apprend que Sœur Emmanuelle se masturbait ; pas si parfaite ! Alors le gout si exquis de ce bonbon volé, d’où vient-il ? Du bonbon ou de la transgression ? Adèle sortira du récit réconciliée avec elle-même et avec la vie : »Je ne suis pas sœur Emmanuelle, je ne le serai jamais. Mais à l’heure qu’il est, j‘ai un grand avantage sur elle, c’est que je suis vivante et que j’ai bien l’intention d’en profiter. »
Carine Tardieu réussit avec ce récit qui se déroule à partir d’une situation très circonscrite (l’oubli et le vol du paquet de chewing-gums), un magnifique voyage au pays de l’adolescence. Une soixantaine de pages où l’on retrouve cette qualité « à fleur de peau » de son univers tant cinématographique que littéraire. Un texte d’une grande sensibilité et un regard sur l’adolescence d’une grande acuité.
L’entretien réalisé en 2003 par Livres au Trésor livre un beau portrait de l’auteur
http://www.livresautresor.net/livres/e3592.htm
La chronique de 16h16 !