Derrière le rêve, le cauchemar pointe
Quelque part dans l’avenir, Proctor Bennett est le « passeur » de l’île de Prospera, c’est-à-dire qu’il emmène les retraités et les personnes malades vers l’île de la Crèche où on regénère leurs corps et où on efface aussi leurs souvenirs pour ensuite leur offrir une nouvelle vie auprès de parents qui les adopteront (les gens de Prospera sont stériles, normalement). Ce moderne Charon mène une vie plutôt paisible avec sa femme Elise… sauf qu’il ne s’est jamais remis du suicide de sa mère adoptive et qu’il rêve, chose inhabituelle à Prospera. Proctor garde tout pour lui. Mais le jour où il doit emmener son père adoptif, Malcom, au ferry qui mène à la Crèche. Ça dérape. Malcolm craque, veut s’échapper. Et lui lâche des mots comme « Le monde n’est pas le monde » ou encore Ouranos. Tout a été filmé par les caméras, Proctor est désormais surveillé.
Et il y a cette jeune fille, Caeli, pour qui Proctor se prend d’une affection toute paternelle et à qui il apprend à nager. Et puis il y a Théa, une marchande d’art appartenant à un groupe de résistants qui s’intéresse aussi à Proctor. Et son « père » avait raison : le monde n’est pas le monde. Mais toute vérité fait mal…
Un page-turner efficace comme on dit
Justin Cronin a remporté un grand succès avec Le Passage, sorti en 2011, puis avec Les Douze et La Cité des miroirs. Avec Le passeur de Prospera, il nous transporte dans un monde presque paradisiaque où tout semble aller pour le mieux, loin de la folie des hommes. On se croirait dans un rêve, sauf que ça craque vite. Plus la narration avance, plus la vie de Proctor apparaît comme une illusion, y compris son mariage. On comprendra à la fin que tout ceci repose sur un mensonge, peut-être orchestré pour sauver l’humanité (yeah) mais n’en disons pas plus. On reprochera à l’auteur d’avoir voulu écrire une histoire d’illusion à la Dick en mode conspiration (jusqu’ici, ça va) et d’y avoir mêlé une veine sentimentaliste (le héros a perdu quelqu’un de très cher, à vous de lire) très à la mode pour pêcher du lecteur mais aussi très… fatigante. Dans la même veine, je préfère de loin Blake Crouch et sa trilogie Wayward Pines, plus en phase avec notre époque et notre peur de l’effondrement. Mais je sais aussi que beaucoup n’ont pas mes préventions et apprécieront. Ainsi va la Force…
Sylvain Bonnet