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Katastropha

Cycle/Série : 
Langue d'origine : Russe
Aux éditions : 
Date de parution : 01/10/2015  -  livre
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Katastropha

En général, et mis à part les auteurs anglo-saxons, les Français sont rarement familiers des écrivains de science-fiction étrangers. Pourtant, Sergej Tarmashev est loin d’être un inconnu en Russie : né en 1974, cet auteur fécond jouit d’une grande notoriété dans son pays natal. Si l’on ne sait pas grand-chose de sa vie, la science tactique mise en œuvre dans ses écrits et la précision de ses descriptions de combat soulignent son expérience des forces spéciales du service de renseignement militaire russe (le GRU). Katastropha (2008), son tout premier livre traduit en français, est le premier volet d’une série post-apocalyptique composée de huit tomes et acclamée par ses lecteurs. Dans ce futur situé après un conflit nucléaire dévastateur, Tarmashev s’intéresse à la permanence des luttes de pouvoir et à la résurgence de la violence humaine.
 
« La guerre ? Mais quelle guerre ? Nous n’étions plus dans ce XXe siècle semi-sauvage ! »
 
29 août 2111, la Grande Catastrophe frappe : les différentes puissances mondiales s’autodétruisent à coup de missiles nucléaires et réduisent la civilisation à néant. Est-ce pour autant la fin de l’humanité ? Non : de petites communautés parviennent tant bien que mal à survivre au sein d’une poignée d’abris dispersés à travers le monde… Le bunker Podzemstroï-2, dans le nord-ouest de la Russie, est le plus grand d’entre eux, mais son intégrité est menacée : une poignée de soldats courageux est alors chargée d’effectuer diverses opérations de maintenance à l’extérieur malgré le taux mortel de radiations. Gravement atteints, les membres de ce commando spécial sont finalement plongés en stase dans l’attente des progrès médicaux qui pourront les sauver.
 
2858, l’ancien monde a sombré dans un passé mythique. Malgré une planète toujours sinistrée, les descendants des survivants ont su prospérer grâce à leur pacifisme. Mais au sein de l’abri russe, Artorius, un politicien ambitieux et jaloux, est prêt à tout pour prendre le pouvoir : or, la légende ne raconte-t-elle pas que de puissants guerriers du passé et leurs armes destructrices patientent toujours, quelque part dans le secret de l’immense bunker ?
 
Sept siècles après la fin du monde, les rouages de la violence se remettent à grincer.
 
Quand l’imaginaire russe jette un regard du côté de la catastrophe nucléaire
 
Avec son intrigue fractionnée en trois temps bien distincts – une introduction et deux parties –, Katastropha peut déconcerter mais permet à Tarmashev de mettre en place une dynamique scénaristique dotée d’un certain potentiel : que se passe-t-il quand les fantômes d’un passé sanglant et révolu sont convoqués dans une société qui a tout oublié de la violence et de la guerre ?
 
Sur fond de conflit économique et de crise écologique, l’introduction nous relate assez longuement, à travers le regard cynique d’un oligarque russe, les évènements qui conduisent à cette Troisième Guerre mondiale tant redoutée par la science-fiction post-apocalyptique depuis les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki. La première partie, quant à elle, décrit un immédiat après-apocalypse plutôt atypique : loin de ces romans qui font le constat de notre incapacité à gérer une telle catastrophe et à y survivre sans sombrer dans le chaos et la barbarie, Katastropha surprend par le sang-froid et l’humanité de ses personnages, ainsi que par la rigoureuse mais efficace organisation du Podzemstroï-2. Dans un registre ici clairement militaire, l’écrivain emploie un style précis et minutieux qui rappelle l’exactitude scientifique exigée par la hard SF. Cette première partie est ainsi constituée de descriptions nourries sur les diverses opérations menées par le commando chargé des missions extérieures. Une fois les éléments essentiels de l’intrigue mis en place, la deuxième partie exécute un bond en avant brutal de sept cents ans : c’est l’occasion pour Tarmashev de rentrer dans un type de récit post-apocalyptique plus classique et plus fantaisiste, moins tenu à la vraisemblance, et de nous lancer pour de bon dans ce qui le préoccupera dans le reste de la saga.
 
Entre son découpage scénaristique risqué, son rapport détaché envers des personnages dont l’on peine à se souvenir du nom et des dialogues qui manquent souvent de naturel – mais qui souffrent peut-être du passage du russe au français –, il est difficile pour le lecteur de s’impliquer émotionnellement dans cette histoire, malgré ses qualités. Mais Tarmashev se montre habile et révèle un certain talent lorsqu’il choisit d’adopter les points de vue de ces protagonistes ambigus que sont l’oligarque Chretsky et Artorius : les raisonnements froids et cyniques de l’un, mesquins et cauteleux de l’autre, adroitement rendus en focalisation interne, apportent au lecteur un éclairage inhabituel et astucieux sur les différents évènements de l’intrigue.
 
En tout cas, il est intéressant de noter que le ton n’est jamais désespéré. Contrairement à de nombreux auteurs européens et anglo-saxons qui se sont emparés de ce thème emblématique de la SF, Tarmashev ne souhaite pas nous raconter la défaillance de la civilisation mais plutôt une certaine résilience de l’humanité – dans ses qualités comme dans ses travers. À de nombreux titres, cette perspective russe sur l’après-guerre nucléaire rafraîchira donc agréablement les lieux communs du genre, tout en restant dans l’alignement d’un fameux roman comme Un Cantique pour Leibowitz (1961) dans sa façon de questionner la violence de l’histoire humaine et notre capacité à apprendre de nos erreurs.  
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