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Kathleen

Fabrice Colin ( Auteur), Caroll Planque (Illustrateur interne, Illustrateur de couverture), Elvire De Cock (Illustrateur interne)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 31/01/2006  -  livre
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Kathleen

Lorsqu'il n'écrit pas à quatre mains des romans en six jours chrono et qu'il ne fait pas subir les derniers outrages à d'innocents anatidés, Fabrice Colin est un amoureux de la forme. Un écrivain qui explore les possibilités du récit, pour généralement en revenir avec des œuvres très personnelles. Colin aime se colleter avec ses histoires, jouer avec l'écrit et le style, et prendre son lecteur par surprise. Parfois même un peu au dépourvu.

Rentrer dans l'univers de Kathleen, c'est avant tout accepter l'invitation au voyage. Un voyage essentiellement intérieur qui vous emmène vers l'inconnu. C'est suivre la route de Louis Pardieu, Alzheimer terminal presque centenaire. Etrange vieillard né à l'aube du XXème siècle, et qui aura vu sa vie défiler au fil des morts tragiques. Sa mère tout d'abord, qu'il retrouvera pendue, puis son père, sa femme, ses amis, et surtout Kathleen.

Kathleen - Katherine Mansfield -, qui ne livra au monde que quelques nouvelles d'une surprenante poésie, femme forte et fragile qui sera - peut-être - l'unique amour de Louis.

C'est l'invraisemblable parcours de cet homme en cours de dissolution que tente de retracer Charles, son fils unique. De son père, il ne connaît presque rien. A la mort de sa mère, Charles a été élevé par son grand-père maternel et a passé son enfance en Nouvelle-Zélande, alors que Louis, dejà sexagénaire à l'époque, retournait vivre à Paris sur les décombres de son existence. Ce n'est guère que bien des années plus tard, à la mort de son grand-père, et alors que son père entamait juste sa longue descente vers le puit sans fond de l'oubli, que Charles est rentré en France.

Au lieu d'un dialogue père/fils qui jamais ne s'instaurera, Charles n'aura pour remonter le cours de la vie de Louis qu'une autobiographie romancée, écrite au début de sa maladie. Un journal a posteriori, qui posera plus de question qu'il n'en résoudra. A-t-il vraiment connu Katherine Mansfield ? Qui sont les membres de cet Institut qui semble tant s'intéresser à son père ? Que retirer du fatras de concepts fumeux de ce Gurdjieff - gourou improbable ou profiteur avisé - dont Louis semble avoir compilé et reformulé les écrits ? Et enfin comment un père peut-il ne laisser aucune place dans son autobiographie à son fils unique ?

Kathleen ne se livre pas sans résister. Rentrer dans cet univers étrange demande un peu de travail. Colin déroute, dissémine son information, pose son intrigue par petite touche. Puis le tableau d'ensemble se dessine lentement. Nous faisant passer alternativement de l'histoire de Charles, au journal de Louis pour enfin nous glisser dans l'esprit en déroute du vieillard qu'il est devenu, on se laisse doucement gagner par la délicate mélancolie de l'intrigue. On suit cette vie d'un siècle, qui va conduire ce fils de gardien de demeure bourgeoise de ses premières désillusions à cette déliquescence ultime et annoncée. On saisit le sens de sa quête, car il ne cherche finalement qu'un sens à la vie, une vie dont la fragilité et la futilité lui a trop tôt été démontrée. Kathleen est un long dialogue indirect qu'un père sur le départ entretient avec ce fils qui ne l'a jamais vraiment reconnu.

Dans la forme Fabrice Colin a choisi l'élégance. Le ton très direct de Charles se heurte parfois violemment avec la prose froide de Louis. Les incursions dans son esprit malade quant à elle, irritent dans un premier temps, avec leur découpage en colonnes alternées. Puis lorsqu'enfin on trouve l'extrémité de l'écheveau, on suit ce fil d'Ariane qui conduit au cœur du labyrinthe de l'oubli. C'est peut-être la partie la plus dispensable du roman, on y sent trop le goût de Colin pour l'expérimentation, mais elle participe de l'ambiance, et renforce d'autant l'impact des deux autres récits croisés. De fil en aiguille, se tisse une histoire en dentelle, presque diaphane. Dans le souffle. Kathleen est un accroc dans la normalité. Il réserve quelques passages d'une belle humanité qui se nichent dans l'écrin d'un fantastique contemplatif. C'est un roman ambitieux certes, mais qui s'en donne les moyens. Par la complexité de la forme, il atteint à la simplicité du message et démontre que Fabrice Colin est un écrivain qui cherche, toujours. Et lorsqu'il trouve, c'est très, très réussi.

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