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L'Âge des Lumières

Guillaume Sorel (Illustrateur de couverture), Jean-Pierre Pugi (Traducteur), Ian R. MacLeod ( Auteur)
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/12/2006  -  livre
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L'Âge des Lumières

Ian R.McLeod est un artisan. Un tailleur de pierre. Lecteur acharné de littérature de l'Imaginaire dans sa jeunesse, il avoue s'être fait la main entre 20 et 30 ans en travaillant sur un roman qui n'est jamais paru. Dommage. il s'agissait d'une uchronie – déjà – dépeignant le IIIème Reich arrivé au terme de ses mille ans prophétisés. Passé la trentaine, il a commencé à essaimer des nouvelles à droite à gauche, pour finalement se consacrer au roman à l'approche des quarante ans.

En France, en dehors de quelques rares textes, il a fallu Les Îles du soleil chez Folio SF, pour découvrir au long cours sa prose raffinée. Extension au format roman d'une novella récompensée par le World Fantasy Award, cela avait été l'une des belles surprises de l'année 2005. Une somptueuse écriture, empreinte d'humanité et d'empathie, qu'on brûlait déjà de retrouver, chez Lunes d'Encre cette fois, pour L'Âge des lumières, une uchronie victorienne qu'on nous annonçait pour le printemps 2006. Après moult déboires de traduction, voilà enfin ce qui, à raison, était annoncé comme l'un des événements de début d'année.

Ether

C'est dans une atmosphère qui évoque irrésistiblement l'Angleterre de Dickens que MacLeod nous embarque. Bracebridge, au nord du pays, est le site privilégié d'extraction de l'éther, et toute l'économie de la ville en dépend. L'éther est une étrange substance. Irradiant d'une brillance tour à tour blanche et noire, ne pesant rien, elle est un distillat naturel de magie. De puissants extracteurs l'arrachent jours et nuits, sans interruption, des profondeurs de la terre. Raffinée, elle va servir de matériau de base à toute l'industrie moderne. Aux mains des puissantes guildes qui détiennent les secrets des sortilèges que l'éther permet de fixer sur des objets manufacturés, elle va autoriser tous les miracles de l'ingénierie. Incorporée au métal elle le consolide et empêche sa corrosion, étirée en long filins elle porte sur des kilomètres les pensées des télégraphistes, tissée elle confère aux textiles une résistance à l'usure et une isothermie étonnante, peinte sur du bois, de la pierre ou du métal, elle plie la matière aux volontés des hommes. Sa découverte au XVIème siècle avait faite entrer l'Angleterre dans les premiers Temps de l'Industrie, et transformé irrémédiablement le pays. Source de sa richesse, et de sa puissance, l'éther l'avait tout autant libéré de l'obscurantisme du Moyen-Âge, qu'elle l'avait asservi au rythme de sa production, et enfermée dans un implacable système de classes, dont la clef de voûte reste les guildes.

Véritables castes d'artisans ou d'ouvriers, majeures ou mineures en fonction de leur commerce plus ou moins direct avec l'éther, l'appartenance à l'une d'elle détermine le statut social des citoyens. En haut les grandguildés - décideurs et actionnaires -, en bas, les bâtés, ceux qui ne sont affiliés à aucune guilde. Leur sort n'est guère enviable, mais il l'est toutefois plus que celui des anamorphes. Car si l'éther est une inestimable source de prospérité, c'est aussi une substance volatile, dangereuse. S'y exposer trop directement sature votre organisme de magie. Vous devenez alors un "troll". Créature pathétique, déformée au point de ne plus rien d'avoir d'humain. Une série de mutations imprévisibles et incontrôlables qui peuvent conduire jusqu'à la mort.

C'est le destin qui attend Mary Borrows. Son fils Robert, est un enfant solitaire. L'épreuve qu'il traverse, à mesure qu'il voit sa mère se dissoudre dans l'inhumanité, suite à une énigmatique et ancienne exposition à l'éther, le renforce dans son dégoût de la vie qui l'attend. Refusant de suivre les traces de son père et d'intégrer la guilde mineure des outilleurs, il décide de fuir Bracebridge, sa manufacture et ses extracteurs, pour aller tenter sa chance à Londres. Là-bas, c'est une vie de bâté qui l'attend. Il le sait et l'accepte à l'avance. Mais c'est aussi peut-être une vie différente, porteuse de l'espoir d'un monde nouveau, encore à bâtir. Un monde sans l'éther.

Empathie

Sur quoi repose l'étrange alchimie d'un roman ? Dans le cas qui nous intéresse ici, il est clair que l'intrigue de Ian R.McLeod est bien trop ténue pour efficacement courir sur quelques six cent pages. Indéniablement, son propos, qui pourrait se résumer à un constat de duplicité généralisée, paraîtra naïf. Au moins candide. Par ailleurs, la lenteur du rythme et le manque d'empressement à démarrer son histoire seront pour L'Âge des lumières un handicap qu'il faudra surmonter pour trouver son public. Pareillement lesté on pourrait penser que ce long roman traîne la patte. Pas faux. Il n'est pas parfait, et non dénué de défauts non plus. De structure notamment. Mais il a pour lui un incomparable trésor. Une richesse inestimable. Il est beau.

C'est toute la puissance de la plume de MacLeod, qui confirme ici le bien qu'on avait pensé de lui à la sortie des Îles du soleil. La formidable humanité de son verbe fait de ce lourd pavé une dentelle d'émotions contenues. Une palette d'impressions diffuses et pourtant soigneusement dessinées. Le pouvoir de Ian R.MacLeod, c'est de nous immerger dans l'Angleterre de cette étrange révolution industrielle, qu'on va pourtant immédiatement sentir familière dans sa différence. Écrivain de l'image, il trouve ses marques dans un classicisme anglais, quelque part entre Turner et Hogarth, et ce avec la même aisance qu'il paye tribut à Dickens pour l'écriture. Se nourrissant à ces racines, il parvient à en distiller un univers diaphane, fait tout entier de chimères, et qui a la consistance impalpable d'un rêve dans lequel on va lentement glisser. Qu'importe au fond la faiblesse de l'intrigue quand la rencontre avec un monde créé pour nous se fait si bien. Tant que l'on sent la fragrance des cheveux des femmes qu'il nous dépeint, qu'on entend résonner nos pas sur les pavés de l'East End, qu'on voit si distinctement défiler la campagne anglaise par les vitres de ce train qui nous emmène vers Bracebridge, et ses rues de maisons jumelles en briques rouges mal jointoyées. C'est la magie de l'écriture MacLeod qui, à son tour, permet à celle de l'éther de prendre vie. Naturellement.

On ne sort pas de L'Âge des lumières rassasié par une intrigue complexe et dense, mais l'esprit tout embué du brouillard montant de la Tamise, et plein d'images et sensations inédites. On lui pardonne tout car il nous offre le plaisir trop rare d'une écriture d'orfèvre à la puissance d'évocation ensorcelante. Il est douteux que ceux qui s'étaient ennuyés à la lecture des Îles du soleil se réconcilient ici avec MacLeod, mais les autres y retrouveront le grand auteur qui s'y dessinait, et feront comme moi. Ils attendront impatiemment une prochaine rencontre.

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