- le  

L'Aigle et le Dragon

Avril Sutter ( Auteur), Luis Royo (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 30/09/2002  -  livre
voir l'oeuvre
Commenter

L'Aigle et le Dragon

Il ne suffit pas de donner une épée et une robe de velours frappé à un personnage pour faire de la fantasy. Il ne suffit pas d'écrire 500 pages d'un monde médiéviste pour faire un bon roman. L'Aigle et le Dragon en est la preuve. Voilà un roman écrit par une jeune fille de 19 ans et, cela dit, bien écrit…On y trouve quelques jolies tournures, certaines même étonnamment matures et bien amenées. Mais ça ne suffit pas à faire passer l'ennui relatif de ce volume -le premier- et la maladresse des personnages.

Contrairement aux apparences…

Gil est un jeune homme délicat, poète, qui souffre d'être considéré comme le fils du cruel roi Davidas d'Astolistie. Séréna est la fille impitoyable, farouche et guerrière du roi Dévonis. La guerre gronde. Chaque pays entend bien la gagner et réduire son adversaire à l'esclavage. Alors que Séréna prend les armes, sûre de sa victoire et de ses principes, Gil cherche un moyen de fuir le combat. La première comprendra bientôt la condition du peuple qu'elle malmène et Gil celui des puissants qu'il méprise.

" Tu fais comme tu le sens "

Contrairement aux apparences, effectivement, ce roman n'est pas de la fantasy pure. On y retrouve plusieurs influences pour le moins étonnantes : un peu d'Angélique Marquise des Anges, un peu de Nikita (si, si), un peu de Xéna… Ce qui passerait encore relativement bien, si par ailleurs, les dialogues suivaient le joli style de Miss Sutter… Mais l'art du dialogue n'est pas donné à tout le monde et il faut beaucoup de courage pour ne pas lâcher le livre au premier " Stop ! Pensa le roi " sur lequel on trébuche par inadvertance (sommes-nous maladroits, tout de même…) . Cette incohérence de genre aurait été parfaitement rattrapable, si un correcteur un peu tatillon s'était penché sérieusement sur l'ensemble du roman. Ne serait-ce que pour rectifier un " chaaar-gez " à la typologie hasardeuse qui rappelle étrangement notre cher Capitaine Stark des Tuniques Bleues mais qui n'a rien à faire au beau milieu des considérations gothiques de notre auteur.

Un peu de psychologie dans ce monde de brutes

Quant à la psychologie des personnages…La fantasy et le moyen-âge nous ont habitués, hélas, à des protagonistes hauts en couleurs. Lorsque l'on suit le personnage de Séréna, princesse guerrière assez sympathique, on ne peut s'empêcher d'être choqué par moments par l'immaturité de sa psychologie. Sa mégalomanie lyrique, du moins au début, ses prises de conscience sur son état (tout à fait illogiques chez un être formé à devenir une reine cruelle et froide et dont l'ambiguïté n'est pas rendue), ne seraient que de petites erreurs tout à fait excusables, si elles n'étaient pas noyées dans un flot de verbiage et de digressions qui noient un peu l'intrigue principale. Et l'intrigue principale, quelle est-elle ? Une guerre entre deux peuples. Indissociables. Similaires. Sans corps. Une guerre parmi tant d'autres, sans quête et sans but, et déclinée sur l'air de " la guerre, c'est mal, ça tue des gens ". L'utilisation d'italiques, méthode ô combien usée et réutilisée, nous permet de rentrer dans la pensée des différents personnages, essentiellement féminins, trop nombreux, trop désespérés, trop tièdes, pourtant. Quant aux hommes dans ce roman ? Ils mentent, ils violent - beaucoup…et quand ils ne violent pas, on se plaint qu'ils le fassent…-, ils tuent, ils ont des élans psychotiques…Tous les clichés de la brute médiévale réunie, sans la douceur et la noblesse d'un de nos bons petits chevaliers à l'ancienne…

La réussite de ce roman tient encore faiblement aux deux protagonistes principaux, Séréna et Gil, dont les rôles s'inversent et se répondent. Dommage qu'ils évoluent dans une dizaine de petites histoires personnelles, dialogues sans fin censés donner du corps au roman, verbiage alambiqué pour " faire médiéval " et autres explications d'intrigues amoureuses assez naïves. Tout ça pour en arriver au Deus Ex Machina, une sorcière puissante qui connaît une bien étrange prophétie et se retrouve catapultée dans l'intrigue au moment où on vient de donner un dernier coup de pagaie éreinté vers une fin salvatrice… pour le lecteur…

Mais elle a tout d'une grande !

On doit reconnaître à Avril Sutter, du haut de ses 19 ans, un bon petit style et une fluidité de narration. On peut imaginer aussi qu'une fois passés ses partiels de Sciences Sociales à Mulhouse, elle développera la longue et rébarbative mise en place de son intrigue dans quelques autres tomes. On peut aussi lui prédire un avenir prometteur, si elle apprend à organiser sa matière, à ne pas ennuyer son lecteur, à considérer quels épisodes sont plus intéressants que d'autres. Et si, surtout, elle se plonge dans quelques écrits médiévaux pour donner une cohérence à son monde. De nombreux travaux sur la lexicologie et la syntaxe médiévales ont été publiés ces dernières années, devant un intérêt du public tout croissant et véhiculé en autres par la fantasy. Cela lui évitera les " Tu dois respecter la promesse que ton père a faite au roi, gna gna gni gna gna gna ", et autres formules qui passent très bien chez un Pratchett mais dénaturent un roman qui se veut fantastique médiéval. Avant tout, ce livre aurait mérité un bon allégement de la matière, surtout s'il est suivi de plusieurs autres tomes…Bref, attendons le second. En espérant qu'un peu d'érudition et de maturité parviennent à réparer les coups portés au joli style, à la volonté d'écriture et à la verve dont fait preuve Avril Sutter par moments, nous projetant dans des dimensions parallèles où son roman aurait tout eu d'un grand !

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?