René Sussan, plus connu sous le pseudonyme de René Réouven, fait partie des auteurs français que les plus fins d'entre les lecteurs considèrent comme une référence incontournable. Après avoir débuté en littérature générale dans les années cinquante, il écrira ensuite de nombreux romans policier dont de remarquables imitations du plus fameux des héros de Sir Arthur Conan Doyle, réunis sous le titre de Histoires secrètes de Sherlock Holmes. Il gagnera également le respect de la communauté science fictive en donnant un récit steampunk, Les grandes profondeurs, ou encore Un fils de Prométhée, qui revisite avec bonheur le mythe de Frankenstein. La collection Lunes d'encre peut s'enorgueillir d'avoir réuni ses meilleurs romans dans Crimes apocryphes, les deux forts volumes qui leur sont consacrés. Spécialiste incontesté des récits dans lesquels il résout brillamment les plus intrigants mystères de l'Histoire, nous le découvrons à l'œuvre dans le domaine de la nouvelle de science fiction avec les récits contenus dans L'anneau de fumée.
Un style exemplaire.
Ce qui frappe, chez René Sussan, c'est un style impeccable qui rappelle souvent celui des grands feuilletonistes du dix-neuvième siècle. Ce classicisme de la forme est cependant toujours tempéré par un humour subtil, mais qui n'exclut pas le recours aux calembours, comme dans ce texte où la surpopulation automobile nous fait sentir Le sale air de la peur ou l'image drolatique d'un Cours d'histoire consacré à la conquête de notre système solaire. Car l'auteur aime jouer avec les mots, sans pour autant négliger de nous proposer des réflexions qui pourraient avoir valeur d'aphorismes. D'autres nouvelles flirtent avec la poésie et les Rêveries lorsqu'il interroge le futur de l'espèce humaine, ou l'inéluctabilité du destin Ad vitam aeternam, mais c'est un poète logique, parfois jusqu'à l'absurde, quand il nous propose un Problème de géométrie pour le moins intrigant. Avec un texte en forme de pamphlet contre ceux qui tentent de nous imposer la morne vision d'une vie dédiée à l'utile, fût-il joint au désagréable, René Sussan nous prévient En matière d'introduction : ce livre est réservé aux rêveurs. Cela peut parfois mener jusqu'à La querelle, comme lors d'un discours sur les mérites comparés des androïdes d'origine biologique et des robots assemblés à partir de pièces métalliques et plastiques.
Des histoires pas si futiles et très agréables.
Bien entendu, le livre est parfois marqué par l'époque à laquelle il a été écrit et certains textes seront peut-être difficilement abordables pour les plus jeunes d'entre les lecteurs. Ils ne pourront pas forcément, par exemple, goûter pleinement tout le sel de la Devinette, un récit derrière lequel on devine en filigrane une fameuse chanteuse française des années soixante-dix. La grande culture de l'auteur émaille ses nouvelles de références classiques comme avec Coppelia, une fable humaniste sur la ségrégation. Mais c'est dans les récits où il fait, selon l'expression d'Alexandre Dumas, de beaux enfants à l'histoire, que René Sussan donne toute la mesure de son talent. Au Siècle des lumières, quelques taches d'ombre subsistent, que l'auteur éclaire magistralement avec Le grand sacrilège, qui sera repris dans le premier volume des Crimes apocryphes. Sphynx, une autre longue nouvelle, revisite de complexe d'Œdipe dans une Grèce futuriste et tente une forme de psychanalyse science fictive. Plongeant pour finir au cœur des racines de l'auteur, le recueil se conclut (presque) sur l'histoire de L'Oncle Betsa, qui nous introduit aux arcanes de la Cabbale avec l'enthousiasme d'un Spinoza qu'on aurait nourri de lectures lovecraftiennes... La signature de René Sussan / René Réouven suffit à ses lecteurs fidèles pour anticiper de longues heures de plaisirs intelligents et donne envie de la recommander à ceux qui ignorent encore combien elle est toujours gage de qualité.