Ecrivain boulimique, Thomas Day, âgé de seulement 37 ans, est l’auteur d’une cinquantaine de nouvelles et de plus de dix romans, parmi lesquels
Pinocchio au pays des tsars déchus
Il était une fois un savant fou, Viktor Hauser, qui du fin fond de son laboratoire de Nuremberg donna le jour à trois enfants : un cadavre de bébé ressuscité grâce à l’électricité d’une anguille, un automate en bois , Melchior , et un pur esprit qui se prend pour le Malin. Le premier devint fou. Le second devint le jouet génial d’Alexandre Ier, et le troisième s’est juré de tuer tout le monde.
Le récit débute en 1824, dans une Russie désenchantée par Bonaparte. Melchior, propriété du Tsar, joueur d’échec esclave, hyperbole peut-être des « cerveaux » qui font depuis toujours la gloire de l’ex-URSS, bref, Melchior est affranchi par son propriétaire. Soudain libre, il décide de partir à la recherche de son créateur, et nous suivons ses pérégrinations géographiques et existentielles grâce à des extraits de son journal intime, qui alternent avec les monologues endiablés de son frère, entité invisible à sa poursuite, qui passe de corps en corps avant d’en terminer avec lui.
Phénoménologie d’un automate
Les illuminations du Vilain dégoulinant de haine, qui se prend pour un archange de Dieu destiné à tuer ce qui n’a pas été créé par le Seigneur peuvent lasser assez vite… Bien heureusement, le livre fait la part belle au journal de Melchior, personnage mystérieux, au corps abstrait, dont on découvre peu à peu l’anatomie ludique. Ainsi, comme une montre, Melchior doit être remonté s’il veut continuer à vivre, et installe dans sa poitrine en acajou des cylindres d’anglais ou d’allemand en fonction des dîners auxquels il doit assister… . Émouvant, Melchior au cœur d’or nous conte sa vision du monde à travers la physiologie réduite dont il est constitué. Dénué d’ouïe et doté d’une vision réduite, il traverse un univers de silence, de gris et de flou qui le fascine. Aussi, sa mémoire - limitée elle aussi - est vite saturée, et il doit éliminer des souvenirs au fur et à mesure, mais non, jamais il ne se résoudra à neutraliser cette vue printanière des berges de
Mais au-delà des complexes physiques qu’il nous confie, il nous délivre surtout ses états d’âme. L’âme. En a-t-il une ? C’est l’une des questions qu’il voudrait poser à son père. Par sa complexité et son ambiguïté, Melchior nous fait penser à certain œil rouge, dans le vaisseau spatial de 2001, Odyssée de l’espace.
Une écriture remarquable
Des brouillards de Londres en pleine révolution industrielle au cœur de la tourmente d’une Afrique au bord de la guerre civile en passant par ses tribulations à Nuremberg, les nombreuses aventures de Melchior et la sensibilité avec laquelle il nous les conte permettent de restituer quelques temps forts de l’époque dont il est le témoin. Ainsi, l’évocation de Saint Louis enfiévrée, archaïque, au bord de l’insurrection, et la bataille technique à laquelle se livrent les ingénieurs d’alors pour avoir le train à vapeur le plus rapide, nous offrent un point de vue original sur cette période intense du XIXème siècle, servie de surcroît par la sobriété du style de Thomas Day, qui réussit à faire naître une vraie poétique de l’automate en quête de son âme parmi les turpitudes de l’Histoire.