Nous n'avons cessé, depuis la création de Bifrost, de mettre notre enthousiasme, notre passion, notre hargne aussi - souvent -, au service d'une idée somme toute assez banale qui
pourrait se résumer comme suit : il est possible de proposer (et vendre !) autre chose que des cycles de fantasy énormes et formatés, des sagas de space opera sans imagination et codifiées, bref, de défendre une littérature de genre qui n'hésite pas, justement, à se foutre des genres, une littérature intelligente mais pas chiante, engagée, qu'elle soit grave ou légère, et surtout, imaginative, novatrice et respectueuse de ses lecteurs… Dingue, hein ? De même, dans la foulée, nous n'avons jamais cessé de penser que ce truc-là, cet étrange objet qu'on appelle un bon livre, une bonne histoire, nous pouvions également le trouver sous la plume d'auteurs francophones… Encore plus dingue, quoi… Pour ce faire, nous critiquons, chroniquons, informons, nous décodons l'actualité des livres, des auteurs, mais aussi du milieu, du paysage éditorial, de la librairie, de l'édition en général, et ce depuis bientôt neuf ans. Le présent Bifrost est une parfaite illustration de cette profession de foi. Ainsi avons-nous souhaité, histoire de réaffirmer notre position, mettre à l'honneur les jeunes auteurs francophones en proposant (comme ce fut le cas dans les sept premiers numéros de la revue, d'ailleurs) un sommaire 100 % frenchy. Trois nouvelles, trois auteurs, trois genres ou sous-genres du même domaine science-fictif : le planet opera avec la novella humaniste d'Ugo Bellagamba ; le steampunk débridé, référencé et cocardier, avec l'étonnant Luc Dutour ; enfin, une S-F plus introspective, réflexion sur l'art, le désir et la beauté, avec le récit de Catherine Dufour. A ce sommaire fictionnel chargé répond notre dossier du trimestre consacré au paysage éditorial français. Il s'articule en deux parties. La première, informative, recense les principales maisons d'édition et collections spécialisées dans nos domaines - science-fiction, fantastique et fantasy. On y trouvera - outre, bien sûr, les coordonnées de ces structures - leurs spécificités, le nom de leurs responsables et les principaux auteurs de leurs catalogues. La seconde, plus conséquente, donne la parole aux éditeurs. L'occasion leur est ainsi offerte de s'expliquer sur leurs choix, de révéler pour certains leurs chiffres de vente (tous n'ont évidemment pas joué le jeu), leurs échecs et réussites, mais surtout d'exprimer leur avis sur l'édition de genre, les nombreuses évolutions (révolutions ?) survenues au cours des dernières années, et la place actuelle et future des auteurs francophones. C'est une opportunité aussi de faire plus ample connaissance avec certains d'entre eux, puisque n'oublions pas que s'il y a bien une nouvelle génération d'auteurs en France, il y aussi une nouvelle génération d'éditeurs… Enfin, au regard de la taille exceptionnelle occupée par la partie fiction de ce numéro, on ne retrouvera pas ce trimestre la rubrique " Profession science-fiction ". Elle sera toutefois de retour dès notre prochain opus, probablement en la personne de M. John Harrison. Pour conclure, avant de vous laisser plonger dans les univers débridés des auteurs du sommaire, je me dois d'apporter quelques éclaircissements quant au prochain numéro hors série de Bifrost. Certains le savent sans doute, il était initialement prévu pour septembre et devait être consacré à Fritz Leiber. Des problèmes de droits nous ont conduit à changer notre fusil d'épaule, en dernière minute ou presque. Point de Fritz Leiber, donc, mais à la place un Robert Silverberg. Ce changement inopiné n'a pas été sans générer un retard inévitable - on ne constitue pas une monographie de près de 200 pages dans un claquement de doigts. Notre troisième hors série (après ceux consacrés à Michael Moorcock et Jack Vance), devrait donc être dans la boîte aux lettres des abonnés d'ici la fin d'année et en librairie en janvier prochain… Quant à nos collaborateurs qui se sont échinés sur Fritz Leiber en vain (je pense notamment à Bruno Para), qu'ils reçoivent ici nos excuses.
Place maintenant à la S-F en France et à la S-F française - conclusion qui, gageons-le, devrait plaire à monsieur Dutour…
Olivier Girard