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Christopher Priest nous fait la totale

Olivier Girard (Redacteur en chef), Christopher Priest (Anthologiste), Bifrost ( Auteur)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 31/12/2005  -  livre
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L'Edito N°41

Le calme avant la tempête ? A voir… Si les années 90 marquèrent un indéniable renouveau dans le domaine des littératures de genre, avec, en particulier, l’éclosion de nouvelles structures éditoriales, le retour des revues spécialisées, l’avènement d’une nouvelle génération d’auteurs mais aussi d’éditeurs, l’explosion de la fantasy, l’information en direct via internet, média qui permit la cristallisation d’un nouveau noyau dur de fans, la création de manifestations financièrement dotées à grand potentiel public, etc., le début des années 2000 (2001, 2002 et surtout 2003), furent celles de la stabilisation. Autrement dit, de l’écrémage. Le retour de bâton fut pour certains fatal (ISF, « Imagine », « Millénaires », Rivages « Fantasy »…). L’édition est un secteur à forte inertie, aussi ne doutons pas que ce phénomène se poursuivra. Toutefois, 2004 et 2005 furent de bonnes années pour nos domaines (ce qui, ceci dit en passant, est loin d’être le cas pour l’édition dans son ensemble). La production, toujours pléthorique, bien sûr, semble tout de même s’être quelque peu stabilisée tout en gagnant en qualité, le marché assaini et les esprits apaisés. Aujourd’hui, brosser un panorama de l’édition de genre pourrait donner ceci. D’un côté les groupes, avec d’abord quatre collections de poche : Pocket « SF/Fantasy » (appartenant à Editis) ; J’ai Lu « SF/Fantasy » (Flammarion) ; Folio « SF » (Gallimard) ; le Livre de Poche « SF » (Hachette). Ces quatre collections poche (qui seront bientôt cinq, avec Le Seuil qui s’apprête à lancer une collection dédiée), peu tournées vers l’inédit, nourrissent leur catalogue avec des reprises. Des reprises faites le plus possible au sein de leur propre groupe (pour des raisons financières évidentes). Pocket avec Fleuve Noir « Rendez-vous ailleurs », le Pré aux clercs, les titres de S-F des Presses de la Cité, et bien sûr « Ailleurs & demain » chez Laffont (ici, ça pose quelques problèmes puisque le directeur de cette collection, Gérard Klein, dirige aussi une collection poche, mais au Livre de Poche, c’est-à-dire dans un groupe concurrent, voire ennemi juré d’Editis, Hachette). Folio « SF » avec « Lunes d’encre » (chez Denoël, propriété de Gallimard), et probablement aussi bientôt (s’ils ne sont pas trop stupides) aux éditions du Rocher, structure qui vient d’être rachetée par Gallimard. Pour J’ai Lu, c’est chez Pygmalion que ça se passe. Quant au Livre de Poche « SF » d’Hachette, ils ne possèdent pas d’éditeur grand format publiant de collection dédiée (hormis Calmann-Levy, qui ne fait pour l’heure que de la fantasy). On remarquera qu’à ce petit jeu, Pocket est clairement avantagé, l’éditeur bénéficiant du choix de grands formats le plus large au sein de son propre groupe… En fait, Pocket pourrait presque travailler de manière autarcique ! Car bien sûr, outre Pocket, tous ces éditeurs poche n’ont généralement pas sous la main assez de grands formats dans leur propre giron. Ils vont donc chercher ailleurs. Où ? Chez les éditeurs de grands formats dits « indépendants ». Chez ces derniers, on distinguera les structures de taille moyenne (disons de 6 à 15 employés), telles que Bragelonne ou l’Atalante, des structures encore plus petites mais pas moins intéressantes (le Bélial’, le Diable Vauvert, Mnémos, les Moutons électriques, Nestiveqnen, l’Oxymore, la Volte). Voilà pour le paysage. Je ne sais pas si c’est cette relative accalmie (moins de titres, moins de nouveaux éditeurs et nouvelles collections, moins de « place à prendre » dans les groupes, etc.) qui me donna ce sentiment, mais il est certain que, lors de mon séjour aux Utopiales de Nantes en novembre dernier (immense festival avec pas loin de 40000 visiteurs et des dizaines d’auteurs, offrant une occasion rêvée de « photographier » le milieu S-F au sens large), j’ai, pour la première fois en fait, trouvé ledit milieu remarquablement apaisé. Cela tient sans doute aussi au fait qu’il s’est considérablement ouvert. Et rajeuni. Ouvert aux filles, d’abord. Là, il nous faut probablement saluer la fantasy, qui nous a ramené un lectorat féminin jusqu’alors trop rare. Beaucoup de filles, donc, mais pas uniquement des lectrices : des auteurs, des éditrices, des traductrices, des illustratrices. Milieu qui s’est également ouvert sur des éditeurs qui ne font pas que de la science-fiction ou de la fantasy (le Diable Vauvert, par exemple, ou encore la Volte), et aussi, surtout, sur d’autres médias (les passerelles entre littératures de genre et BD sont en France de plus en plus fortes, espérons que le phénomène s’étendra bientôt au cinéma). Le calme avant la tempête ? A voir… Reste que ce festival de Nantes fut une formidable réussite, tant humaine que commerciale, voilà qui méritait d’être dit.

Donc, 2005 est morte, vive 2006 ! Une naissance que nous célébrons en grande pompe, avec un numéro 41 touffu à souhait. Un dossier Christopher Priest, pour commencer, avec plus de soixante-dix pages. C’était bien le minimum pour cet écrivain considérable, tout juste salué par le Grand Prix de l’Imaginaire pour La Séparation (Denoël), et qui nous régale ici d’une novella à couper le souffle ainsi que d’une interview « vérité » dans laquelle l’auteur du Don a vraiment « joué le jeu » en nous en disant beaucoup. Qu’il en soit ici remercié. A l’Anglais Christopher, répond Ted l’Américain. Ted Chiang, où l’étoile filante de la S-F outre-Atlantique, un auteur rare mais époustouflant, dont la collection « Lunes d’encre » nous promet pour le printemps un recueil : vivement ! Voici donc pour le chapitre des fictions, deux novellæ, deux coups de poing. Outre le « dossier Priest », auquel on rattachera « L’esprit du Blitz », un article/guide de lecture signé Xavier Mauméjean, ainsi qu’une chronique fort longue et éclairante de Futur intérieur par Jean-Pierre Lion, on soulignera le cahier critique, toujours aussi énorme, mais critiquant ce trimestre des livres d’une qualité générale assez remarquable (notre caddie est plein !). Qualité de production, soulignée plus haut, qui se confirme mois après mois et c’est tant mieux. Enfin on refermera cet opus, comme tous les premiers numéros de chaque année, avec nos chouchous à nous, notre prix du pire de l’année passée, les nominés et lauréats des incontournables Razzies 2006, le prix préféré de nos amis éditeurs…

Reste à saluer ici la mémoire d’un grand monsieur, qui aurait probablement apprécié l’esprit des Razzies. Auteur de certains des textes qui resteront parmi les plus hilarants et féroces du corpus S-F, formidable nouvelliste (Pèlerinage à la Terre), romancier inégal mais souvent inspiré (Eternité société anonyme, adapté au cinéma sous le titre Freejack, de même que sa nouvelle « Le Prix du danger »), Robert Sheckley nous a quitté le 9 décembre dernier à l’âge de 77 ans. Ceux qui ont eu la chance de le croiser, comme en 2004 au festival des Imaginales, garderont de lui le souvenir d’un homme extrêmement disponible, toujours souriant et, bien sûr, d’une irrévérencieuse drôlerie. L’un des derniers grands maîtres de la S-F s’en est allé. Il nous laisse une œuvre, délaissée par chez nous depuis quelques années, à redécouvrir d’urgence.

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