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Le Sommaire N°44

Olivier Girard (Redacteur en chef), Bifrost ( Auteur)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 30/09/2006  -  livre
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L'Edito N°44

Donc, les éditions de l’Oxymore, petite structure spécialisée dans le fantastique et la dark fantasy (même si ouverte aux autres genres), dirigées par l’écrivain Léa Silhol, ont mis la clé sous la porte. Comme nombre d’éditeurs indépendants, l’Oxymore publiait essentiellement des auteurs francophones (jeunes, pour beaucoup) et affichait un intérêt marqué envers la forme courte (intérêt notamment concrétisé au travers d’une revue thématique, Emblèmes). S’il est bien sûr possible de débattre de la qualité globale des titres proposés par l’Oxymore (on se souviendra entre autres de quelques traductions abominables), la fin de cette aventure éditoriale signifie avant tout la fin d’un espace de publication largement dédié aux auteurs français. Un de plus… Et la question de s’imposer d’elle-même : vers où se tourner ? Vers les Moutons électriques, d’abord. D’abord et peut-être bien seulement… En effet, cet éditeur est à l’heure actuelle celui qui paraît le plus ouvert aux auteurs français, connus autant qu’inconnus, qu’ils écrivent de la fantasy mais également de la science-fiction, aussi bien sous le format du roman que de la nouvelle — les Moutons ont ainsi récemment publié le premier roman de Laurent Queyssi, Neurotwistin’, ou encore le recueil Manhattan stories de Jonas Lenn. Une politique éditoriale courageuse, pour le moins, et sans doute unique. Naturellement, les Moutons n’est pas le seul éditeur à publier des auteurs français dans le domaine des littératures de genre. Mnémos et Nestiveqnen le font aussi, mais dans des proportions moindres que dans le passé et presque exclusivement dans le domaine de la fantasy. Idem pour Bragelonne, qui, sauf erreur, n’a pour ainsi dire jamais publié un seul roman S-F de langue française depuis sa création. Les éditions Octobre ne sortent que du français, mais aucun court récit et uniquement de la fantasy. Quant au Bélial’, l’éditeur de Bifrost, s’il publie bel et bien de la S-F française, y compris en recueil (ainsi, Le Monde tous droits réservés de Claude Ecken), il le fait à une échelle beaucoup trop réduite pour offrir aux auteurs un espace de publication réel. Reste donc, eh oui, les Moutons électriques, l’éditeur hexagonal qui publie sans doute le plus de nouvelles, que ce soit sous forme de recueils monographiques ou au travers de ses anthologies périodiques (Fiction et bientôt Fiction spécial). Bravo, oui, et courage, car il en faut !

On peut s’interroger sur les raisons de la réduction du champ de publication pour les auteurs d’expression française, réduction certes relative mais néanmoins prégnante, sinon en fantasy, en tout cas en science-fiction (sans parler du fantastique, un genre clairement sinistré — en attendant la collection dédiée chez Bragelonne, collection qui, après la fin de l’Oxymore et de « Thriller frantastique » au Fleuve Noir, se retrouvera en situation de monopole faute de concurrent sur ce segment). En termes de ventes, dans l’esprit des éditeurs, les facteurs aggravants sont simples à identifier. Les auteurs français vendent moins que leurs homologues anglo-saxons (un truisme pour beaucoup, mais qui, dans les faits, n’est pas si évident qu’il y paraît, l’écart étant en tout cas bien moins marqué qu’on le pense, et pas toujours dans le sens qu’on l’imagine, mais c’est ainsi…). La S-F vend moins que la fantasy (en revanche, voici une réalité pour l’heure incontournable). Un recueil vend moins qu’un roman (c’est souvent vrai, même s’il existe de récents contre-exemples). Un auteur débutant vend moins qu’un auteur reconnu (là encore, ce n’est pas toujours exact, en témoigne le succès considérable d’Alain Damasio avec La Horde du contrevent chez la Volte). Qu’elles soient ou non étayées par les réalités du marché, ces quatre constantes pèsent inévitablement sur le choix des éditeurs. D’autant qu’il en est une autre, particulièrement inhibante : la quasi certitude pour un éditeur grand format que publier un ouvrage cumulant deux des constantes évoquées plus hauts signifie l’absence d’une reprise chez un éditeur poche. Or, le partenariat poche est souvent une nécessité vitale pour une petite maison indépendante (publiant beaucoup d’auteurs français, dont un certain nombre de recueils, dans un domaine aussi moribond que le fantastique, l’Oxymore n’a pratiquement jamais rien revendu de son catalogue en poche, ce qui explique sans doute en partie son dépôt de bilan). A ce titre, la démission d’un éditeur comme J’ai Lu, qui soutint longtemps la production française, sous l’égide de Marion Mazauric, mais ne publie plus aujourd’hui en poche qu’Henry Loevenbruck, Pierre Bordage et Roland C. Wagner (et encore, pour ce dernier, est-ce tout récent), a fait des dégâts considérables (et explique entre autre qu’un auteur de science-fiction de la trempe de Laurent Genefort ne publie guère plus que de la fantasy dans des collections jeunesse ou aux éditions Octobre…). Reste Folio « SF » (Thomas Day, Ugo Bellagamba, Thierry Di Rollo, Francis Berthelot, etc.), mais pour combien de temps ? Chez Pocket, cela semble s’ouvrir un tantinet, ce qui relève de l’événement historique dans cette maison (Xavier Mauméjean, Christophe Lambert ou encore Claude Ecken sont tous annoncés dans les mois ou années à venir). Finalement, la vraie bonne surprise dans le domaine du poche vient de là où on ne l’attendait pas : le Livre de Poche « SF » — outre les propres auto-rééditions de Gérard Klein, on peut désormais y lire Colin Marchika, Xavier Mauméjean et bientôt Catherine Dufour. Tant mieux. Le sort des auteurs français, les jeunes en particulier, est de plus en plus lié à celui des éditeurs indépendants, qui sont désormais les seuls à s’autoriser le pari de la nouveauté. Toutefois, ces structures indépendantes, fragilisées par un marché orienté vers la seule fantasy alors que les ventes du domaine se tassent, risquent de se retrouver de plus en plus tributaires des éditeurs poche, éditeurs qui se tournent eux aussi vers la fantasy, faute de ventes suffisantes en S-F. D’où un nombre de titres en science-fiction très faible, y compris pour la S-F étrangère, mais a fortiori pour la S-F française. La S-F connaîtra-t-elle en France le sort du fantastique à l’heure actuelle ? Non, bien sûr, même si, pour les auteurs d’expression française de la génération d’après celle des trentenaires installés suite à l’embellie éditoriale des années 1995-2005 (les Heliot, Mauméjean, Day, Bellagamba, Colin, Calvo, etc.), la situation est préoccupante, pour le moins.

Reste que le paysage éditorial des littératures de genre bouge toujours énormément, c’est peu de le dire. Nous évoquions ici même, dans notre dernier opus, la floraison des collections de poche dédiées et la guerre marketing que ces dernières étaient appelées à se livrer, notamment sur le terrain de la fantasy. Historiquement, J’ai Lu et Pocket se partagent l’essentiel du « gâteau littérature de genre au format de poche » en France depuis des lustres, au sein de leurs collections respectives qui publient indifféremment S-F et fantasy. En octobre 2000, arrive sous la houlette des éditions Gallimard un concurrent de poids pour remplacer la vénérable mais moribonde « Présence du Futur » : Folio « SF ». Même politique que ses deux aînés : publier S-F et fantasy. Début 2006, c’est au Seuil de lancer sa collection poche. Comme son nom l’indique, « Points Fantasy » ne publiera que les émules de Tolkien (un grosse vingtaine de titres par an tout de même) ; ici, pas de science-fiction. C’est alors au Livre de Poche d’annoncer un pendant « Fantasy » à sa collection « SF » (dirigée par Gérard Klein) pour 2007. Mais là où le Livre de Poche fait encore plus fort, c’est qu’avant même la sortie de sa collection poche « adulte », l’éditeur du groupe Hachette vient d’annoncer pour le 2 novembre le lancement de la première collection poche « jeunesse » de… fantasy, évidemment. Au programme : du Bragelonne dans tous les sens, du Bragelonne disponible chez J’ai Lu en « adulte », qui plus est (« La Moïra » de Loevenbruck, « Shannara » de Brooks, « Krondor » de Feist). On imagine que chez J’ai Lu, ça doit tout de même être la soupe à la grimace… De même qu’on ne doute pas que l’éditeur réponde au Livre de Poche par le lancement de sa propre collection « Fantasy jeunesse » dès que possible ! A quand une autre chez Pocket ? Chez Folio ? Au Seuil ? Demain, soyez-en sûr…

Pourtant, à l’heure du tout fantasy, de la segmentarisation épileptique, du recyclage (Pocket annonce par exemple pour 2007 la publication d’une suite au Peter Pan de James M. Barrie…) et de l’étiquetage à tout va, on trouve tout de même des initiatives éditoriales enthousiasmantes, innovantes, voire franchement casse-gueule car prônant l’ouverture en allant à l’encontre des manœuvres évoquées plus haut. En un mot, des initiatives stimulantes. Ainsi celle de Sébastien Guillot, chez Calmann-Lévy, qui lance ce mois la collection « Interstices », où comment vendre de la littérature de genre sans le dire, donc à des gens sensés ne pas en lire. Pour se faire, deux impératifs : publier de la littérature « intersticielle » — Francis Berthelot parlerait de « transfiction » — de haut niveau, et faire en sorte que les livres de la collection susdite soient placés dans les librairies, non pas en rayon S-F/fantasy, mais bien du côté du mainstream. Après lecture des trois premiers titres d’« Interstices » (comme il se doit critiqués dans nos colonnes — rendez-vous page 107), le pari qualitatif est réussi, et de jolie manière. Le sera-t-il tout autant quant au référencement en librairie ? Il est trop tôt pour le dire. Reste que cette collection poussée par l’ambition d’ouvrir les littératures de genre à un nouveau public ne peut qu’enthousiasmer : une aussi belle idée servie par des moyens aussi conséquents, ça faisait longtemps qu’on n’avait plus vu ça…

Quelques mots enfin sur Bifrost. Cet ultime numéro de l’année 2006 propose notre premier dossier consacré à une femme écrivain de science-fiction : Joëlle Wintrebert. Selon notre habitude, il se constitue d’une très longue interview (une des plus longues que nous ayons jamais publiée) accompagnée d’une bibliographie, le tout illustré par une magnifique novelette inédite. Deux récits complètent le sommaire des fictions : des textes signés Jeffrey Ford (première apparition de l’auteur du Portrait de madame Charbuque dans nos pages, mais naturellement pas la dernière) et Jacques Barbéri (un récit S-F post-apo’, post-cyber’ et post-rock’n’roll totalement barré, comme il se doit chez Jacques). Quant à notre prochain numéro, qui paraîtra fin janvier 2007, il proposera non pas un mais deux dossiers, le premier consacré à Robert Charles Wilson à l’occasion de la sortie française de Spin chez Denoël « Lunes d’encre », le second à Greg Egan (suite à la toute récente sortie du recueil Axiomatique aux éditions du Bélial’, et avant la parution, programmée pour la rentrée 2007 chez le même éditeur, du recueil Luminous).

Me reste à vous souhaiter de joyeuses fêtes de fin d’année (eh oui, déjà !), et d’excellentes lectures d’ici là…


                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       Olivier Girard

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