Que retiendra-t-on de 2006 ?
Du bon et du moins bon, comme d’habitude.
D’un point de vue économique et de manière générale, le marché du livre, dans son ensemble, a réalisé une année assez pourrie, même si elle le fut moins que 2005. Les libraires sont toujours sur les dents (manque de trésorerie, manque de place pour gérer une production délirante et anarchique), la Fnac instaure à l’attention des diffuseurs et distributeurs des règles de gestions de flux de plus en plus drastiques… Bref, rien de bien folichon. Du côté des littératures de l’imaginaire, le marché s’est clairement resserré sur le grand format, au profit d’un livre de poche plus accessible (financièrement mais aussi géographiquement). La production n’en est pas moins restée pléthorique en grand format, notamment sur la fantasy, en dépit de la confirmation du tassement des ventes au titre amorcé depuis plusieurs mois déjà (il n’y a aucun hasard à ce qu’un éditeur comme Bragelonne lance des collections dédiées en science-fiction et fantastique, sans même parler de la publication des bouquins de Ian Fleming…). La situation s’est clairement précarisée pour un certain nombre d’éditeurs indépendants. L’Oxymore n’est plus qu’un souvenir, Nestiveqnen publie moins de livres (tant mieux), l’Atalante cherche à se diversifier, notamment avec la bande dessinée, etc. 2006 aura aussi été l’année du lancement de la très belle et étonnante collection « Interstices » de Sébastien Guillot chez Calmann-Lévy, de la moins belle collection fantasy jeunesse du Livre de Poche (initiative qui fera sans doute des petits), collection qui trouvera son pendant adulte chez le même éditeur en 2007 (on manque de fantasy, ça tombe bien…). 2006, c’est aussi les dix années d’existence des revues Galaxies et Bifrost, ce qui est tout de même une bien belle réussite. Une année au cours de laquelle, d’ailleurs, Bifrost a franchi la barre des 500 abonnés et des 900 ventes moyennes en libraires et VPC. Pas si mal. Et puis, 2006 vit également la publication de deux recueils de nouvelles de science-fiction de très haute tenue (un joli pari éditorial) : La Tour de Babylone de Ted Chiang (Denoël) et Axiomatique de Greg Egan (le Bélial’). Qui a dit que la science-fiction était morte ? Qui a dit que les éditeurs ne prenaient plus de risque ? Enfin, ce fut également l’année du départ pour un certain nombre de grandes figures de nos domaines d’élection, les dernières étant bien sûr Jack Williamson (à 98 ans tout de même), et Michel Demuth (le 29 septembre dernier, à l’âge de 67 ans). Michel était une figure centrale de la science-fiction française. Auteur doté d’une force d’évocation époustouflante (il faut lire « Les Galaxiales » et son recueil Les Années métalliques), scénariste BD pour Druillet (Yragael), éditeur multitâche (rédacteur en chef de la revue Galaxie, directeur de collection chez Opta de « Galaxie bis », « Antimondes » et du mythique « Club du livre d’anticipation », puis au Livre de Poche avec Jean-Baptiste Baronian, où il fonde la collection science-fiction, et enfin au Masque — où il s’occupera là encore de la S-F), et bien sûr traducteur de certain des chefs-d’œuvre du genre, tel le cycle « Dune » de Frank Herbert : Michel touchait à tout, avec enthousiasme et talent. Je me souviens de notre première rencontre, il y a quelques années, lors d’une soirée d’ouverture d’un Salon du Livre de Paris. C’était sur le stand des éditions Pocket/Fleuve Noir. Michel était pas mal entouré. J’avais publié quelques-unes de ses nouvelles dans Bifrost, mais nous ne nous connaissions pas. Je me suis fait violence pour l’approcher : merde, quand même, Michel Demuth, c’était pas rien ! Je me suis présenté en quelques phrases. Il m’a regardé droit dans les yeux, et les premiers mots qu’il a prononcés, ce sont : « Toi, t’as une bonne gueule. » Aujourd’hui encore, je ne sais pas trop ce qu’il entendait par là. En tout cas, ça m’a fait rigoler, et lui aussi. Après, nous avons pas mal picolé… Notre dernier échange, ce fut par mail, quelques mois avant son décès. Je lui demandai l’autorisation de faire un recueil de ses textes récents et/ou peu connus aux éditions du Bélial’, au nom de Pierre-Paul Durastanti, en charge et à l’initiative dudit recueil. Il était ravi et ne demandait qu’une chose : nous dépêcher, parce que ce serait tout de même trop con que ce recueil paraisse à titre posthume… Raté, oui. Et trop con, en effet. Mais ce type de connerie, on n’y peut rien, et ça ne nous empêchera pas de le faire, ce recueil… Car de Michel il nous reste les textes, et c’est déjà énorme.
Et voici que s’ouvre 2007. En fanfare, bien sûr. Avec un Bifrost gonflé de deux dossiers, l’un consacré à Robert Charles Wilson, l’autre au cultissime Greg Egan. Autre auteur culte à s’exprimer dans nos pages : Maurice G. Dantec, qui nous parle de son dernier roman et de ses projets futurs. Et puis bien sûr un volet critique exceptionnellement ample pour ce premier numéro de l’année, numéro qui, comme tous les ans à cette même époque, s’achève sur notre palmarès maison, les Razzies, le prix du pire, ou un passage en revue bête et méchant du plus médiocre de 2006. En somme que du bonheur, en attendant avril prochain et un numéro monstre consacré à la figure emblématique de la science-fiction en France, notre gourou à tous, maître Gérard Klein. D’ici là je vais me coucher : merci de me réveiller pour le prochain bouclage…
Olivier Girard