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L'effet Müller-Fokker

John Sladek ( Auteur)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/11/1973  -  livre
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L'effet Müller-Fokker

John Sladek (1937-2000), bien qu'originaire du middlewest, vécut en Angleterre durant presque vingt  ans et y publia notamment dans le magazine New Worlds. Cet auteur à l'humour dévastateur obtint le British SF award en 1983 pour Tik-Tok, une histoire de robot psychopathe. Il s'est également rendu célèbre par ses pastiches des plus grands noms de la SF, qu'il signait de pseudonymes aussi transparents que Chipdip K. Kill ou Hugogre N. Backs, réunis dans le recueil Un garçon à vapeur. Il écrivit également quelques romans non-SF, en particulier Black Alice en collaboration avec Thomas Disch.

L'effet motherfucker

Bob Shain perd son emploi de rédacteur technique et retrouve  du travail en tant que cobaye pour une expérience et sa personnalité sera enregistrée sur une bande électrochimique, une des quatre fameuses bandes Müller-Fokker en circulation. Il se fera tuer lors de l'attaque d'un groupuscule raciste, mais poursuivra néanmoins une existence virtuelle jusqu'à la fin du livre. Le révérend Billy Koch, pasteur médiatique et fondateur du parc d'attraction Bibleland, est en possession de la seconde bande et y fait enregistrer sa personnalité pour l'intégrer à un audiomatron, un robot créé à son image. Le peintre Ank est entré en possession de la troisième bande qu'il a intégrée à une machine à peindre de son invention. Quant à la dernière bande, elle se trouve entre les mains d'un groupuscule anti-communiste. Tous ces personnages se croiseront dans une suite kaléidoscopique de mésaventures qui culmineront par une gigantesque bagarre générale...

Je le crois parce que c'est absurde

À intervalles réguliers sont insérés des chapitres qui nous mettent en contact avec ce qui reste de la personnalité de Bob Shairp. Son bavardage intérieur, seul vestige de l'homme qu'il était, n'est qu'une suite de mots, embryons de pensées avortées et bribes de souvenirs. Certains autres passages à la mise en page proche des expérimentations d'Alfred Bester, ainsi que les chapitres à la narration éclatée illustrant les fêtes données par Glen Dale, le quadragénaire vierge qui dirige un  célèbre magazine érotique, participent à ce sentiment de vaine effervescence qui semble mouvoir l'Amérique vue par John Sladek. Cet apparent fouillis et toutes ces digressions donnent l'impression que ce livre est en réalité lui aussi une véritable bande Müller-Fokker de papier. Pour l'auteur, cette agitation a pourtant un sens : tout est absurde et s'il n'en fallait qu'une preuve de plus, la voici : en 1970, il imagine une Amérique dont le Président n'est autre que Ronald Reagan. C'est ridicule !

Résumer un livre de John Sladek est une véritable gageure, tant les personnages et les intrigues secondaires se chevauchent et s'enchevêtrent de façon apparemment inextricable. Parfois la lumière jaillit et tel passage acquiert un sens que l'on n'aurait pas soupçonné, tandis que d'autres semblent se perdre dans les noirs abîmes de la perplexité, jusqu'à la prochaine lueur de compréhension de la part du lecteur. Avec un tel foisonnement d'idées, de personnages et de situations, un auteur de moindre envergure aurait pu écrire cinquante histoires différentes, mais John Sladek a eu suffisamment de générosité et de talent pour tout nous offrir en même temps.

La réalité est télévisée

Finalement «Tout ceci est-il sur bande ou est-ce réel ?» John Sladek appréciait beaucoup les œuvres de Philip K. Dick, qu'il tenait pour un grand humoriste... Il ne pouvait donc manquer de s'interroger sur la nature de la réalité et sur les univers virtuels. Cet intérêt pour ce qui est devenu une des questions centrales de la SF permet de le considérer comme l'un des précurseurs du mouvement cyberpunk.
Malgré son apparence décousue, l'effet Müller-Fokker reste parfaitement lisible, car le fond justifie la forme. Cette vision déjantée de l'Amérique, et pourquoi pas de la nature humaine, aurait pu être singulièrement déprimante sans l'énorme sens de l'humour, souvent  noir et grinçant, dont fait preuve John Sladek et qui fait de ce livre au titre volontairement provocateur un petit chef-d'œuvre à classer entre Kurt Vonnegut et Robert Sheckley. Il s'agit là d'une archive hautement recommandable, par un auteur injustement oublié.

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