Jack Womack est né en 1954, sous la lune bleue du Kentucky. Il est le créateur d'un univers dystopique bien particulier dans lequel se déroulent la plupart de ses romans, qui n'ont malheureusement pas tous été traduits en français. Nous avons tout de même pour nous consoler l'excellent Terraplane et le formidable Journal de nuit. L'Elvissée a pour sa part obtenu un Philip K. Dick award bien mérité en 1994.
Knight of sin
Dans le monde dystopique régi par l'impitoyable Dryco, société neo-capitaliste multinationale et toute puissante, une nouvelle religion est apparue : l'Eglise d'Elvis. En effet, le King en personne est mort pour la rédemption de nos péchés et l'influence de ses sectateurs, les elvii, va grandissant. Afin de reprendre le contrôle de la situation, la Dryco dépêche dans un passé parallèle les deux agents dont nous avons fait connaissance dans Terraplane, son roman précédent. Leur mission consistera à ramener Elvis dans l'univers de la Dryco. Les choses ne seront bien entendu pas aussi simples que prévues et le King se révèlera très différent de l'image que nous pouvions en avoir avant d'ouvrir ce livre. Pour commencer, il a horreur de la musique country et préfère le blues, dans un univers où la ségrégation raciale est encore officielle. Ensuite, au lieu d'enregistrer sagement un disque pour l'anniversaire de Gladys Presley, sa mère, il la dézingue de sang froid. Rien ne va plus pour Mama...
It's now or never
Comme pour Terraplane, Jack Womack utilise pour les dialogues une novlangue au départ un peu déroutante mais qui s'intègre finalement très bien au livre et donne sa couleur particulière au monde régi par la Dryco, sans pour autant nuire à la bonne compréhension du texte ni à la fluidité du récit.
Malgré quelques passages assez drôles - et comment éviter de sourire ? Un culte autour d'un chanteur de variété ? Allons donc, ça n'existe pas, c'est de la science-fiction ! - ce livre est une véritable tragédie et en contrepoint à la déglingue morale et physique du monde qu'il dépeint, l'auteur nous décrit également la détérioration du couple en crise formé par les deux principaux personnages. John est dévoré par la jalousie et par des pulsions violentes que la remélioration imposée par la Dryco se révèle incapable de supprimer. Il souffrira physiquement et moralement tout au long du récit ce qui lui fera endosser, plus encore qu'Elvis, le rôle du Rédempteur. Quant à Iz, enceinte après une tentative de viol non aboutie de la part du King, elle fera figure d'incarnation mariale, portant en elle le véritable messie.
Anticipation acerbe de notre propre monde dans lequel nous pouvons d'ores et déjà voir les signes avant-coureurs de celui que décrit Jack Womack, L'Elvissée braque une lumière crue sur une des figures centrales de la mythologie américaine. Dans une interview, Jack Womack mentionne le livre de John Strausbaugh Reflections on the birth of the Elvis faith comme étant l'une des sources de L'Elvissée. Car le culte d'Elvis est bien réel, comme le démontrent par exemple les cérémonies annuelles, authentiques rites sacrés impliquant lieux saints, fidèles et prêtres-gardiens-de-la-foi, qui se déroulent à Graceland ou encore l'expérience mystique que la Elvis Presley Enterprise y promet (contre rémunération, bien entendu)... Le monde de Womack vous fait peur ? Regardez autour de vous et tremblez !
La chronique de 16h16 !