Après avoir collaboré à de nombreux fanzines (Kerozene) et projets graphiques (l'association Marseil'BD, Petit trio, un dessin animé jeunesse), voici venue l'heure fatidique pour Francis Sapin du grand saut: le saut dans l'univers des auteurs de bande dessinée avec leur nom à eux sur une couverture cartonnée. Ce graphiste de formation adopte ici les deux casquettes de dessinateur et de scénariste pour nous livrer une série franchement orientée vers la jeunesse et forgée dans un univers fait de métal et de vapeur qui sent bon Les Temps modernes et les délires steampunk: Les Citadelles excentriques.
"Que reste-t-il de la Révolution Techno?"
La Révolution Techno accuse son âge. Après trente années de prospérité générée par les inventions du père de la révolution, la mécanique se grippe et le progrès marque le pas, insensiblement. Ainsi, les commémorations de ce trentième anniversaire sont-elles placées sous le signe d'un enrayement des institutions. Une occasion en or pour les détracteurs de la révolution de renverser le régime moribond en le privant de sa tête pensante.
Une tête pensante aveuglée par les bons soins du Régent et de sa clique au sein de laquelle règne une corruption qui gangrène tout le système de gestion de la cité de Néphélia. Heureusement, Maïa, la fille du père de la révolution veille au grain. Et même si elle ne parvient pas à faire entendre raison à son père, elle peut compter sur l'aide imprévue de Victorien, un jeune ouvrier catapulté malgré lui au coeur de la conspiration. Piégé entre les intérêts des traîtres et ceux des bandits, Victorien saura choisir son camps pour préserver la Révolution.
"Mosdi! Viens te battre si t'es un homme!"*
Francis Sapin appartient à cette école stylistique qui dessine des grosses têtes carrées sur des corps de gymnastes en bubble gum ancrés au sol par des pointures 190. Alors cousin de celui de Di Martino, le trait de Sapin s'accorde relativement bien avec l'ambiance 'dessin animé' de cette première série BD: les armes et outils démesurés, l'architecture baroque et les méchants toonesques (une mauvaise idée selon moi: on se croirait chez les Power rangers...) ne sont pas là pour me démentir. A part le personnage de Maïa qui est franchement laid, les autres ont une bonne trogne et sont bien typés.
Alors que reprocher à ces Citadelles excentriques sinon ce manque relatif d'excentricité: dans une actualité fantastique où le steampunk explose, que cela soit en BD (cf. Uchronia-1 de Kramp et Félix), en roman (cf. La Lune n'est pas pour nous de Johan Heliot), ou en roman jeunesse, on attend un peu plus d'une nouvelle série que de jolies perspectives. On notera d'ailleurs une certaine ressemblance scénaristique (accidentelle?) de cette BD avec les Mécaniques fatales de Philippe Reeve: une machinerie révolutionnaire qui part en lambeaux et manque de détruire la ville qu'elle alimente, une tentative d'assassinat sur la personne du créateur de la ville déjouée par un jeune homme qui se trouve au mauvais endroit au mauvais moment, etc... L'univers est bien planté, mais les thèmes abordés manquent de relief. La facilité avec laquelle Maïa protège ses intérêts grâce aux inventions de son père lui confère un côté 'moi aussi j'ai une bat-ceinture' qui pourrait rapidement devenir exaspérant. Heureusement, l'emballement final et le sort réservé à Victorien justifient qu'on s'intéresse à la suite de cet Ennemi cybernétique numéro 1.
* Une réplique extraite de ce premier tome, où le rôle du grand méchant est tenu par un certain Sénéchal Mosdi... Réglement de compte ou humour confraternel?
La chronique de 16h16