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L'Étoile endormie

Paul Gillon (Dessinateur), Jean-Claude Forest (Scénariste)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/07/2008  -  bd
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L'Étoile endormie

Deux ans après la création de Barbarella, Jean-Claude Forest publie en 1964 Les Naufragés du temps avec le dessinateur Paul Gillon dans la revue éphémère Chouchou, dont il est le rédacteur-en-chef. La série trouvera son vrai public lors de sa parution en noir et blanc dans France Soir de 1974 à 1976. Les quatre premiers albums de ce space opera graphique populaire furent scénarisés par Forest et les suivants par Gillon. La relation tumultueuse entre les deux maîtres de la BD française trouve encore un écho dans la préface de ce premier tome, signée Jean-Claude Forest. Dès 1977, la suite paraît, sans Forest, dans Métal Hurlant.

La série présente des humains en butte avec des civilisations venues de l’espace pour conquérir le système solaire dans les années 2990. Elle est centrée sur un personnage venu du passé, mille ans avant, Christopher, qui avec ses deux compagnes, Valérie et Mara, va tenter, en dix tomes, de repousser les intrus. Le titre de la série évoque « Les Naufragés de l’air » de L’Île mystérieuse (Jules Verne) que Jean-Claude Forest adapta dans la BD Mystérieuse, matin, midi et soir.

En exhumant une série héritière des années cinquante et adaptée à son époque, Glénat prend un risque. Le retour à la vie ravira les plus de quarante ans. Il n'est pas sûr que le récit et les textes littéraires passionnent les plus jeunes. Restent le dessin et l'imagination fertile des auteurs qui, eux, peuvent traverser les décennies, à défaut des millénaires.

Naufragé cherche naufragée de mille ans


Le biologiste Christopher Cavallieri, plongé dans un coma artificiel, flotte dans l’espace. Il a été placé en orbite autour du soleil pour échapper au Grand Fléau qui menaçait l’humanité à la fin du XXème siècle. Tous les 150 ans, il se rapproche de la Terre et c’est ainsi que mille ans après son encapsulation, il est recueilli par une équipe spatiale. Manque de chance, après une longue période d’accalmie, le Grand Fléau, qui lui avait valu son long sommeil,  menace désormais d’anéantir la Terre. Quant au système solaire, il est envahi par d'hostiles métallopodes qui entreprennent de déloger méthodiquement les colonies humaines. L'alerte doit être lancée partout.

Après un millénaire de bulle douillette, Christopher se réveille en pleine forme. Il a toutes les raisons de se réjouir de son accueil. La charmante Mara tombe immédiatement amoureuse du rescapé du passé. Mais voilà, les humains ont beau fuir le système solaire, la seule chose qui préoccupe le naufragé temporel, c'est ce qui est advenu de Valérie, la femme qui, comme lui, était destinée à traverser les siècles dans sa bulle ovoïde.

Des bulles qui traversent le temps


Trente ans après, la réédition de la série culte chez Glénat sonne comme un voyage temporel, mais c'est loin d'être un naufrage. Avec un petit lifting de couleur, le dessin et le récit tiennent encore la route. Bien sûr, les personnages sont un peu anachroniques, ils devaient déjà l'être dans les années 70. Bien sûr, les personnages dégoulinent de romantisme (le grand amour). Bien sûr, l'héritage des Guy l'éclair, des Mandrake, des Dan Dare se fait encore sentir dans le culte de l'action et l'exotisme irréaliste des paysages et des rencontres (des mers sur Vénus, des anneaux liquides en guise de Styx, des grosses grenouilles comme moyens de transport). Le style réaliste en est un héritage et un prolongement perfectionné. Mais l'ambition littéraire, l'imagination et la créativité graphique des deux auteurs nous préserve du syndrome du récit illustré bas de gamme. Dans sa préface, Jean-Claude Forest rappelle qu'il souhaitait attirer un nouveau lectorat vers la BD et la SF, en commençant par une histoire simple et en élevant petit à petit le débat et la portée abstraite et universelle du propos.

Le format de réédition superbe, tout de blanc et de gris, place un peu la série sur un piédestal. Le dessin réaliste de Gillon, à la fois feutré, atténué et précis, est excellent et pourrait servir de modèle à de nombreux dessinateurs actuels. Les traits paraissent inachevés, crayonnés et paradoxalement presque photographiques. Touche moderne, la mise en couleur fera pester les puristes, mais elle ne noie pas les contours dans des variétés tonales trop voyantes. Il y a une sensualité exacerbée dans les personnages de Gillon qui contrastent avec la froideur de leur psychologie et de leur statut de personnages d'action (scientifiques, militaires au comportement mécanique dicté par les événements extérieurs). Sans parler du traitement érotique très années 60 et 70 des personnages féminins (Valérie, nue dans sa bulle). Là, on est plus proche de Barbarella que de Flash Gordon : ah, la scène où Mara suce le sang envenimé de la cuisse de Christopher !

Trente ans après, grâce à Glénat, Christopher Cavallieri ressort grandi de ses bulles.

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