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L'étrange histoire de Benjamin Button

Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/12/2008  -  livre
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L'étrange histoire de Benjamin Button

A l’occasion de la sortie du film « L’étrange histoire de Benjamin Button », la nouvelle éponyme de Francis Scott Fitzgerald est rééditée en livre de poche. Le film est un succès. L’idée est lumineuse (un homme rajeunit au lieu de vieillir). Mais qu’est-ce qui a pu pousser le jeune dandy Fitzgerald, plutôt versé dans les cercles mondains, à suivre la voie de H.G. Wells (L’Homme invisible) ou (« plagiat par anticipation ») celle de Richard Matheson (L’homme qui rétrécit) ou de Philip K. Dick (A rebrousse-temps).

Rédigée aux débuts des années 20, elle fut publiée pour la première fois dans Colliers Magazine, avant de figurer dans l’anthologie Tales of the Jazz Age. L’auteur est au faîte de sa gloire. Avec  l’Envers du Paradis (This side of paradise), peinture des mœurs de la jeunesse d’après-guerre, il a connu un grand succès en 1920 et il est encore loin du flop de Gatsby le magnifique (The great Gatsby) en 1925.

Après l’oisiveté et l’alcool, le dandy F.S. Fitzgerald donne dans le pétillant, dans la jeunesse dorée, dans les mondanités. Romancier des années folles, il est salué comme le représentant de la nouvelle génération euphorique en pleine prospérité économique. Il est étranger à toute anticipation scientifique. A l’heure où Hugo Gernsback lance le magazine Science et Inventions, même si H. G. Wells a publié tous ses romans, le genre SF n’en est encore qu’à ses balbutiements.

A l’instar d’Oscar Wilde (Le portrait de Dorian Gray), son inspiration est plutôt celle d’un conte délibérément ancré dans la société qui l’entoure. Il s’agit d’une fable philosophique légère où le rajeunissement devient aussi tragique que le vieillissement qu’il croise sans s’arrêter. Contrairement au roman de Philip K. Dick (Counter-clock world), où toute la société remonte le temps, Benjamin Button est seul à rajeunir. Désespérément.

Mortel rajeunissement

En 1860, Roger Button est heureux de se rendre dans une clinique de Baltimore pour la naissance de son premier fils. L’accueil affolé et méprisant des infirmières lui fait craindre le pire. En lieu et place d’un nourrisson, il découvre un vieux chenu fripé de 70 ans recroquevillé sur lui-même qui s’adresse à lui comme à un étranger. Button senior ne veut y croire, mais il finit, en acceptant son malheur, par en supporter toutes les conséquences : habiller le « bébé », lui interdire les cigares, le faire garder, l’envoyer à l’école… Heureusement, la guerre de sécession finit par couvrir le fabuleux événement.

Plus tard, Benjamin Button (Button junior), d’apparence cinquantenaire, développe l’entreprise de quincaillerie de son père et s’amourache d’une jeune femme très remarquée. Ils se marient. La différence d’âge fait jaser, mais le temps va distordre l’écart des ans dans l’autre sens, non sans douloureuses conséquences. Tandis que Benjamin Button poursuit sa vie jusqu’à sa naissance…

L’étrange histoire de Francis Scott Fitzgerald

Le roman reparaît comme un produit dérivé du film de David Fincher. On pourrait presque dire que le roman est une libre adaptation du film. Fitzgerald a modifié quelques points : Benjamin Button naît à 70 ans et pas à 80. On ne le surnomme pas Brad Pitt. Il habite Baltimore et pas la Nouvelle-Orléans. Il naît à l’aube de la guerre de sécession et pas à la fin de la première guerre mondiale. Le récit est davantage centré sur Benjamin Button que sur sa relation avec Hildegarde (et non pas Daisy). La lecture de la nouvelle est moins longue que le film. Et vous aurez droit en prime chez Folio à "La lie du bonheur", une autre nouvelle de l'auteur.

Le thème du rajeunissement prête d’ordinaire plutôt à sourire. Dans Monkey Business (Chérie, je me sens rajeunir) d’Howard Hawks, Cary Grant, un Dr Jekyll vert, en profite pour sortir avec Marilyn Monroe. Pour Fitzgerald, le sourire cache un double drame : celui de la solitude et celui du temps qui passe quel que soit son sens.

A tous ces jeunes des années folles qui brûlent leur vie dans l’alcool au rythme du jazz, la liesse, l’euphorie factice sont des excitants pour s’extirper de leur solitude. Pour Fitzgerald, c’est aussi la solitude de l’artiste. Extraverti, amphétaminé, Fitzgerald cache ses origines modestes dans la haute société américaine. Il n’est chez lui nulle part. Adulé très tôt, il se sent en décalage de génération, de milieu, d’aspiration avec son entourage. Plus vieux que les jeunes de son âge, plus jeune que les vieux qu’il admire pour leur réussite, il sait qu’il est arrivé vite au sommet et que le monde qui l’entoure pourrait vieillir plus vite que lui. Artiste dans l’âme, plus il a grandi, plus il s’est senti ouvert sur le monde, en état d’apprentissage. Grandir pour un artiste, c’est en quelques sortes rajeunir. Prendre ses rêves d’enfant au sérieux. Le rajeunissement est donc une métaphore du décalage grandissant avec une société vieillissante pour l’artiste s’accomplissant.

Toujours pressé et impatient dans les années 20, Fitzgerald est un artiste de la spontanéité, de l’improvisation. Le choix d’une forme courte (49 pages) accentue l’effet d’absurdité du temps qui s’écoule rapidement. Quand la bobine est visionnée à l’envers, l’absurde est encore plus criant. Et la démonstration de l’auteur de Tendre est la nuit est brillante : rajeunir est aussi angoissant que vieillir. A la fin de sa vie, Benjamin Button perd peu à peu ses talents, sa compréhension du monde, sa mémoire pour retourner à l’état végétatif. Et la chute est d’autant plus rude qu’elle s’opère à l’envers. Il devient plus jeune que son père, que sa femme, que son fils. Il perd tous ses amis, avec lesquels il ne peut vieillir.

Sur un plan purement formel, et c’est un reproche qu’on pourrait faire à d’autres œuvres de Fitzgerald, la nouvelle n’est pas toujours équilibrée. Certaines périodes temporelles sont totalement ignorées. D’autres, pas toujours intéressantes, s’étirent en longueur (la recherche d’un habit, le désir d’armée du jeune vétéran). C’est l’idée qui est brillante. Et le ton. Le tableau dans sa globalité, mais pas dans ses détails. Un condensé de Fitzgerald, d’une certaine manière.  

Une brève mais étincelante incursion dans l’imaginaire.

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