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L'Expresso de l'Oncle Joe -8
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L'Expresso de l'Oncle Joe -8

« Mais depuis quelque temps, un brèche s’est ouverte dans son cœur. Les chants ne portent plus, les plaisirs de la chasse, de l’entrainement ne lui donnent plus le sentiment qu’il combat pour son bien. Lors du dernier raid, il a vomi derrière un véhicule tout-terrain, longuement, après avoir tiré sur un vieillard qui suppliait, un enfant des ses bras. »

Plus d’une fois me suis-je surpris le soir, avachi sur mon canapé, à suivre sans déplaisir les enquêtes surnaturelles d’Allison DuBois, la sympathique mère de famille de la série TV « Médium » qui communique avec les morts. « Hantés », roman pour la jeunesse d’Anne Fakhouri, n’est pas sans entretenir certains rapports avec cette série, puisque son héros adolescent, Samuel, hanté par les voix des défunts, finit par les voir se manifester — j’ai failli écrire « en chair et en os » — et même intervenir dans sa vie. Cependant, si j’accepte sans trop rechigner les données imposées dans l’ambiance si particulière du petit écran, instrument diabolique qui a tendance à m’hypnotiser doucement, il n’en va pas de même avec la littérature.
 

Pour apprécier la série « Médium », il faut accepter que ce type de manifestation surnaturelle soit devenu quelque chose de banal. Il y a bien un certain nombre de réactions sceptiques autour d’Allison, mais elles pèsent bien peu devant les images spectrales qui s’imposent au téléspectateur, ou  face à l’attitude de la majeure partie de l’entourage de l’héroïne,  lequel finit, à l’instar du public, par considérer ces manifestations surnaturelles comme… naturelles. C’est un peu appuyé, mais visuellement, ça fonctionne très bien.

Dans le cadre d’un roman, je me montrerai beaucoup plus difficile. Le fantastique littéraire doit s’accompagner, selon mon goût, d’une sensation de malaise et de déstabilisation, sur un fond d’ambiguïté. Or, le cahier des charges du fantastique selon Rageot-Thriller — tout au moins, si l’on se fie aux courtes présentations de plusieurs autres volumes de la collection figurant en fin de volume —, semble accepter, voire encourager, à l’instar de la série TV,  le jeu du systématisme de l’extraordinaire,  que l’on qualifiera plutôt de « paranormal » (le paranormal devenant du merveilleux… normalisé). « Hantés » se plie à cette règle, et la revendique ouvertement, témoin le surtitre de chaque chapitre qui en gradue le « niveau d’activité paranormale » ! Même si ce dernier détail m’a paru très amusant et astucieusement trouvé, on aura compris que ce n’est donc pas le surnaturel normé de ce roman pour la jeunesse qui a retenu mon attention. Ni même le rapport à l’image du père, thématique chère à l’auteur. Et encore moins les pièges sentimentaux de l’adolescence…
Non. C’est le Rwanda.

Anne Fakhouri a largement pris prétexte de « Hantés » pour traiter du problème des enfants-soldats. On se doute de la difficulté d’un telle entreprise, précisément lorsqu’il s’agit de sensibiliser à ce  drame atroce le public de la collection, constitué d’adolescents. Comment ne pas verser dans le larmoyant, le démonstratif ou le pénible (ou les trois à la fois…) ? L’auteur a résolu le problème d’une manière extrêmement habile : en faisant parler le fantôme d’un enfant-soldat. Plus précisément, en faisant brièvement entrer Samuel, le jeune héros, dans l’esprit d’Hatari, l’enfant-soldat fantôme qui le poursuit  à cause d’un curieux pendentif (mais il est bien inutile de résumer l’intrigue, fort bien construite par ailleurs, dans le cadre de cette brève chronique).  Les chapitre 28 et 29 — « taux d’activité paranormale : 37 », le plus élevé atteint, sauf erreur —  constitue alors le véritable climax du récit. S’y trouve décrite, en quelques phrases nerveuses, simples et efficaces, une tranche de vie dramatique de cette âme enfantine brisée, tombée dans l’abjection, qui a pourtant trouvé, on ne sait où,  la force de remonter vers l’humanité, tant que faire se peut. Mais le recollage des morceaux ne peut pas être complet, ce d’autant moins que la personnalité d’Hatari n’a jamais eu la possibilité de s’épanouir et d’accéder à la complétude.

C’est là que réside le caractère véritablement effrayant du fantôme de l’enfant-soldat : il n’est, au fond, qu’une esquisse d’homme, de par la cruauté des siens, et l’indifférence des autres. Les autres : c’est-à-dire nous.

Sur l’indifférence, il y a d’ailleurs dans « Hantés », une scène touchante, bien loin du surnaturel,  — et qui sent la transposition d’une anecdote vécue —, où Tug, le beau-père de Samuel, passe devant une femme et sa petite fille qui mendient, assises sur le quai du métro. Tug — flic de son métier — plie « ses longues jambes » pour se placer « à leur niveau », et  offre une peluche à la petite fille. À Samuel, étonné par son attitude, il fait cette réflexion : « Tout ce que ces enfants voient du monde, ce sont des pieds. Toute la journée. Jamais un visage. Des pieds qui passent. Tu comprends, maintenant ? »

Joseph Altairac

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