Nicolas Pona vient d'arriver dans le monde de la bande dessinée après un parcours atypique allant des travaux manuels jusqu'aux études d'architecture. On lui doit déjà les premiers tomes de deux cycles très prometteurs : Ectis et Le Cycle d'Ostruce. Avec ce dernier cycle, Christophe Dubois signe sa première participation en tant que dessinateur de bande dessinée. Habituellement, son travail de graphiste l'occupe à plein temps.

Un road movie écarlate sur fond de neige

L'Empire se meurt... comme l'Empereur-dragon. Seuls les oeufs–héritiers pourraient redonner un sang neuf et empêcher la Révolution de changer la face du monde. Dans les rues la révolte gronde et chacun se bat avec l'énergie du désespoir.

Mais le grand Dragon vient d'être assassiné, toute sa descendance brisée – sauf un oeuf qui a été dérobé, dernier espoir pour les uns, ultime résidu du passé à détruire pour les autres. La meute des soldats de la nouvelle république se lance à la poursuite du voleur dans les steppes et les forêts recouvertes par la neige.

Pendant ce temps, un soldat d'élite, un Kosak, s'enfonce avec sa mule dans les profondeurs du pays. Bien qu'aimant la solitude, il se retrouve bientôt accompagné d'une voleuse collante mais adroite dont il a tué les souteneurs. Leur route croise des personnages pittoresques, un comte chasseur d'Elkins, un ogre et même une lamie, monstre invulnérable et puissant qui aspire l'amour des désespérés. Derrière les deux fuyards se dessine une longue piste rouge, sang et feu mêlés sur la plaine blanche.

Mais les choses ne sont pas toujours ce qu'elles semblent et tout peut être faux-semblants, depuis le Kosak jusqu'à la femme du grand Khan. Et même si la violence ne résout pas tout, elle simplifie notablement les choses en éliminant le gros des problèmes.

Du sang neuf dans la bande dessinée

Ce volume – le premier d'un cycle qui doit en contenir quatre – est d'une qualité impressionnante pour deux tout jeunes auteurs dont il s'agit pratiquement de la première réalisation.

Le scénario est bien mené, il nous plonge dès le début dans l'ambiance de feu et de sang voulue par le scénariste pour nous entraîner de plus en plus dans cette quête. Car c'en est une, celle de l'identité du Kosak et de son humanité. Même s'il est trop tôt pour que toutes les ficelles se dévoilent, déjà la personnalité du soldat s'est modifiée. De tueur impitoyable et inhumain, il a appris à accepter la présence des autres – de la voleuse – puis d'admettre que l'on peut se battre pour des gens, pas seulement pour un système figé et sclérosé défini à coups de lois et de décrets.

La trame est basée sur la Russie de 1917, la révolution, la chute du tsar et l'arrivée des rouges au pouvoir, le tout barbouillé de fantastique et de steampunk. Mais ce n'est qu'une façade, un décor pour mieux mettre en lumière le drame de ceux qui n'ont plus de cause à défendre ou qui découvrent – avec un peu de retard – que ce pour quoi ils se battent n'en vaut pas le coup.

Quant au graphisme, il est simplement unique. Dubois avoue être un admirateur de Hugo Pratt et cela se ressent dans son dessin, particulièrement concernant les traits de ses personnages. Mais il a su passer bien au-dessus de la simple copie, se servant des trucs du maître tout en affirmant sa propre personnalité. Réalisé « à l'ancienne », sans trucage par ordinateur, l'album y gagne en chaleur et en profondeur. Encre noire et lavis se mêlent et dessinent tout un univers à demi fantastique lorsqu'il n'est parfois qu'esquissé pour devenir plus loin d'une réalité saisissante dans le dessin des bâtiments. Noir, rouge et blanc se mêlent pour créer une ambiance à la fois chaude et tragique, mais sans artifice.

Il s'agit là d'une des plus belles bandes dessinées du moment, tant au niveau graphique que pour le scénario dont tous les rouages semblent loin d'être dévoilés dans ce premier tome.