- le  

L'Homme des jeux

Iain Banks ( Auteur), Manchu (Illustrateur de couverture), Hélène Collon (Traducteur)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : 
Date de parution : 31/05/1996  -  livre
voir l'oeuvre
Commenter

L'Homme des jeux

C'est souvent grâce à L'Homme des jeux que l'on entre dans l'univers littéraire de Iain M. Banks. Stupidement étiqueté volume 1 du Cycle de la Culture, nombreux sont ceux qui s'y laissent prendre. Or la Culture n'est en rien un cycle, et L'Homme des jeux ne fût même pas le premier roman que Banks écrivit en y faisant référence. Toutefois c'est une entrée en matière qui en vaut bien une autre, et qui à au moins le mérite d'une bonne exposition de cette société tout aussi idyllique que glaçante. C'est aussi un bon moyen de prendre la mesure du formidable auteur qu'est Iain M. Banks.

La Culture est une utopie. Ce n'est pas le credo d'un ministère en perdition, mais la réalité de ce lointain avenir galactique. Hautement développée, socialement, philosophiquement et techniquement, la Culture est la résultante de milliers d'années d'évolution. Elle a grandit sur l'ouverture d'esprit des sociétés qui l'ont rejointes dans un collectif quasi libertaire. Point d'équilibre infini sur la crête du bonheur possible, la Culture s'impose d'évidence comme l'apex de toute idée de civilisation.

Encore que "d'évidence", cela reste à démontrer. Car vivent encore en marge de cet état de grâce nombres de mondes plus jeunes. Des mondes qu'il est impensable, d'un point de vue éthique, de laisser attendre plus longtemps aux portes de la félicité. C'est la mission de Contact, qui est chargé d'observer ces étrangers, et de décider, non pas si, mais quand et comment ils intègreront la Culture. Etant bien entendu pour ses ressortissants que personne ne peut refuser le bonheur.

C'est pourtant ce que certains persistent à faire. Il faut alors dessiller leurs yeux, et les amener à admettre l'inéluctable évidence. C'est là le travail de Circonstances Spéciales, une branche de Contact, dont les méthodes sont un peu moins orthodoxes, et un peu plus invasives que celles qu'on serait en droit d'attendre d'une civilisation aussi avancée. Et précisément, c'est parce que l'Empire d'Azad ne comprend pas encore tous les bienfaits qu'il pourrait retirer de son intégration à la Culture, que Circonstances Spéciales va s'adjoindre les services de Gurgeh.

Dans un univers où le jeu est devenu un art majeur, Gurgeh fait figure d'esthète. Il est le meilleur joueur de la Culture. Et qu'importe le jeu. Il les connaît tous. Ou presque. Il les collectionne, les apprends, y joue, et en sort invariablement victorieux. Un talent qu'à son corps défendant, Circonstance Spéciales va mettre à contribution pour participer au jeu d'Azad. Un jeu global et cruel, complexe et indissociable de la vie de tous les citoyens de cet empire vivant en marge de la Culture, puisque ce sont ses résultats qui dessineront la pyramide du pouvoir, et désigneront celui qui s'assiéra sur le trône. Pour Gurgeh, l'enjeu s'il est plus modeste, n'en est pas moins important. Il s'agît pour lui d'éviter la guerre qui menace entre Azad et la Culture.

Avec une distance certaine et un humour évident, Iain M. Banks dépeint une société idéale, mieux même, une utopie. Ce n'est pas rien tout de même, une utopie. Et généralement, il n'y a rien de plus chiant qu'une utopie. Tous les auteurs vous le diront, le bonheur est anti-dramatique au possible. C'est sans doute pour ça qu'il choisit d'en faire un portrait en creux, en l'opposant aux étranges Azad. Ce faisant il explore les limites de cette félicité libertaire, permissive, où rien n'est impossible, et du coup nous emmène jusqu'au bout de nos idéaux politiques, de nos utopies privées.

Evidemment, toute l'intelligence de Banks, ici, c'est ce jeu, condensé de société, où, réduits à leur plus simple expression les enjeux nous apparaissent dans toute leur brutalité. Les questions surgissent forcément. Evidentes. Dans quelle mesure les règles imposées nous libèrent-elles de notre éthique ? L'enjeu justifie-t-il le jeu ? Des réponses que Banks nous aide à trouver, ou en tout cas à chercher au fond de nous-même, avec une élégance de style, une malice et un brio qui l'ont imposés d'emblée comme un des auteurs les plus novateurs et les plus pertinents du genre. Il a l'intelligence de ne jamais pontifier, de ne pas donner de leçon, nous laissant seul avec Gurgeh décider de nos limites et de notre adhésion à nos idéaux. C'est tout le propos de cette Culture, qui est au cœur même L'Homme des jeux. Une société de prime abord sommaire, mais tellement subtile à appréhender.

"Ce que j'étais en mesure d'imaginer qui se rapprochait le plus de l'idée d'utopie et dont les habitants resteraient tout de même humains", c'est ainsi que Iain M. Banks défini sa création. Mais avant toute chose sa volonté affichée était d'écrire une science fiction de gauche qui apporterait une réponse viable à un Âge d'Or plutôt de droite, dont les classiques avaient nourris sa jeunesse. C'est en tout cas une littérature engagée qui sait ne pas s'oublier derrière la fiction. Un cocktail parfaitement dosé devenu depuis la marque de fabrique de ce débonnaire Ecossais qui, en s'amusant, l'air de rien, à redonné au genre un coup de frais plus que salutaire. D'aucun parleront de révolution, on se contentera de dire que L'Homme des jeux est un classique instantané, qu'il faut avoir lu pour remettre à jour son échelle de valeur.


Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?