Si on le connaît en France, c'est essentiellement grâce à son Starship Troopers, adapté à l'écran par Paul Verhoeven, mais aux Etats-Unis, Robert Heinlein est plus que ça. Il est pour des générations entières d'écrivains une référence incontournable en terme de maîtrise de l'écriture. La légende, telle que rapportée par Lester Del Rey en préface de ce premier tome de l'Histoire du Futur, veut que la première nouvelle qu'il ait jamais écrite ait été achetée par le très exigeant John Campbell, alors rédacteur en chef du magazine Astounding Stories. On connaît donc Heinlein en France, mais le connaît-on si bien que cela ? Est-il le vieux réac d'Etoiles, Garde à vous !, le hippie tardif d'En terre étrangère, ou le vieux monsieur indigne de ses dernières œuvres, telles que Le Chat passe-muraille ? Un peu tout ça sans doute. Toujours dans sa préface, Lester Del Rey nous le présente comme "un moraliste et un libertaire" ce qui Outre-Atlantique vous rapproche plus de Reagan que de Bakounine. Plus certainement Robert Heinlein était un homme façonné par son temps. Grandi durant la dépression, devenu un homme pendant la guerre, choqué par Hiroshima et vivant dans la crainte d'un apocalypse rouge, comme tout à chacun pendant la Guerre Froide. Autant d'aspects de sa personnalité complexe qui transparaissent dans ses œuvres de jeunesse ici rassemblées.
Cinq nouvelles
Des cinq nouvelles composant ce premier volume, celle qui lui donne son titre est certainement la plus aboutie. D'une part car elle arrache l'homme à une Terre qu'Heinlein peine à imaginer de manière crédible, avec ses immenses tapis roulants (Les Routes doivent rouler) et ses centrales nucléaires au bord de l'explosion (Il arrive que ça saute). Mais surtout, parce qu'il parvient à y décrire le souffle visionnaire d'un homme qui, coûte que coûte, a décidé d'envoyer l'Humanité dans l'espace. L'approche résolument mercantile de la conquête de la Lune est non seulement une idée originale, mais elle dénote d'une époque désormais révolue. Une époque guidée par une fois aveugle en la science et la raison. Une période de prospérité, où les grands capitaines de l'industrie sont cupides mais intègres et concernés par le sort de leurs semblables. Une ère de progrès. Et le progrès, est bon pour l'Homme. L'Homme l'a compris et le réclame, s'en accommode, s'y soumet de bonne grâce, et se met à son service pour le bonheur des générations futures.
L'Age d'Or
C'est l'Âge d'Or, celui de la science fiction. Les étoiles nous attendent, le futur tiendra ses promesses. Et l'on se dit qu'il fera bon y vivre avec Bambi et Pampan ! Mais cette SF américaine de la fin des années 40, et qui perdurera jusqu'au milieu des années 60 n'est pas qu'empreinte d'une foi naïve en l'avenir. Plus que tout elle baigne dans la trouille de l'explosion finale. Du grand champignon dévastateur. Et elle prie pour un avenir meilleur. Elle appelle de ses vœux des hommes raisonnables s'en remettant à la logique imparable de la science. D'où une défiance du pouvoir politique, et une confiance exagérée dans l'esprit d'entreprise d'hommes guidés par le profit. Ce qui n'est qu'une autre façon de rationaliser l'attente. D'où aussi une propension à la bidouille philosophique, car Heinlein, comme tous ses compagnons d'écriture, a vu où nous avaient conduits les vieux schémas de pensées.
Peu d'auteurs ont aussi bien incarné cette SF de l'Âge d'Or, quand la technologie n'était pas encore une machine à broyer les hommes, et demain pas encore une chute sans fin. Les temps n'étaient pas alors au désaveu, mais à la promesse. La contestation se teintait d'optimisme, et n'a changé de camp et de couleur, que bien des années plus tard. Parfois un rien irritante, elle nous paraît souvent naïve. Surannée ? Certainement. Mais il n'en reste pas moins que la SF d'Heinlein est parfaitement maîtrisée et superbement bien écrite. A défaut de rapporter celle du futur, elle raconte merveilleusement l'histoire d'un genre unique. La science fiction.
Utopiales