Pour cette nouvelle livraison de L’Instant Critic, nous vous avons choisi seulement quatre livres, qui ont tous la particularité d’être courts, voire très courts pour certains. En même temps, pour bien se caler sur la selle de 2016, ce n’est peut-être pas plus mal !
Tout d’abord, nous désirons pointer notre caméra en gros plan sur la nouvelle collection des éditions du Bélial, Une Heure-Lumière, qui propose de découvrir des textes inédits et/ou primés, dans le domaine de la Science-Fiction. Pour faire… court, cette nouvelle collection très agréablement illustrée par Aurélien Police propose des novellas, un peu comme le propose également un éditeur plus marqué habituellement dans la littérature générale, Le Passager Clandestin avec sa collection de reprises de novellas SF classiques, Les Dyschroniques. On ne se plaindra pas de l’arrivée en format livre de ce genre de récits, d’autant moins que la novella est bien souvent considérée comme le support le plus adapté aux récits de Science-Fiction.
Nous commencerons avec Nancy Kress et Le nexus du Dr Erdmann, traduit par Erwann Perchoc et Alise Ponsero, un récit de pure science-fiction qui nous emmène dans l’histoire d’un vieux et éminent professeur de physique, ayant participé au célèbre projet Ivy, et désormais en maison de retraite, qui, soudain, est confronté à d’étranges phénomènes : des décharges d’énergie le traversent, sans que, il le sait, elles ne soient liées à une quelconque maladie. Aidé de son infirmière, qui elle même connaît de graves problèmes, notamment avec son ex-mari violent, le Dr Erdmann va essayer de percer les mystères de ces phénomènes étranges. Nancy Kress brosse ici de jolis portraits, celui du vieux Dr Erdmann, de l’infirmière, mais également celui d’une ancienne danseuse (Un thème que Kress adore, souvenez-vous de sa puissante novella Danse Aérienne, chez le même éditeur) tout en nous proposant, via une construction très adroite, une énigme scientifique originale et parfaitement développée. Le texte coule tout seul, on en redemande. Dans Dragon, de Thomas Day, on passe pour ainsi dire du coq à l’âne, ou de la SF ou au thriller fantastique, avec une immersion déstabilisante dans le milieu de la prostitution infantile dans un Bangkok très, très légèrement futuriste. L’auteur nous guide dans la ville, mais aussi dans l’esprit de personnages forts, à l’image de Tann, enquêteur atypique, gay et amateur de ladyboys. Celui-ci sera mis sur la trace d’un étonnant tueur en série, qui se fait appeler Dragon (celui du titre, donc ; mais ceux qui attendent la créature mythique et un déchaîement de magie en seront – presque – pour leurs frais. Parce qu’il y a tout de même une astuce), lequel s’en prend avec force violence à tous ceux qui fréquentent, montent et exploitent ces réseaux de prostitution. Dragon est un véritable thriller engagé, aux scènes parfois à la limite du soutenable, mais la lecture est furieuse, électrique, on tourne les pages avec fébrilité jusqu’un final étonnamment plus calme, poétique et quasi mystique. Une très belle réussite.
Vous l’aurez compris, pour son démarrage, la collection Une Heure-Lumière propose deux textes diamétralement opposés, à la fois en terme d’écriture et de genre. Mais que ce soit pour le Kress ou pour le Day, le plaisir de lecture est bel et bien là. Les prochains titres sont attendus avec une impatience non feinte.
Très vite, nous évoquerons deux rééditions en poche. La première se déniche dans la collection Hélios : Inner City, de Jean-Marc Ligny. L’auteur a pas mal publié depuis la publication de ce titre (ou du cyberpolar tel que Cyberkiller, lui aussi un excellent titre), souvent de l’anticipation sociale à court terme, là où il semble se sentir le plus à l’aise. Jean-Marc Ligny joue avec son temps et se romans deviennent ainsi des marqueurs du genre. Son tryptique entamé par AquaTM à l’Atalante est tout aussi politique que l’était en son temps Inner City, et tout aussi imprégné de notre réalité, celle du maintenant. Inner City, souvent considéré comme un des grands classiques français du cyberpunk (d’ailleurs, je me souviens l’avoir étudié à l’université), est donc pour beaucoup un roman politique, prenant, marqué par son temps et la croissance rapide de l’informatique, fourmillant d’idées, qui nous montre à merveille une France à deux vitesses, à l’immense mégalopole de Paris où vivent des Inners, branchés et connectés quasi en permanence, où les jeux en réseau deviennent une substance (trop) quotidienne, et une campagne (allô la Bretagne ?) complètement désertifiée ; en somme, ni plus ni moins que la concrétisation de la fameuse « fracture sociale » chère à Jacques Chirac. Dans tout ce micmac sociétal, Ligny nous fait déambuler dans son récit, dynamique, avec Kris, qui est hanté par un… fantôme du réseau qu’il recherche ardemment. Sans aucun doute, Inner City est une réédition plus qu’indispensable, et on attendra celle d’un autre grand livre de Ligny, Jihad.
Plus léger, et aussi beaucoup plus drôle et fantasy qu’Inner City, est Les petites fées de New-York de Martin Millar, auteur ô combien sous-estimé dans nos contrées. Initialement paru en France chez Intervalles, où sont également disponibles deux autres romans liés de l’auteur dont l’excellent Kalix, Les petites fées de New-York est ce mois-ci réédité chez Folio SF. C’est un roman de fantasy urbaine qui met en scène de petites fées punks qui débarquent à New-York chez le pire violonniste de la ville (et vomissent sur sa moquette), et ça va déménager ! Et ne pas plaire à d’autres créatures féeriques installées en Amérique depuis longtemps. C’est simple, ce roman jubilatoire, qui n’hésite jamais à lorgner du côté de la grossièreté, se lit comme on écoute un rock endiablé, et s’avère au niveau, sinon encore plus haut, de la Coompagnie des fées de Garry Kilworth. C’est dire.Sur ce, toute l’équipe de la librairie vous souhaite une excellente année 2016, et que la Force des Bonnes Lectures soit avec vous !
Xavier Dollo & Simon Pinel