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L'Intégrale

Brüno (Scénariste, Dessinateur), Marc Andreyko ()
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 31/05/2005  -  bd
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L'Intégrale

En sortant en octobre 2004 Une Hécatombe, Brüno venait clôturer son Nemo, une œuvre magistrale en quatre tomes - Mobilis in Mobile (2001), Quelques heures à terre (2002), La Banquise (2003) - marquée par son esthétique inimitable. Pour s’attaquer au chef-d’œuvre de Jules Verne, l’auteur rennais n’a pas hésité à endosser la double casquette de dessinateur et de scénariste. Car il en fallait du culot pour oser adapter en quatre fois quarante planches presque dépourvues de phylactères, un monstre sacré qui trône habituellement entre le Petit Robert et l’encyclopédie Universalis. Un pari magistralement relevé par l’auteur de Cold Train et Inner City Blues qui n’en est plus à son premier coup d’éclat : on doit à son association avec Pascal Jousselin, outre le drôlissime Voltige & Ratatouille, le désopilant Michel Swing, coureur automobile, un feuilleton de bande dessinée visible en intégralité sur Internet (sur le site : http://michel.swing.free.fr), et réalisé sans filet. Autant dire que l’auteur cultive l’inclassable. Heureux sommes nous que Treize étrange lui fasse l’honneur d’une édition intégrale de Nemo qui gagne par la même occasion un format carré des plus réussis.

Mobilis in mobile

Quand on demande au Professeur Aronnax, chercheur au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, secondé par Conseil son majordome, de s’associer à la mission de la frégate américaine Abraham Lincoln, tout le monde pense encore qu’une espèce de monstre marin gigantesque hante les mers du monde. Après des mois de traque à travers tous les océans, la bête est enfin en vue. Mais le monstre défie l’habileté de Ned Land, le harponneur du navire. Pire : il semble doué d’une forme d’intelligence qui lui procure toutes les audaces. Et pour cause : en fait de monstre, il s’agit bel et bien d’un navire d’une technicité unique au monde. Après avoir éperonné l’Abraham Lincoln, le Nautilus prend à son bord trois rescapés : Aronnax, Conseil et Ned Land. L’heure est pour eux à la captivité, sous le couvert doré de l’invitation de Nemo, seul maître à bord du navire sous-marin.

Quelques heures à terre


Profitant d’une escale de maintenance en Papouasie, les trois naufragés s’offrent leur première sortie à l’air libre depuis des semaines. Tandis que le professeur Aronnax étudie la faune littorale, Ned Land et Conseil s’enfoncent dans les terres. Le harponneur ne dissimule pas son désir de fausser compagnie à la bande de Nemo. Et cette île lui semblerait tout à fait propice à la fuite… si elle n’était peuplée de dangereux anthropophages ! Là encore, les naufragés ne doivent leur salut qu’à l’intervention musclée du Nautilus. Insuffisante néanmoins pour calmer les ardeurs de Land qui tente de profiter du passage dans la Méditerranée pour s’échapper.

La banquise

En vain là encore : Nemo le rattrape et le fait mettre à fond de cale. Conseil se retrouve donc seul, le professeur Aronnax ayant semble-t-il totalement cédé au charme scientifique du capitaine avec lequel il va jusqu’à piller les splendeurs d’une civilisation sous-marine disparue. A mesure que le vaisseau progresse vers le pôle sud, la dépression de Conseil atteint une profondeur abyssale. Le majordome croit voir venir sa fin quand le Nautilus plonge dans les eaux glaciales et craquantes du cercle polaire. Pour en émerger au milieu d’une base polaire secrète. Une base polaire qui verra surtout craquer l’équilibre mental de Ned Land, prêt à attaquer Nemo en combat singulier.

Une hécatombe

Après la mort du harponneur, l’existence de Conseil ne sera plus la même. Tandis qu’Aronnax et Nemo pavoisent en dissertant physiologie et comportement animal, le majordome tente maladroitement de mettre fin à ses jours. Aronnax n’aura même pas l’opportunité de convaincre Nemo de libérer Conseil : un calamar viendra couper court à toutes les discussions en précipitant le Nautilus par le fond. Une féroce bataille s’en suivra, le céphalopode étant bientôt relayé par la flotte américaine d’un certain Melville. Nemo ne quittera pas son poste, pas plus que son équipage ou le professeur Aronnax d’ailleurs. Et seul Conseil tentera de fuir avant l’inévitable.

Un dépouillement des plus efficaces

Pour cette énième adaptation de 20 000 Lieues sous les Mers, Brüno nous a offert l’œuvre la plus rafraîchissante depuis longtemps. Tout en réussissant le tour de force de faire tenir le récit de ce pavé (et même de lui offrir quelques lignes personnelles) dans 160 pages (enfin 226 une fois passées au format carré).

La mise en scène et la gestion des effets, aussi bien graphiques que scénaristiques, confine au dépouillement le plus efficace que manie si bien l’auteur. Dans un style très expressif, avec un minimum de phylactères, à l’instar de ses autres productions telles La Décimation ou Cold Train, Brüno nous offre ici une bande dessinée qui magnifie le silence.

Pour autant, ce Nemo est tout sauf sobre. Excessif dans le trait, comme dans les ombrages, ce récit explose à chaque page. Aucune naïveté, mais une parfaite maîtrise d’une technique qui nous emmène bien au-delà de Tif et Tondu contrairement à ce qu’on lit parfois (et ce en dépit de la vague ressemblance de Nemo avec Choc). Avec Brüno, les icebergs prennent l’allure d’éclats de silex taillés par des titans. Le Nautilus a des airs de sabre laser dans un aquarium, et les anthropophages sont de véritables totems vivants. J’adore !

Dans la version album, les couleurs de Laurence Croix venaient soutenir avec une justesse impeccable le dessin de Brüno. Cela dit, ce n’est pas lui faire offense que de reconnaître que cette version intégrale en noir et blanc atteint une forme d’efficacité encore supérieure, chaque trait relevant de l’essentiel. A un prix tout à fait abordable, il s’agit incontestablement d’une référence à avoir pour s’y replonger, une planche par-ci une planche par-là.
 

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