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L'Intégrale

Bruno Chevalier (Scénariste), Thierry Ségur (Dessinateur, Coloriste)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 30/09/1995  -  bd
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L'Intégrale

Thierry Ségur est un touche-à-tout: storyboarder attitré de Christopher Gans (Necronomion, Crying Freeman, Le Pacte des loups), il sévit aujourd'hui surtout dans le domaine de la publicité et de la communication. Pourtant, même s'il n'a pas connu d'actualité en BD depuis 1997 (et l'étrange Roi des Méduses avec Igor Szalewa), son nom sonne encore comme une promesse de merveilles graphiques aux oreilles de nombreux bédéphiles. Notamment parmi cette génération (: la mienne) qui a fourré son nom acnéïque de façon concomitante dans les chaudrons de la bande dessinée et du jeu de rôle, au milieu des années 80. Pour ces lecteurs-là, Thierry Ségur et son acolyte de toujours Bruno Chevalier, sont avant tout les auteurs des aventures de Croc le Bô, qui sévissait mensuellement dans les pages du vénérable magazine Casus Belli.

Puis, en 1987, ce fut la révélation avec La Saison des cendres, premier tome des Légendes des Contrées Oubliées, une trilogie qui allait s'attirer jusqu'en 1992 beaucoup de louanges et un enthousiasme toujours croissant. A tel point qu'aujourd'hui, la simple évocation des "Contrées Oubliées" suffit à combler d'aise ces nostalgiques de jets de dés, de pizzas froides et d'heroic-fantasy qui portent souvent aussi bien le costume trois pièces qu'ils arboraient naguère la cotte de maille. D'ailleurs, Les Légendes des Contrées Oubliées se déclinent non seulement en trois tomes, réunis dans l'intégrale qui nous occupe ici, mais aussi en une "encyclopédie-jeu de rôle", également éditée chez Delcourt, qui comble quelques parcelles d'inconnu des Contrées Oubliées sous les doigts experts de G.E. Ranne (alias Ange) et Stéphane Bura.

Mais dire que Les Légendes des Contrées Oubliées sont un must pour les rôlistes n'est pas rendre hommage à cette série qui est un must tout court. Alors à défaut de classer l'inclassable, de quantifier le magnifique, je vous propose de réinvestir ces Contrées Oubliées, maçonnées à grands coups de maléfices et de duperies divines...

"J'ai le sombre pressentiment que ton roi n'intéresse pas que nous, Noren!"

Deux saisons déjà que le roi des nains a succombé, laissant son royaume sans successeur. Deux saisons passées à errer vers le nord, pour Noren, Aren et Oten, à la recherche de celui qui doit prendre sa place sur le trône, selon un pélerinage millénaire sur les terres de la Puissance Ewandor. Mais pour atteindre son domaine, il faudra d'abord traverser les hostiles terres du nord et couper à travers 'le pays où nul ne va'. Une traversée pour laquelle les trois nains auraient apprécié les concours extérieurs, si tous les mercenaires de Gaëdor n'avaient décliné leur offre face au danger...

Mais un appât plus puissant que la peur peut ferrer certaines créatures des contrées oubliées: les sels! Cette monnaie qui se décline en tons de valeurs différentes et qui fait naître chez les Lïns d'intenses regards de convoitise. Pour Firfïn le voleur, l'aubaine est trop belle de s'enrichir sur le dos de ces balourds de nains. Après s'être attaché les services d'un guerrier akeï aussi puissant que stupide, voilà notre bande en route sur les traces d'Ewandor.

Une équipée bien inhabituelle, et qui ne manquera pas d'attirer sur elle le regard d'autres Puissances, à commencer par celui de Ssîn, dont le pouvoir s'est étendu sur presque la totalité des Contrées Oubliées, en vain: depuis le complot de Puissances qui l'a privé de sa douce Îné, Ssîn est à la recherche éperdue de la roche d'éternité qui saura rendre la vie à sa compagne. Mais où qu'il darde son regard, où qu'il lance ses chevaliers-tonnerre menés par le terrible Hûrl, la roche semble perdue. A moins que... A moins que ces nains que choie si bien Ewandor n'aient à voir avec ce secret divin?

Des poupées aux mains des Puissances

Dans le paysage de la BD d'heroic-fantasy, Chevalier et Ségur ont su se tailler un fauteuil à part. Car Les Légendes des Contrées Oubliées, c'est l'aventure de trois personnages (Noren, Firfïn et Morkaï) aux mains des Puissances, ces divinités qui se jouent d'eux comme d'insectes insignifiants. Pourtant, les auteurs ne tombent pas ici dans 'le travers' du Grand Pouvoir du Chninkel, où le propos divin est tellement présent, qu'il relègue au second plan l'Aventure. Cet équilibre entre les différents niveaux de lecture, qui se mélangent dans un final de toute beauté, cet équilibre donc procure une force et une identité singulières à cette série. Alors bien sûr on n'évite pas quelques clichés: les nains aussi bornés que barbus, les morbelins gobelinoïdes asservis à Ssïn... mais les Contrées Oubliées sont par ailleurs si dépaysantes, si exotiques, qu'on passe là-dessus sans sourciler.

Pour le dessin, je considère personnellement que Ségur n'a pas son pareil. Ses traits donnent à toutes les constituantes de son univers: végétales, animales et même minérales, une caractéristique très organique, charnelle, et par là même un brin inquiétante. Alors soit: on a le droit de ne pas adhérer, mais si on adhère, c'est somptueux. La mise en couleur très crue de La Saison des cendres est suivie pour les autres tomes d'un choix de teintes plus nuancées, même si les dégradés sont toujours très larges, balayant une gamme qui mène souvent jusq'au blanc. Bref: voilà un dessin qui ne manque pas de personnalité!

Autre atout graphique: Thierry Ségur a un don exceptionnel pour ce qui est de la composition des planches et les choix de cadrage, un don dont on peut imaginer qu'il n'aura fait que se développer au service des storyboards de Christopher Gans. Cette mise en scène très cinématographique profite bien évidemment à l'énergie et au rythme de la série. Cette aptitude à mettre au premier plan ce qui ne constituerait ailleurs qu'un enrobage graphique a pu être imitée (on pense par exemple à La Crypte du souffle bleu de Durand et Castaza), mais il n'a jamais atteint un tel niveau de raffinement (oserai-je dire de perfection?) que dans Les Légendes des Contrées Oubliées. D'ailleurs, chez Chevalier et Ségur, ces seconds plans ne sont presque jamais "que du décor": ils appartiennent à l'histoire car eux aussi, tout comme Firfïn, Morkaï et les nains, sont les jouets des Puissances.

Pour moi, Les Légendes des Contrées Oubliées sont LA référence d'heroic-fantasy, au-delà de La Quête de l'oiseau du temps, au-delà de L'Epée de cristal. Je ne vois ici qu'un chef-d'oeuvre d'une densité sans égale et d'une richesse déconcertante pour une saga en seulement trois tomes. Trois tomes bien trop courts réunis dans cette splendide intégrale qu'il faut avoir lue.

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