La mode des guerres futures
La quasi-monomanie de Danrit pour la guerre lui a valu divers surnoms donnés par les critiques : « l'utopiste de la guerre » pour Jean-Jacques Bridenne, « le Jules Verne militaire » pour Daniel David. Car l'œuvre de Mars chez Danrit n'a rien à voir avec la conquête spatiale et tout avec le bellicisme souvent le plus délirant.
De son vrai nom Émile Auguste Cyprien Driant (1855-1916), Danrit publie une trentaine de romans avec un idéal que résume la conclusion de L'Alerte : « de cet Idéal, le Patriotisme est la forme la plus pure ». Toute son œuvre est traversée par cette idéologie qui s'est construite après la défaite contre l'Allemagne en 1870-1871. Gendre du Général Boulanger, Danrit souhaite éduquer la jeunesse – on l'oublie souvent mais les œuvres guerrières du Capitaine sont destinées aux enfants – pour préparer la revanche. Il ne s'arrête pas là : il est bien sûr anti-allemand, choqué par l'incident de Fachoda notamment, le voici anti-anglais, angoissé par la démographie des peuples émergents, il verse facilement dans le racisme anti-noir et anti-asiatique, il est encore ennemi de tout ce qui représente à ses yeux l'anti-France : francs-maçons, instituteurs laïques, journalistes qui vont trop peu d'effort pour la Nation.
Sans doute lire Danrit aujourd'hui laisse parfois un arrière-goût désagréable. Pierre Versins parle de « la fureur abêtissante d'un DANRIT » et pour Jacques Van Herp « nous nageons dans le mauvais roman ». Il faut néanmoins reconnaître à Danrit une grande persévérance dans l'élimination physique de masse mais aussi dans la volonté de décrire avec un certain réalisme les guerres de demain.
L'Invasion noire (1895-1896) – dont nous donnons quelques extraits plus bas - relate le conflit dans lequel l'Europe est submergée par des troupes de noirs musulmans menés par le sultan turc. L'héroïsme français, appuyé par une bonne dose d'armes chimiques, en a raison dans les plaines de Champagne. Nous sommes revenus au temps des champs catalauniques : les nouveaux Huns sont repoussés. Bien sûr c'est raciste, islamophobe mais plus encore anglophobe (on a les détestations que l'on peut !).
L'intérêt pour l'amateur d'anticipation réside surtout dans les multiples inventions que cite Jacques van Herp : « les ballons métalliques […], soucoupes volantes avant la lettre, fusils silencieux à gaz carbonique, automates combattants, téléviseurs, pluie artificielle, gaz toxiques et guerre bactériologiques » ajoutons des super-explosifs ou le Tunnel de Gibraltar creusé par les Espagnols qui permet le passage de supplétifs africains essentiels à la victoire européenne. Les autres œuvres de Danrit sont souvent plus timides de ce côté là (rassurons-nous, on massacre toujours à tout va !).
Bien d'autres auteurs ont emboîté le pas de Danrit comme le colonel Royet (La Patrie en danger, 1904-1905) et de nombreux auteurs nationalistes inquiets de la puissance des voisins proches ou éloignés. D'autres s'en démarquent parfois pour condamner la guerre meurtrière à venir comme Robida (La Guerre infernale, 1907-1908) ou plus tard Victor Méric, La Guerre qui revient. Fraîche et gazeuse 1932) mais on ne peut nier que la guerre est l'un des thèmes importants de la science-fiction et que les « indigènes » de l'époque de Danrit furent plus tard remplacés par des extraterrestres dont les chances de survie étaient tout aussi faibles...
Extraits :
L'aérostat le Tzar :
« Maintes fois les Parisiens avaient vu passer au-dessus d'eux un aérolithe de forme étrange, dont les mouvements les avaient extraordinairement intrigués au début.
En effet, au lieu de se maintenir à une hauteur déterminée, comme les ballons dirigeables à hélice dont quelques spécimens avaient été construits, il apparaissait tantôt à 2000, tantôt à 300 mètres, et, cela, à quelques minutes d'intervalles ; en le voyant descendre avec une rapidité effrayante suivant une ligne oblique, les curieux ne pouvaient retenir des cris de terreur.
En un instant, de lentille minuscule perdue sur les sommets de l'azur, il devenait gros comme le dôme de Saint-Augustin.
Puis, au moment où l'on le croyait près de s'abîmer contre le sol ou sur les toits, il changeait soudain d'inclinaison et remontait dans les profondeurs de l'atmosphère de toute la vitesse acquise en tombant. »
Une vidéo conférence avec le miroir télescopique :
En face du cylindre parleur était une petite armoire en acajou, dont le colonel ouvrit les deux portes.
Une glace circulaire, en forme de miroir concave, en occupait le fond ; elle était formée de secteurs argentés soudés les uns aux autres, de manière à ce que chacun d'eux fit avec le suivant un angle de 178 degrés environ. Le colonel mit le commutateur sur une borne de cuivre, et à peine le contact avait-il eu lieu que le miroir se mettait en mouvement à une très grande vitesse.
- Ah ! par exemple, s'écria de Melval.
Dans la surface réfléchissante, il venait d'apercevoir l'image d'un homme assis à une table, et lui faisant face la tête dans ses mains.
- Vous ne connaissez pas ça ? demanda sir James, à qui le mouvement de surprise de l'officier n'avait pas échappé.
- J'en avais entendu parler, répondit l'officier, mais comme d'un projet chimérique et irréalisable dans la pratique.
Il est pourtant d'un de vos ingénieurs électriciens, reprit le gouverneur de Périm ; et en Angleterre il n'y a plus de station téléphonographique importante qui ne soit munie de son miroir télescopique.
La guerre chimique :
- [...]C'est Manset, mon préparateur de confiance ; il poursuit des recherches que j'ai commencées il y a cinq ans sur les gaz asphyxiants les composés du cyanogène, le bioxyde de carbone et le sulfhydrate d'ammoniaque ; et lui aussi espère aboutir quelque jour à une découverte qui révolutionnera l'art de la guerre.
Comment cela ?
- Vous comprenez aisément que si on pouvait projeter au milieu d'une armée des bombes qui, en éclatant, dégageraient un gaz irrespirable, on tuerait beaucoup plus d'hommes par l'asphyxie ainsi produite que par la perforation à l'aide de projectiles métalliques.
[…]
Le préparateur venait de soulever avec précaution la grosse cloche sous laquelle les deux officiers avaient observé une fumée blanchâtre, et cette fumée leur apparut alors opaque, légèrement oscillante, conservant pendant quelques instants la forme même de la cloche, puis elle s'inclina lentement, se roula en sphère aplatie à cause de la densité de son gaz supérieure à celle de l'air, et bientôt s'étala sur la table de cristal du chimiste, semblable à un pain, sans qu'une parcelle de gaz se répandit dans la pièce. Alors M. Manset prit, dans une niche placée sous la table, un lapin dont les soubresauts indiquaient la vigueur et la vitalité, et à peine lui eût-il plongé le museau dans la composition gazeuse que tout mouvement cessa.
- Voilà la guerre de l'avenir, dit M. Gantier en s'éloignant.
À lire :
Capitaine Danrit, L'Invasion noire, disponible sur Gallica (trois volumes)
Capitaine Danrit, L'Invasion jaune, collection Œuvres du Capitaine Danrit nº 1, éditions Encrage / les Belles Lettres, 2011
Capitaine Danrit, Évasion d'empereur, collection Bibliothèque populaire, éditions Encrage / les Belles Lettres, 2005
Vous aimerez peut-être (après tant de massacres, j'ai privilégié les guerres futures critiques ou humoristiques) :
Victor Méric, La Guerre qui revient, fraîche et gazeuse (1932), publie.net, 2012 ( édition numérique : http://www.publie.net/fr/ebook/9782814506206/la-guerre-qui-revient-fraiche-et-gazeuse )
Robert A. Heinlein, Étoiles, Garde à vous ! (1959), J'ai lu science-fiction, 2003
Joe Haldeman, La Guerre éternelle (1975), J'ai lu science-fiction, 2001
Orson Scott Card, Cycle d'Ender (1985), J'ai lu science-fiction
Roland C. Wagner, Les Psycopompes de Klash (1990), Mnémos, 1997
Umberto Eco, « Galons et Galaxies » in Comment voyager avec un saumon (1992), Le Livre de Poche, 2000
Xavier Mauméjean, La Guerre spéciale, Mango Jeunesse, 2009
Philippe Ethuin