Comme de très nombreux auteurs de fantasy, Elisabeth Lynn a débuté en écrivant de la science-fiction. Malheureusement pour les amateurs de space opera, le succès de ses Chroniques de Tornor semble l’avoir détournée du genre, ce qui est dommage si l’on en juge par l’originalité de L’œil du peintre. Jusqu’à la fin des années soixante-dix, les auteurs opérant dans les domaines de l’imaginaire étaient encore peu nombreux à utiliser des personnages non-hétérosexuels en s’affranchissant des stéréotypes négatifs. Elisabeth Lynn fut une des pionnières en ce domaine, faisant vivre ces relations avec suffisamment de simplicité et de légèreté pour qu’elles trouvent leur place dans le récit avec un à-propos dépourvu d’ostentation.
De tendres pirates de l’espace, à des parsecs d’une certaine SF belliqueuse…
Peintre dont la réputation s’étend jusqu’aux confins de l’univers connu, Jimson Alleca est également l’un des derniers hommes à être atteint d’un cancer. Les trajets dans l’hyperespace qui lui permettraient de quitter Nouveau Terrain lui sont par conséquent interdits, puisque ceux-ci accélèrent la prolifération des cellules cancéreuses. Il rêve pourtant de parcourir les espaces intersidéraux et pourquoi pas, de retrouver la trace de Russel, son ancien amant, qui répondit jadis à l'irrésistible appel des étoiles. Au cours de ses errances dans les bars mal famés du quartier de l’astroport, il fera la rencontre de Leiko, une Hyper avec qui il noue une relation des plus intimes. Mais Leiko a elle aussi l'espace dans le sang et finira par embarquer aussi, Jimson en est conscient. Ce jour-là, il se pourrait bien qu’il fasse le choix d’une liberté fatale plutôt que celui d’une vie dépourvue de cette fièvre créatrice qu’il est en train de perdre…
Une approche intéressante de la création artistique, de l'action, des sentiments...
Une prose féline et sensuelle, des personnages dont les actes sont guidés par une quête intérieure plutôt que par le besoin de laisser une empreinte sur le réel, des relations basées sur la tendresse et la confiance, voilà un space opera qui change des sempiternelles guerres intergalactiques et autres rebellions contre l’Empire. Pour Jimson le peintre, l’art n’est pas un ornement mais soutient la vie et l’impossibilité de créer est pour lui synonyme de mort. Elisabeth Lynn parvient à nous faire partager les préoccupations de ses personnages et une fois la dernière phrase achevée, le roman laisse un souvenir empreint d’une agréable et douce mélancolie. En effet, les protagonistes de l'histoire sont campés avec subtilité et on en vient à les soupçonner de continuer à exister aussi en dehors des pages, ou peut-être en dehors du cadre de l’un des tableaux de Jimson Alleca. L’œil du peintre est une bien belle trouvaille et il se pourrait même que cela donne envie à quelques lecteurs de se plonger dans l’un des romans plus fantasy de l’auteure…