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L'Ogre de l'espace

Gregory Benford (Anthologiste), Manchu (Illustrateur de couverture), Dominique Haas (Traducteur)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 13/02/2008  -  livre
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L'Ogre de l'espace

Né pendant la seconde guerre mondiale, Gregory Benford a reçu deux prix Nebula pour ses romans de science-fiction. Porte-drapeau de la Hard Science au même titre que Greg Egan, Greg Bear, David Brin..., il est aussi enseignant-chercheur en astrophysique à l'université de Irvine en Californie.
L'Ogre de l'espace (Eater) est publié en 2000 aux États-unis, en 2001 en France aux Presses de la Cité, puis en poche chez Pocket SF pour la présente édition.

Une menace venue de l'espace

Quand un trou noir se rapprochant du système solaire émet des signaux radio, Benjamin Knowlton est un des premiers à l'analyser. Chercheur responsable d'un centre de recherche implanté à Hawaï, il comprend rapidement que ce qui arrive est l'Événement qu'il attend depuis toujours. Mais Channing, son épouse et collègue, est atteinte d'un cancer incurable qui la ronge jour après jour et Kingsley Dart, son rival anglais de toujours, est déjà sur l'île, prêt à participer à la découverte.
C'est quand l'entité, qu'ils ont baptisée le Dévoreur, leur adresse un message et commence à se diriger vers la Terre que le phénomène cesse d'appartenir au monde scientifique et prend une tournure plus politique. Comment les hommes s'organiseront-ils pour comprendre, voire affronter l'Ogre de l'espace ?

Sciences dures : astrophysique et trous noirs

Lui même spécialisé en astrophysique, Gregory Benford aborde les théories pointues liées à la catastrophe qui guette la terre avec un degré d'abstraction exceptionnel. De quoi flatter le lecteur vaguement amateur de sciences qui comprend une ligne sur deux et admet le reste qu'il aura bien du mal à suivre.
L'effort de vulgarisation est réel, mais aboutit parfois à des juxtapositions étranges comme de voir un chercheur au sortir de plusieurs heures d'équations farcies d'intégrales opérer un simple produit en croix pour évaluer une nouvelle hypothèse. Quelques analogies imagées (cible, aimant, sablier...) viennent au secours du lecteur peu au fait des dernières théories d'astrophysique, mais s'avèrent impuissantes à rendre palpables ou simplement imaginables des situations telles que la lutte entre une personne téléchargée et un ensemble organisé et pensant de champs magnétiques... difficile, n'est-ce pas ?

Par ailleurs, Benford, tout à son enthousiasme d'exposer un domaine de la science qui le passionne, dessert, par l'abondance des connaissances déversées, l'équilibre de son propos, obligé de s'arrêter à des approximations ou à des explications vagues, dès qu'il s'éloigne de sa spécialité.
La numérisation des données de la personnalité, par exemple, repose sur une technique dont on ne saura rien. En revanche, les modélisations liées aux trous noirs seront extrêmement soignées, jusqu'à l'insertion de schémas dans le flux du roman.

Sciences molles : sociologie de groupes humains

Lorsqu'une menace de l'importance de l'Ogre de l'espace pèse sur l'homme, elle ne peut que bouleverser sa vision du monde et éveiller ses pires craintes. Benford choisit d'observer les réactions de trois groupes humains à l'apparition du trou noir. Les astronomes, tout d'abord, assez familiers de l'idée de l'insignifiance de l'homme face à l'immensité de l'univers, semblent les mieux préparés pour appréhender le phénomène. Cependant, sortis des chiffres, ils peinent généralement (sauf les héros) à en déduire des décisions concrètes et matérielles pour le bien de l'humanité. C'est là qu'interviennent les plus hauts niveaux du pouvoir, là où militaires et politiques se confondent.
C'est sur ces hommes d'élite du savoir et du pouvoir, dont les préoccupations recoupent rarement celles du grand public, que l'auteur va se pencher, décrivant avec force détails le ballet des différentes organisations de l'administration américaine et les manigances et manipulations usuelles dans ces cercles d'influence et de contrôle.

Le troisième groupe auquel va s'intéresser l'auteur, moins propice aux modélisations, est le groupe des quatre : Benjamin Knowlton, sa femme Channing, Kingsley et la post-doctorante Amy. Le message qu'il tente de faire passer est le suivant : si l'avenir de la planète repose sur leurs épaules, ils ne sont pas que des savants. Ce sont des êtres humains dotés de sentiments et dont les rapports sont sans cesse recalculés. Hélas, ils manquent tous cruellement de substance. Trop caricaturaux sont le savant anglais, as de diplomatie, et son homologue américain brillant et plein d'orgueil. Amy, si elle parle, bouge, participe à l'action, ne s'incarne jamais réellement. La plus étoffée des quatre est Channing, figure centrale de ce récit qui, tout en se préparant à affronter la mort, se passionne pour le Dévoreur et contribue à sa compréhension. Mais dans ce roman où rien ne se perd, elle n'est qu'une ressource intéressante pour l'auteur qui va s'en servir avec un cynisme grinçant afin de faire évoluer l'intrigue.

Pourquoi la vinaigrette ne prend pas

Les deux pôles (sciences dures et sciences molles) présents dans L'Ogre de l'espace ne parviennent pas à s'équilibrer. L'abondance de sciences, même, dessert le propos. Perdu au milieu des équations et des conjectures toutes abstraites, l'homme ne parvient pas à exister. L'identification aux personnages est difficile, tant ils sont insaisissables et décrits avec économie. Tout élément de leur personnalité qui est explicité sera réutilisé. C'est le miracle à chaque fois renouvelé de cet homme sur son île déserte qui n'avait qu'un ouvre-boîtes et trouve, justement, une boîte de conserve.

Pourtant ce livre, partant d'une riche idée, s'inscrit dans les thèmes classiques de la littérature de science-fiction. Qu'est-ce, après tout, que cette histoire d'alien venu de l'espace qui menace la terre ? C'est le bon vieux filon des romans de S-F d'antan. On en retrouve d'ailleurs des éléments connus, comme le casse-tête de la communication avec un être extraterrestre, les doutes quant aux intentions de l'Autre et même cette évidence que Washington est la capitale du monde !
Seulement, le sérieux des références et le degré d'abstraction atteint par celles-ci entravent l'adhésion du lecteur qui ne s'amuse guère. À quel moment a-t-on peur ? Comment accueillir la fin en queue de poisson du roman ?

Ce qu'il reste de cette lecture est le sentiment d'avoir eu entre les mains un exposé des théories les plus poussées sur les rapports entre trous noirs et champs magnétiques soutenu par une fiction trop visiblement construite pour cet usage. Un récit dans lequel le plus beau destin pour l'humanité semble consister à s'affranchir une fois pour toute du monde matériel pour rejoindre celui des idées.

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