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L'Ombre du Shrander

Bernard Sigaud (Traducteur), Michael J. Harrison ( Auteur), Stephan Martinière (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : 
Date de parution : 30/04/2004  -  livre
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L'Ombre du Shrander

Une chose est certaine, Harrison n’est pas un auteur facile. Avec sa trilogie Viriconium publiée une première fois chez Garancière puis rééditée chez Folio SF dans sa version intégrale, l’auteur donne dans une fantasy bien éloignée de ce qui se fait (et qui marche) aujourd’hui. Avec La mécanique du Centaure tardivement traduit en France de nouveau chez Folio, il s’attaquait au space opera. Là encore, on est bien loin des sentiers battus et Harrison va devoir supporter l’étiquette d’auteur intello, élitiste voir totalement imbittable pour le commun des mortels…

Fleuve Noir : de romans de gare à grands romans


C’est aujourd’hui au tour de Fleuve Noir de s’intéresser au cas Harrison en publiant son dernier roman en date qui a raflé le prix James Tiptree Jr : Light. Ainsi, après China Miéville et son excellent Perdido Street Station, Fleuve Noir, par sa collection Rendez-vous ailleurs, confirme sa volonté de faire peau neuve.

Trois niveaux de narrations


En 1999, Michael Kearney est hanté par l’ombre de ce qu’il appelle le Shrander. Poursuivi inlassablement par celle-ci, il se réfugie dans le meurtre afin de l’éloigner. Englué dans cette macabre fuite en avant, ses souvenirs rejaillissent régulièrement rendant son travail de recherche sur la création d’un ordinateur quantique plus que compromis. Qu’est-ce que le Shrander ? La matérialisation de sa folie ? Une entité extraterrestre ? Des réminiscences rétroactives venues d’un avenir lointain ? La confirmation que ce que nous tenons pour tangible n’est qu’une illusion ? Un peu de tout ça ou alors une vérité encore plus démentielle ?

Quelques quatre siècles plus tard, l’humanité voyage dans l’espace. Elle s’est déjà frottée à plusieurs races extraterrestres, bidouille des vaisseaux spatiaux en mélangeant humains upgradés et technologie E-T. Seria Mau est une de ces humaines qui a abandonné son humanité pour vivre en symbiose avec un de ces artefacts étrangers. Ce qui reste de son corps baigne dans un caisson et des lambeaux de souvenirs rejaillissent de manière très parcellaires de son inconscient. Elle loue au plus offrant ses services comme transporteur ou pirate jusqu’au jour où une découverte modifie radicalement le cours de son existence…

Même époque : Ed Chirnois est un bulleur. Cet ancien sondeur (pilote) s’est réfugié dans des jeux virtuels érotiques pour une raison que lui même a depuis longtemps oublié. Malheureusement pour lui, les sœurs Cray – les boss de la ville - veulent le récupérer à tout prix. Dès son réveil, il se réfugie chez son dealer de rêves…

Aussi grand qu’exigeant


Si Dan Simmons avait livré avec Hypérion et La chute d’Hypérion une synthèse de la SF une dizaine d’année plus tôt, aujourd’hui c’est au tour de M. John Harrison. En effet, avec une densité rare pour un livre aussi court, L’ombre du Shrander évoque tour à tour la narration d’Evangelisti, la psychologie des personnages de Priest, la paranoïa et le questionnement sur la réalité très Dickienne, les univers chatoyants et guidés par les tarots ou les jeux de hasard baignés de mysticisme d’un Delany ou d’un Harness, l’ampleur de vision et la poésie d’un Cordwainer Smith… Le tout d’une lecture passionnante – ce qui n’était pas le cas, loin de là, de ses précédents textes.

Le moindre détail doit être mémorisé car il permet de comprendre qui sont réellement les protagonistes : des éléments parsemés par l’auteur dans les premiers chapitres révèlent leur importance plusieurs dizaines de pages plus loin, et en une phrase, Harrison peut changer de lieu ou avoir donné une indication vitale à la compréhension de la suite… Difficile à lire dans le métro donc.

Intelligent mais accessible

Bon, vous allez me dire que tout ça (et sûrement beaucoup plus suivant les lecteurs) en seulement 270 pages, ça doit être très indigeste… En fait : oui aussi indigeste que fascinant car jusqu’aux toutes dernières pages on craint le pire, qu’Harrison nous plante là, laissant l’œuvre inachevée ou terminée en queue de poisson. Rassurez-vous, rien de tel. Certes chaque page de ce roman requerra toute votre attention et l’ensemble nécessitera très certainement une seconde lecture très prochaine mais là vous tenez là un truc immense. L’auteur arrive enfin a doser le côté ardu de son écriture et au final L’ombre du Shrander a tout de ces œuvres dans lesquelles on puise de nouvelles interprétations à chaque lecture.

Quelques (très) bonnes raisons de se procurer ce roman :

A lire pour découvrir l’auteur / à lire pour se réconcilier avec l’auteur / à lire pour confirmer qu’Harrison est un très grand auteur / à lire pour être un shouïa moins con / à lire aussi pour encourager Fleuve Noir à poursuivre dans cette voie : à nouveau un effort sur le prix de vente, 18 euros, c’est à dire le même tarif que Les fous d’avril de Doa (premier roman d’un auteur français paru précédemment). Un effort d’autant plus méritoire que cette fois-ci les frais de traduction viennent s’ajouter à l’addition ainsi que des droits très probablement plus élevés. A lire pour toutes ces raisons et aussi parce que cette fois-ci on pourra apprécier le texte sans être obligatoirement auteur ou éditeur.

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