- le  

L'usage des armes

Iain Banks ( Auteur), Manchu (Illustrateur de couverture), Hélène Collon (Traducteur)
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/10/1996  -  livre
voir l'oeuvre
Commenter

L’usage des armes

Il ouvrit toute grande la porte du cottage. Sous la pluie, on pouvait voir toutes sortes de choses (…) Il revit une chaise, et aussi un navire qui n’en était pas un ; il vit un homme doté de deux ombres, et vit ce qui ne peut être vu : un concept, l’instinct de survie qui mettait en jeu la faculté d’adaptation, la quête de soi, le besoin de tenter l’impossible pour y parvenir, de supprimer, ajouter, pulvériser et créer de sorte que tel ou tel amas de cellules donné puisse se perpétuer, avancer, décider, continuer d’avancer et de décider, conscient - au minimum - d’être au moins en vie.

El la chose avait deux ombres, la chose était double ; elle était nécessité et elle était méthode. La nécessité était évidente : combattre et détruire ce qui s’opposait à son existence. La méthode consistait à s’emparer des matériaux et des êtres, et à les mettre au service d’un seul but, à considérer que, dans cette lutte, il fallait faire feu de tout bois, ne rien exclure ; tout pouvait devenir une arme, et la faculté de manipuler ces armes, de les trouver, de pointer celle-ci ou celle-là sur la cible avant de faire feu ; ce talent, cette faculté, cet usage des armes.”

La Culture.

On pourra gloser à longueur de journées, de la richesse, de la portée philosophique, de la qualité littéraire, de l’ironie sous-jacente de la grande œuvre de Iain M. Banks.

Mais tout cela ne serait rien, enfin presque rien - tout juste des frémissements bouillonnants à la surface du fandom - si Banks n’était pas un conteur hors du commun.

Sans L’usage des armes, qui s’affirme comme l’un des plus beaux contes de la science fiction moderne, bon nombre d’entre nous - moi le premier - auraient depuis longtemps raccroché les guêtres poussiéreuses de la science fiction.

Suivant deux fils narratifs, Banks y relate la chanson de Zakalwe un des agents plus performants de Circonstances Spéciales.

Le premier fil suit sa mission actuelle et s’intéresse plus particulièrement à sa relation ambiguë avec Diziet Sma, son contact de CS. Le second remonte le temps et livre des tranches de vie de Zakalwe, de missions héroïques en pauses méditatives, jusqu’à son enfance - brisée par la guerre.

Avec Chéradénine Zakalwe, Banks a repensé complètement l’archétype du héros de science fiction ; démarche qu’il a poursuivi dans Une forme de guerre et Against a dark background.

Héritier des romans d’aventures, du space opera hamiltonien au roman d’espionnage, le héros de science fiction n’a de cesse d’aller de l’avant et de sortir valeureusement de situations périlleuses afin de mener à bien sa mission (pour plus de détails, se reporter à la notice de lecture des productions primaires du *nouveau* space opera).

Si Banks a conservé le côté périlleux dans ses romans - cette tension dramatique nécessaire au ressort de son récit d’aventures - ses héros sont tournés vers le passé : Rédemption pour Zakalwe, vengeance pour Horza et fuite pour Sharrow. Zakalwe, Horza et Sharrow ne mènent leurs missions que pour se dédouaner d’un passé criminel.

Qu’il soit au service de la Culture, de ses ennemis, ou freelance, le héros de Banks est toujours dans son droit, agit suivant une cause, une logique qui lui paraît juste, bonne. Banks désamorce ainsi tout manichéisme dans ces récits. Ces héros sont même fortement égocentriques ; enfantins.

Puis, Banks place son héros dans une succession d’épreuves au bout desquelles il sera récompensé - en théorie. En réalité, seuls la mort, la solitude et la désillusion attendent ses personnages.

Tout en conservant les attributs d’un héros - invincibilité, force, intelligence - Banks adjoint à ses personnages une humanité, les rendant ainsi faillibles dans leurs actions autres qu’héroïques.

Leurs actes de bravoure finissent même par devenir anecdotiques devant la folie destructrice qui s’abat autour d’eux (Tous les châteaux de sable tombent dans la mer) ou face au barbarisme rétrograde des sociétés raffinées qui les entourent (voir dans L’usage des armes le passage à la Dr Adder où de riches bourgeois se font faire des mutilations en guise d’ornements).

Banks rend en fin de compte banals les agissements de ses héros quand ils sont ramenés à une plus grande échelle.

Ainsi, ce qui ressort avant tout des péripéties chatoyantes des personnages, ce sont leurs failles (le trauma de Zakalwe, la blessure à la jambe de Sharrow, l’appartenance de Horza à une espèce amenée à s’éteindre sont comme un symbole, une marque de fabrique de Banks). Les passages contemplatifs l’emportent alors sur les scènes d’actions stylées de ces trois romans. Car dans ces passages, Banks touche juste.

Le sang des morts, la poussière des ruines, l’odeur de la pluie, l’empreinte de la solitude ; Banks peint l’âme de Zakalwe, de Horza et de Sharrow, jusqu’à la source des tragédies qui ont brisé ces êtres. Les guerres n’épargnent personne, pas même leurs héros.

Dans les romans similaires qui suivront, Banks n’érigera aucun héros en tête de poupe (Excession, Le sens du vent) ; ses récits n’en ont désormais plus besoin. Tout au plus, s’intéressera-t-il dans Inversions à la retraite de DeWar - ancien agent de Contact, lui aussi meurtri par son passé, mais qui a appris à renoncer à sa condition de héros. Au contraire de ceux qui ont gardé le même cap que Phlébas, DeWar a des chances d’aspirer à une vie paisible.

Zakalwe n’aura pas cette chance. La faute commise est trop forte et la peine trop lourde. Seul l’oubli, qui s’égrène tout au long des chants composants ce récit, dans les armes et l’alcool, dans l’alcool et les armes, saura offrir à Zakalwe une paix éphémère entre chaque impact.

À travers le destin de Zakalwe, et son talent - son usage des armes - Banks pousse jusqu’à son paroxysme la fascination de la nature humaine pour les armes, pour la guerre et ses jouets, pour la barbarie, la violence et la cruauté qu’elle n’avait jamais vraiment quittées.

Sans porter de jugement, Banks se contente de verser une larme sur la quête impossible de rédemption de Zakalwe, sur l’échec de l’humanité à s’élever au-delà de son statut primitif.

Héros attachant dans sa grandeur et dans sa détresse, Chéradénine Zakalwe est le personnage le plus emblématique de toute la SF moderne, perdu entre des souvenirs de gloire et les affres d’une réalité tragique.

« Messieurs (…), il me revient en tête une phrase que m’a dite un jour la très pieuse Sma à propos de l’héroïsme ; cela disait à peu près : "Zakalwe, dans toutes les sociétés humaines que nous avons passées en revue, quels que soient l’époque et le contexte, on trouve le plus souvent (pour ne pas dire toujours) surabondance de jeunes mâles impatients prêts à tuer et à mourir afin de préserver la sécurité, le confort et les préjugés de leurs aînés ; ce que tu appelles héroïsme n’est qu’une illustration de cette constatation ; il n’y a jamais eu pénurie d’imbéciles." »


Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?