Sfar est peut-être bien le fer de lance de sa génération, tout lui réussi. Il exerce avec le même talent le rôle de dessinateur et celui de scénariste. Son monde atypique, il le partage avec quelques autres auteurs avec lesquels il collabore régulièrement : Trondheim, Larcenet mais aussi un jeune homme au talent consacré à Angoulême, Blain (Isaac le Pirate). Mais, c'est en solo, comme souvent d'ailleurs, Professeur Bell, Petit Vampire et Grand Vampire pour citer les plus connues, qu'il revient avec Le Chat du Rabbin dont le premier tome La Bar-Mitsva vient de paraître chez Dargaud dans la très bonne collection Poisson Pilote.
Un chat qui parle...
Cette histoire débute sur un acte de barbarie, le chat mange le perroquet de la maison, exaspéré par son babil incessant. Mais contre toute attente, le voilà dès lors doté du don de la parole. Le rabbin en déduit que loin d'être un miracle, c'est une hérésie, un acte diabolique. Défense est alors faite au chat de revoir la si jolie fille du rabbin, plus de caresses en perspective... Mais ce chat-là n'est pas du genre à garder sa langue dans sa poche maintenant qu'il peut enfin s'exprimer. La seule solution pour retrouver le confort et la volupté des genoux de sa jeune maîtresse est de devenir un chat juif. Et voilà qu'il se met en tête de faire sa Bar-Mitsva.
On savait déjà que Sfar sortait des sentiers battus, que ses BD étaient toujours foisonnantes, originales et déroutantes. Mais ce petit conte philosophico-religieux qu'il nous livre cette foi-ci est une pure merveille. Un petit joyau qui nous éclaire de ses lumières. Le narrateur est ce chat doué d'une intelligence rare à qui il ne manquait que la parole. Il vivait au Paradis, passant ses journées à lire par-dessus l'épaule de son maître et à se faire caresser par la fille de celui-ci. Or le Paradis est fait pour être perdu et tout comme ses illustres prédécesseurs, c'est en commettant un péché (tuer et manger le perroquet) qu'il en sera chassé. Légèrement théologique, cette BD reflète la tradition juive de discuter la Bible et les autres livres religieux, de les mettre en question, de s'interroger et de se répondre par versets interposés. Bref, loin de tout dogmatisme c'est une parole vivante qui est transmise et que Sfar met en scène. Le Chat d'un cynisme et d'une ironie presque sans limite est pourtant un personnage attachant et drôle auquel le lecteur peut rapidement s'identifier. C'est un personnage de l'extrême, allant toujours plus loin dans le cheminement de sa pensée, il peut aussi se montrer d'une grossièreté et d'une insolence qui n'ont d'égal que sa finesse d'esprit et son tendre amour pour la fille du rabbin.
épicurien le chat
Le dessin se fait l'écho du scénario en nous présentant un chat à l'opposé de toutes les conventions. Il évoque étrangement les chats égyptiens, sorte de sphinx aux longues et droites oreilles, à la tête anguleuse et au corps ascétique. C'est pourtant un chat plutôt épicurien, les sens toujours en éveil. Il reste à dire que Sfar joue aussi sur le décalage entre ce que le chat dit au lecteur et ce que l'image nous donne à voir. On retrouve son double dans la gente canine en la figure de Socrate le demi-chien, paru en même temps, mais dont le dessin est de Blain. Le narrateur est cette fois-ci un chien, fidèle compagnon d'Héraclès, dont les faits et gestes vont être commentés par un philosophe de haute envolée. Les deux BD se lisent indépendamment mais sont liées intrinsèquement par le thème et le "style".
Pour conclure, disons simplement que ce petit chef-d'œuvre laisse présager, si la plupart des BD sont de ce niveau, que l'an 2002 sera celle d'un grand crû, voire d'un millésime.
La chronique de 16h16 !