Est-il possible que le Panthéon des Grands Novellistes des années cinquante ait été à ce point surpeuplé qu'on ait pu omettre d'y faire figurer Charles Beaumont ? Lorsqu'il s'agit de citer des noms, il en est qui viennent facilement à l'esprit, comme ceux de Ray Bradbury ou Richard Matheson... En revanche, seul un recueil de nouvelles paru en France en 1959 atteste de l'excellence de l'œuvre de Charles Beaumont et le place au niveau de ses confrères les plus éminents. Scénariste pourtant renommé en son temps (il a travaillé avec Roger Corman) il fut notamment l'un des principaux pourvoyeurs d'histoires pour des séries aussi mythiques que Twilight zone, Alfred Hitchcock présente ou encore la célébrissime Au nom de la loi avec Steve McQueen. Seul son décès à un âge précoce pourrait expliquer l'oubli inique dans lequel il a été maintenu et d'où seul un archiviste dévoué à la cause de la littérature pouvait momentanément le sortir.
Des nouvelles qui n'ont rien perdu de leur (im)pertinence.
Comme on peut s'y attendre de la part d'un auteur des années cinquante et qui a, de plus, fait les beaux jours de la Twilight zone, le recueil fait la part belle aux histoires à chute. Pourtant, rares sont celles qui peuvent être réduites à cette seule dimension. Chez Beaumont, la chute n'est pas un but mais un ornement, une figure de style qui permet de clore avec élégance des nouvelles dont le fond n'a rien de superficiel. En effet, le divertissement n'est qu'un aspect de ces textes dans lesquels perce une virulente et acerbe critique sociale, une volonté d'ébrécher les idoles consuméristes en leur assénant des coups de marteau qui continuent à résonner de nos jours. Loin d'être confinés à la société des années cinquante, les nombreux thèmes qu'il aborde sont encore d'une brûlante actualité après plus d'un demi-siècle de réclusion dans les pages desséchées d'un vieux volume de Présence du Futur : l'urbanisation à outrance de La jungle ; l'institutionnalisation de normes artificielles de beauté physique dans La beauté, un récit poignant depuis le point de vue d'une jeune fille au physique banal que l'on s'apprête à conformer de force aux standards édictés par la société ; l'éternel et tragique problème de la vaine recherche de la femme idéale, illustré avec un humour quelque peu désespéré dans Les yeux plus grands que le ventre ou encore les derniers progrès de la technologie au service du profit et de l'industrie cinématographique avec Le quadriopticon, un système qui renvoie la 3D à la préhistoire du septième art...
Sous une apparence très pulp, une réflexion sarcastique.
Tous ces sujets sont traités avec une grande efficacité et, bien entendu, un scénario impeccable. Si certaines histoires sont assez drôles, d'autres se révèlent en revanche franchement angoissantes et même cruelles, ce qui n'empêche pas une note d'espoir qui naît souvent d'un esprit contestataire : le salut semble résider dans le pouvoir de refuser le conformisme imbécile d'une multitude décérébrée. Quelques une de ses nouvelles les plus courtes, cependant, restent plaisantes sans être aussi incisives, ce qui est peut-être dû à la traduction, le registre oral populaire vieillissant fréquemment assez mal. Ce défaut est particulièrement regrettable dans La fête des mères, qui narre pourtant une réjouissante histoire de rapprochement entre les peuples martiens et terriens. Excellent moyen d'utiliser son temps de cerveau disponible, Là-bas et ailleurs reste un recueil qui, s'il était réédité, serait unanimement considéré comme un authentique classique oublié, avec des textes que l'on pourra encore lire au cours des décennies à venir avec un plaisir intact. Quel argument plus déterminant pourrait-on avancer en sa faveur ?