Que Fleuve Noir réédite un roman d'Ayerdhal, ce n'est plus vraiment une surprise. Depuis ses débuts il y a dix ans, Ayerdhal est certainement un des auteurs français le plus réédité (un des plus lu aussi... ceci explique sans doute cela). Pourtant, cette énième parution de La bohème et l'Ivraie est doublement intéressante, d'une part parce qu'il s'agit là du tout premier roman publié de l'auteur (en 1990 pour être précis), et d'autre part parce que c'est probablement l'une des dernières cartouches françaises que le Fleuve vient de tirer depuis l'arrêt de sa collection de poche. Avec cette réédition, le Fleuve essaie de donner l'impression qu'il a encore un peu de stock français sous la main... Enfin, pour Ayerdhal ce n'est depuis longtemps plus le cas. C'est le dernier roman que J'ai Lu n'a pas racheté ! Mais toutes ces considérations pseudo-intellectuelles'on s'en fout complètement' ne nous éclairent pas franchement sur la trame du livre...

Seul contre tous...

En fait, l'idée tient en quelques mots : un homme, Yvlain, va lutter contre une institution toute-puissante, simplement pour exercer librement son art... Seulement voilà, sous la plume d'Ayerdhal, cette trame de départ toute simple va prendre une ampleur exceptionnelle et inimaginable. L'art d'Yvlain est de réussir à projeter des images, des odeurs et des sons par la simple force de son esprit. Et à ce petit jeu-là, il est le meilleur ! Mais le talent ne se reconnaît pas toujours quand on l'a sous le nez et les professeurs de l'institution qui le forme ne voient en lui qu'un étudiant sans avenir, doublé d'un sale caractère. Bref, ils vont le jeter dehors en ignorant qu'ils se mettent le doigt dans l'œil jusqu'à l'épaule (et c'est pas facile croyez-moi ! Surtout sans séquelles)...

Car loin de se laisser abattre par cet échec, Yvlain va continuer à s'exercer, projetant pour des foules de plus en plus nombreuses de formidables spectacles pyrotechniques. Très vite, son succès est tellement important qu'il en ébranle au passage le prestige de l'institut. Ce petit gars parti de pas grand-chose fait mieux que les meilleurs élèves de l'école ! Blessés dans leur orgueil, les hauts pontes de l'institut aimeraient bien lui clouer le bec définitivement. Mais ce n'est pas toujours évident d'éliminer un personnage gênant quand il a l'appui de la foule, des amis prêts à le défendre jusqu'à la mort et trois maîtresses capables de se transformer en tigresses !

A lire !

Gigantesque space-opéra de plus de 800 pages au départ (cette réédition en accuse 600 au compteur, mais c'est du grand format), Ayerdhal marche sur les traces de son idole Frank Herbert. Pour autant, ce n'est pas du " copier/coller ". Les thèmes que notre enragé national va développer dans les romans suivants sont déjà là : révolte contre une institution qui cherche à imposer ses dogmes, réflexion sur le pouvoir, prédominance des personnages féminins... bref, si ce roman comporte l'influence du papa de Dune, il n'en est pas moins un véritable Ayerdhal pur souche !

Au final cette réédition est l'occasion pour tous ceux qui n'ont jamais lu La Bohème et l'Ivraie de le faire. C'est rythmé et passionnant pratiquement tout le long, excepté quelques longueurs de jeunesse vers le milieu. Sans être le meilleur roman d'Ayerdhal à mon sens, il vaut sans aucun doute le détour.