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La boussole du capitaine - Avril 2014
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La boussole du capitaine - Avril 2014

C’est un scandale, mais hélas il en va ainsi : même les auteurs les plus « immortels » finissent par mourir. Les auteurs pour la jeunesse, par exemple, dont l’inspiration semblerait pourtant bien éloignée de la gravité et du morbide d’un sujet comme la mort, se retrouvent tous un jour ou l’autre confronté au même réel, qui n’a aucun sens artistique. La mort est une goujate, imaginez qu’elle a même été jusqu’à nous enlever un grand monsieur comme Georges Chaulet la semaine précédant le rendez-vous qu’avait pris un de mes collaborateurs pour aller l’interviewer. Ainsi donc, le volume de la « Bibliothèque rouge » intitulé Jeunes détectives, les vies (sous la direction de Vivian Amalric) a-t-il donc vu le jour sans cet entretien que je souhaitais de tout cœur. Tristesse ! Je l’avais pourtant bien cru presque immortel, Georges Chaulet, depuis le temps qu’il alignait pour la célèbre collection « Bibliothèque rose » des aventures de sa jeune aventurière, Fantômette.
 
Combien il y a-t-il eu de tomes, au juste ? Plus d’une cinquantaine, semble-t-il 53 très exactement si l’on compte le beau livre la célébrant tardivement, Les Secrets de Fantômette (2011), qui contenait ce document incontournable : Fantômette amoureuse, où l’on découvre une Fantômette devenue adulte. Eh oui, les héros (héroïne, ici) vieillissent aussi, parfois. De 1961 à 2011, cela faisait cinquante années que Georges Chaulet fournissait le jeune public en aventures rocambolesques et toujours futées sur une jeune fille ne s’en laissant pas compter. Combien cela fait-il de générations de lectrices et de lecteurs, cinquante ans ? Et ce n’est pas fini, puisque Hachette continue à publier les Fantômette. Né en 1931, Georges Chaulet s’est éteint en 2013. Largement le temps d’influencer et de distraire un nombre prodigieux de jeunes cervelles. Je revendique sans honte d’être de ces « enfants de Fantômette », un lecteur boulimique qui fit ses délices de l’héroïne à pompon au point que son vocabulaire — et, partant, le vocabulaire familial — s’en retrouva infusé des trouvailles verbales de l’écrivain. Car il était inventif, ce monsieur Chaulet. J’allais écrire « l’animal », l’un des mots favoris de Fantômette, qui paraît l’avoir chipé au vocabulaire d’un de ses plus augustes prédécesseurs, le gentleman-cambrioleur Arsène Lupin. Si elle monte-en-l’air plus souvent qu’à son tour — « Bien ! Le moment est venu d’invoquer ma bonne étoile, et de me déguiser en chatte. Plus question de faire le moindre bruit. Je veux entendre voler une araignée, comme dirait Ficelle. » —, Fantômette, elle, ne cambriole point, elle redresse les torts et élucide les mystères les plus épais — insérer ici quelque pique de la grande Ficelle quant à l’épaisseur de sa compagne habituelle, la grosse Boulotte. Ah oui, le corpus essentiel des Fantômette (excusez le mot savant) se situe dans les années soixante, bien avant le politiquement correct, et donc la placide Boulotte est franchement énorme, l’auteur n’hésite pas à le dire.
 
Boulotte et Ficelle, ce sont les fidèles complices d’aventure et les faire-valoir comiques de Fantômette, ou plutôt, pardon, de Françoise — puisque les deux filles ignoreront toujours l’identité secrète de leur sage amie, incapables de discerner qui est Fantômette, sinon ce ne serait pas drôle.
« La grosse fille, les joues bourrées, approuve d’un hochement de tête. Ficelle désigne alors Françoise. « Et cette bonne à rien ? — La bonne à rien vient également, dit Françoise. — Peuh ! je me demande à quoi tu vas servir. Je serais bien capable de détecter le dragon sans toi. » Inventif monsieur Chaulet, disais-je, qui sur les 49 volumes de la série « classique » des Fantômette, ne se répéta jamais réellement. Chaque roman varie d’approche, d’accroche, d’idée, de déroulé… Tout y est fantaisie et tout y est variété, par un auteur qui s’amuse mais qui respecte son lectorat. Au point de même faire quelques clins d’œil vers un prétendu réalisme :  »Fantômette raccroche. Puis, comme il commence à se faire tard, elle va dans sa chambre, se brosse les dents, met un pyjama jaune, rouge et noir, et s’enfonce entre ses draps. Trois minutes plus tard, elle dort. Car elle n’occupe quand même pas toutes ses nuits à courir après les voleurs ! »
 
Permettez maintenant l’ouverture d’une parenthèse : les jeunes gens de nos jours ont un accès permanent à tout l’imaginaire science-fictif et, plus largement, à l’immense « culture geek ». Lorsque l’on a l’âge du capitaine, en revanche, un tel accès n’avait rien d’évident quand nous étions jeunes. La science-fiction était denrée rare et méconnue, et c’est à l’imagination fertile d’un Georges Chaulet que nombre de lecteurs doivent d’avoir fréquenté pour la première fois des savants fous et des voyageurs de l’espace.
 
La même reconnaissance est due à un autre grand monsieur de la littérature populaire pour la jeunesse : Philippe Ébly, qui nous a quittés au début du mois dernier. Avec cet écrivain belge, qui était né en juillet 1920 (de son vrai nom Jacques Gouzou), c’est une autre grande plume de l’évasion qui vient de tirer sa révérence, hélas. Et à sa mort plus d’un acteur actuel de la science-fiction s’est empressé de reconnaître sa dette envers les « Bibliothèque verte » de cet auteur. Si Chaulet était emblématique de la « Rose » et des années 1960, Philippe Ébly pour sa part faisait partie de l’équipe de la « Verte » et s’ancrait plutôt dans la décennie suivante, les années 1970. En ouverture de ce papier, je me permettais d’avancer que gravité et jeunesse étaient assez éloignés, mais ce n’est pas vrai pour l’œuvre d’Ébly, qui était justement marquée par une étonnante gravité. Au point que, je l’avoue, lorsqu’adolescent j’avais essayé de lire le premier volume de sa série « Les Conquérants de l’impossible », Destination Uruapan, ce roman m’avait semblé mortellement ennuyeux. Pire : le relisant l’autre jour, j’ai ressenti le même ennui, devant un texte si grave qu’il en devient pesant. Fort heureusement, dés le deuxième volume, Celui qui revenait de loin, cette gravité se mâtine d’un bon suspense, qui emporte le lecteur à la suite de jeunes héros sérieux et droits mais ayant le sens de l’aventure. Chez Philippe Ébly, l’on voyage dans le temps mais ce n’est jamais pour des raisons frivoles : dans les Fantômette, tout est pour rire (Ficelle pensant son héroïne morte, met des chaussettes noires en guise de deuil), tandis que les Conquérants de l’impossible ont tout le sérieux de leurs contemporains adultes de Mission: Impossible. Voyages dans le temps, cité cachée, robot, gang international, exploration martienne et mer des Sargasses, les héros d’Ébly passent par toutes les étapes obligées d’un imaginaire typiquement seventies, cousin de la collection « L’aventure mystérieuse », ces absurdes petits volumes rouges de chez J’ai lu qui nous firent tant rêver…
 
En une vingtaine de volumes, sans compter la série parallèle des Évadés du temps, Philippe Ébly orienta tout un pan de l’imaginaire de la jeunesse vers les nouvelles frontières de la science-fiction ; on ne le remerciera jamais assez pour cela. Généreuses années 1970, où d’autres auteurs, en particulier Christian Grenier et Christian Léourier, toujours actifs de nos jours, nous apprirent à voyager si loin.
 
André-François Ruaud
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