

Boulotte et Ficelle, ce sont les fidèles complices d’aventure et les faire-valoir comiques de Fantômette, ou plutôt, pardon, de Françoise — puisque les deux filles ignoreront toujours l’identité secrète de leur sage amie, incapables de discerner qui est Fantômette, sinon ce ne serait pas drôle.
« La grosse fille, les joues bourrées, approuve d’un hochement de tête. Ficelle désigne alors Françoise. « Et cette bonne à rien ? — La bonne à rien vient également, dit Françoise. — Peuh ! je me demande à quoi tu vas servir. Je serais bien capable de détecter le dragon sans toi. » Inventif monsieur Chaulet, disais-je, qui sur les 49 volumes de la série « classique » des Fantômette, ne se répéta jamais réellement. Chaque roman varie d’approche, d’accroche, d’idée, de déroulé… Tout y est fantaisie et tout y est variété, par un auteur qui s’amuse mais qui respecte son lectorat. Au point de même faire quelques clins d’œil vers un prétendu réalisme : »Fantômette raccroche. Puis, comme il commence à se faire tard, elle va dans sa chambre, se brosse les dents, met un pyjama jaune, rouge et noir, et s’enfonce entre ses draps. Trois minutes plus tard, elle dort. Car elle n’occupe quand même pas toutes ses nuits à courir après les voleurs ! »
Permettez maintenant l’ouverture d’une parenthèse : les jeunes gens de nos jours ont un accès permanent à tout l’imaginaire science-fictif et, plus largement, à l’immense « culture geek ». Lorsque l’on a l’âge du capitaine, en revanche, un tel accès n’avait rien d’évident quand nous étions jeunes. La science-fiction était denrée rare et méconnue, et c’est à l’imagination fertile d’un Georges Chaulet que nombre de lecteurs doivent d’avoir fréquenté pour la première fois des savants fous et des voyageurs de l’espace.
La même reconnaissance est due à un autre grand monsieur de la littérature populaire pour la jeunesse : Philippe Ébly, qui nous a quittés au début du mois dernier. Avec cet écrivain belge, qui était né en juillet 1920 (de son vrai nom Jacques Gouzou), c’est une autre grande plume de l’évasion qui vient de tirer sa révérence, hélas. Et à sa mort plus d’un acteur actuel de la science-fiction s’est empressé de reconnaître sa dette envers les « Bibliothèque verte » de cet auteur. Si Chaulet était emblématique de la « Rose » et des années 1960, Philippe Ébly pour sa part faisait partie de l’équipe de la « Verte » et s’ancrait plutôt dans la décennie suivante, les années 1970. En ouverture de ce papier, je me permettais d’avancer que gravité et jeunesse étaient assez éloignés, mais ce n’est pas vrai pour l’œuvre d’Ébly, qui était justement marquée par une étonnante gravité. Au point que, je l’avoue, lorsqu’adolescent j’avais essayé de lire le premier volume de sa série « Les Conquérants de l’impossible », Destination Uruapan, ce roman m’avait semblé
mortellement ennuyeux. Pire : le relisant l’autre jour, j’ai ressenti le même ennui, devant un texte si grave qu’il en devient pesant. Fort heureusement, dés le deuxième volume, Celui qui revenait de loin, cette gravité se mâtine d’un bon suspense, qui emporte le lecteur à la suite de jeunes héros sérieux et droits mais ayant le sens de l’aventure. Chez Philippe Ébly, l’on voyage dans le temps mais ce n’est jamais pour des raisons frivoles : dans les Fantômette, tout est pour rire (Ficelle pensant son héroïne morte, met des chaussettes noires en guise de deuil), tandis que les Conquérants de l’impossible ont tout le sérieux de leurs contemporains adultes de Mission: Impossible. Voyages dans le temps, cité cachée, robot, gang international, exploration martienne et mer des Sargasses, les héros d’Ébly passent par toutes les étapes obligées d’un imaginaire typiquement seventies, cousin de la collection « L’aventure mystérieuse », ces absurdes petits volumes rouges de chez J’ai lu qui nous firent tant rêver…

En une vingtaine de volumes, sans compter la série parallèle des Évadés du temps, Philippe Ébly orienta tout un pan de l’imaginaire de la jeunesse vers les nouvelles frontières de la science-fiction ; on ne le remerciera jamais assez pour cela. Généreuses années 1970, où d’autres auteurs, en particulier Christian Grenier et Christian Léourier, toujours actifs de nos jours, nous apprirent à voyager si loin.
André-François Ruaud