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La boussole du capitaine - avril 2016
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La boussole du capitaine - avril 2016

En lisant quelques romans de littérature populaire actuelle, l’autre semaine, je me suis souvenu d’une hypothèse que j’avais soulevée une fois dans le cadre d’un essai sur l’esthétique rétro-futuriste. Puis je me suis mis à m’interroger sur un phénomène apparemment typique de la littérature steampunk…
 
L’hypothèse en question, c’est ce que j’avais alors nommé le « néo-pulp ». Pas une étiquette officielle ni habituelle, j’admets que j’avais forgé ce terme seulement à fin de démonstration, pour englober ce que je discernais alors comme étant une nouvelle littérature populaire en émergence. En effet, les littératures de genre ont été commercialement submergées depuis une dizaine d’années par des romans mêlant créatures surnaturelles, en priorité des vampires, et intrigue à l’eau-de-rose, ce que l’on tend à nous renommer « romance » dans un américanisme de plus. Une littérature sentimentale avec des crocs, quoi. Un éditeur français largement spécialisé dans la traduction de ce genre forgea même un terme pour recouvrir ce nouveau style à la mode : « bit-lit », construit sur le mode de la « chick-lit » (la littérature pour femmes), avec un « bit » pour « bite », mordre. En réalité, une telle étiquette n’existe pas en langue anglaise, où l’on évoque la « surpernatural romance » et autres euphémismes. 
 
 
Mais qu’importe, le phénomène « bit-lit » a été important — un flot purement commercial, une production cynique toute entière portée sur l’exploitation d’une mode, tout comme pendant longtemps la fantasy de guerre post-Tolkien avait dominé le marché, par exemple. On nous dit que les livres sont mourants, et les chiffres le prouvent bien, mais pourtant il existe encore et toujours des mouvements de littérature populaire et je trouve ça passionnant à étudier. Mieux même : si je n’éprouve aucun intérêt pour la « bit-lit », je le reconnais, en revanche a commencé à me pencher sur le phénomène d’élargissement qui en naissait… Car une fois les vampires et loup-garous mâchés et remâchés dans de longues séries sentimentales, il advint un moment où des auteurs cherchèrent quelques échappatoires, quelques développements différents… Et c’est cela, que j’ai voulu nommer « néo-pulp » : une littérature renouant avec les racines les plus populaires de la sphère des imaginaires (horreur, fantasy, science-fiction, fantastique), mais se diversifiant avec une énergie digne des « pulps » d’autrefois. Un phénomène bien entendu ( ?) essentiellement américain, là-bas le marché du livre semble être encore assez large pour être porteur d’une littérature populaire qui, en France, s’est fort étrécie dans son public comme dans ses lieux de vente. Se développant tant dans le rayon adulte que dans les rayon jeunesse, des thématiques fusent, mutent, se croisent et s’endiablent : vampires, rétro sci-fi, super-héros, fées urbaines, post-apo, dystopie, univers zelaznyens, univers parallèles, steampunk… 
 
À titre personnel, ce qui m’excite le plus, ce que je croque surtout comme des bonbons pour lecteurs (et les livres c’est bien, ça ne donne pas de caries), c’est cette dernière thématique : le steampunk, avec tous ses boulons, ses engrenages, ses dirigeables, ses uchronies, sa vapeur… Il y a dans cette esthétique-là quelque chose qui amusent particulièrement mon âme dix-neuviémiste, disons ! Et si en France nous n’avons pas (encore) vu énormément d’exemples de ce « néo-pulp » rétro-futuriste, de l’autre côté de la Manche et de l’Atlantique, fichtre, ça n’arrête plus… De passage l’autre jour chez Forbidden Planet, à Londres, j’ai noté des noms d’auteurs steampunks que je ne connais pas : AA Aguire, Jonathan Banres, Steven Harper, Mary Robinette Kowal, Devon Monk, Deanna Raybourn, Liesel Schwartz, Kim Lakin-Smith, Jonathan L. Howard, Meanna van Praag… Ah ah, moi qui croyais m’y connaître un peu ! Et encore, j’ai pourtant lu quelques auteurs non traduits : Ladvie Tidhar, Alan K. Baker, Rhys Hugues, par exemple…
 
 
Et je disais en ouverture que je m’étais interrogé sur un phénomène : c’est en finissant de lire le deuxième tome du diptyque « Pax Germanica » de Nicolas Le Breton (Les Cœurs enchaînés, à sortir en juin chez les Moutons électriques) que je me suis fait cette réflexion… Quelle frénésie, et quelle noirceur ! Pourquoi le steampunk conduit-il ses auteurs à si souvent plonger dans une fièvre incroyable et dans des teintes aussi sombres ? Je venais justement de me faire un petit « marathon steampunk » en finissant de lire les six volumes de Mark Hodder plus un George Mann et un Alan K. Baker… et c’était idem, chaque fois d’une frénésie stupéfiante, d’une noirceur complète… Ah, et Feuillet de cuivre de Fabien Clavel (paru chez ActuSF), aussi, plus calme mais pas non plus très rigolo… Depuis, j’ai également lu le dernier Kim Newman, The Secrets of Drearcliffe Grange School. Juste après la Première Guerre mondiale, une école anglaise pour jeunes filles, sévère et perchée sur une falaise, éduque notamment celles qui ont des dons… « particuliers », comme celui qu’à Amy pour la lévitation. Certaines des (super) héroïnes de l’époque viennent d’ailleurs de Drearcliffe. Mais des complots bouillonnent aux alentours, une conspiration de gens masqués, une jeune gourou aux fourmis, qui menacent d’emporter l’école dans une dimension terrifiante… C’est une sorte d’Harry Potter féminin complètement gothique, un peu la version « école de jeunes filles » de la Brigade chimérique. C’est tordu, rapide, hautement réjouissant et… d’une noirceur incroyable, empli d’une horreur lovecraftienne…
 
Bref, je n’ai pas de réponse à ma propre question, je me contente d’observer : le « noir » va bien au steampunk et la relative complexité des jeux uchroniques semble porter en elle une certaine angoisse existentielle.
 
André-François Ruaud 
 
 
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