La vogue du la « bit-lit » aura eu un effet collatéral extrêmement positif : dans sa foulée, toute une littérature populaire de l’imaginaire a trouvé à renaître, un courant qui dans les pays anglo-saxons est très large mais s’est également avéré rapidement devenir très inventif. Qui a dit que les gens ne lisaient plus ? Cette nouvelle littérature populaire prouve que, au moins dans la sphère anglophone, ce n’est pas vrai. Du côté francophone c’est une autre paire de manches, assurément, entre certains éditeurs qui préfèrent traduire à la chaîne plutôt que de faire de la création et nombre de libraires dont la pose élitiste fait fuir la population geek qui pourrait lire – mais c’est un autre débat.

La pression commerciale est la même de nos jours et son effet comparable : des lignes narratives naissent, aussitôt reprises par d’autres auteurs, qui leur apporte leur légère distorsion, et ainsi de suite. C’en est au point que lire d’affilé plusieurs séries d’inspiration proche peut donner l’impression que tout le monde travaille dans le même univers fictif – entre le steampunk survolté du cycle Pax Britannia et les enquêtes de Newbury & Hobbes de George Mann, il existe vraiment de troublantes ressemblances, de même qu’entre Mann et les Burton & Swinburne de Mark Hodder : chaque auteur décale son inspiration d’un degré, ajoute ses propres éléments, quelques motifs, et ainsi un nouvel imaginaire prend forme.

Et puis, avec toutes ces histories d’enquêtes pseudo-victoriennes il fallait bien que cela arrive, voici qu’entrent en collision le steampunk et la fiction holmésienne. Cette dernière constitue de très longue date une niche particulière des littératures populaires : chaque mois voit paraître son lot de pastiches de Sherlock Holmes, devenus de ce fait innombrables. Si de rares auteurs réellement talentueux y ont trouvé matière à construire quelques œuvres véritablement littéraires (on pensera à Michael Chabon et à Mitch Cullin), les autres font simplement marcher la turbine holmésienne, où tout un ton et des tournures se sont forgés. Si résistante, si puissante, est la figure mythique de Sherlock Holmes que le grand détective ne sort pas forcément amoindri de cette pléthorique production de complots et d’investigations rétro. Et donc, assez logiquement, les courants du steampunk et du holmésien viennent de se rencontrer : cela donne la trilogie d’Emma Jane Holloway débutant par A Study in Silks, racontée par une nièce du grand détective. Pour faire bonne mesure, l’auteur y brode également de la magie, des motifs à la Jane Austen et ajoute une bonne dose d’eau-de-rose. Ah, et il y a aussi des pirates de l’air ! (en dirigeables bien sûr) Peut-être suis-je coupablement bon public, mais j’ai trouvé cela aussi captivant que drôle. Quoique niveau humour, je ne sois pas persuadé qu’il soit toujours intentionnel, mais l’ensemble m’a semblé fort amusant. Nous sommes bien dans du « pulp » moderne, et ça marche.
J’ai déjà évoqué George Mann : là encore, il était certainement logiquement que Holmes intervienne dans son univers pseudo-victorien. Le prétexte est une enquête d’un personnage secondaire du cycle de Newbury & Hobbes, Charles Bainbridge de Scotland Yard, qui se retrouve à faire appel à l’aide des deux résidents de Baker Street. Le ton holmésien est parfaitement là, bien sûr, avec en prime des hommes de métal qui ne sont pas sans faire songer aux cybermen de Doctor Who – Mann ayant aussi écrit un roman dans l’univers de Doctor Who, tout se tient !

André-François Ruaud