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La boussole du capitaine - Décembre 2013
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La boussole du capitaine - Décembre 2013

La vogue du la « bit-lit » aura eu un effet collatéral extrêmement positif : dans sa foulée, toute une littérature populaire de l’imaginaire a trouvé à renaître, un courant qui dans les pays anglo-saxons est très large mais s’est également avéré rapidement devenir très inventif. Qui a dit que les gens ne lisaient plus ? Cette nouvelle littérature populaire prouve que, au moins dans la sphère anglophone, ce n’est pas vrai. Du côté francophone c’est une autre paire de manches, assurément, entre certains éditeurs qui préfèrent traduire à la chaîne plutôt que de faire de la création et nombre de libraires dont la pose élitiste fait fuir la population geek qui pourrait lire – mais c’est un autre débat. 
 
Quelle est donc cette nouvelle littérature populaire ? La « bit-lit » menaçant de s’épuiser à force de se répéter, des auteurs ont commencé à étendre leur imaginaire en direction de la « fantasy urbaine » en général, puis vers le steampunk, et un bouillonnement créatif accéléré s’est emparé des rayons concernés. On avait déjà connu une telle accélération sous la pression commerciale américaine, autrefois, dans les années 1980, lorsque la fantasy était véritablement devenue un genre à fort potentiel de vente. On assistait alors au phénomène étonnant d’auteurs qui trouvaient une petite idée nouvelle et se la voyaient aussitôt récupérée, adaptée, développée, et ainsi de suite, dans un effet de construction de codes et de clichés exceptionnellement rapide.
 
La pression commerciale est la même de nos jours et son effet comparable : des lignes narratives naissent, aussitôt reprises par d’autres auteurs, qui leur apporte leur légère distorsion, et ainsi de suite. C’en est au point que lire d’affilé plusieurs séries d’inspiration proche peut donner l’impression que tout le monde travaille dans le même univers fictif – entre le steampunk survolté du cycle Pax Britannia et les enquêtes de Newbury & Hobbes de George Mann, il existe vraiment de troublantes ressemblances, de même qu’entre Mann et les Burton & Swinburne de Mark Hodder : chaque auteur décale son inspiration d’un degré, ajoute ses propres éléments, quelques motifs, et ainsi un nouvel imaginaire prend forme.
 
Entendons-nous bien : tout ne se vaut pas. Si George Mann (une traduction en France, Les Revenants de Whitechapel, chez Eclipse) est vraiment un excellent auteur, dont le style s’améliore de livre en livre et dont l’univers soigneusement pensé est en passe d’imposer son propre « canon » (une ligne temporelle fictive chronologiquement très détaillée, où chaque texte trouvé une place précise), la dernière production de Lilith Saintcrow, les enquêtes de Bannon et Clare (une traduction en France, Le Mystère du drake mécaniste, chez Orbit), pour amusante qu’elle soit, laisse assez pantois par sa rapidité d’écriture (pour rester courtois) et par le cynisme avec lequel cette spécialiste de la production accélérée (créditée dans l’édition originale notamment de « romans chrétiens », mieux vaut ne pas savoir ce que c’est) s’empare des motifs créés par un autre auteur. 
 
Et puis, avec toutes ces histories d’enquêtes pseudo-victoriennes il fallait bien que cela arrive, voici qu’entrent en collision le steampunk et la fiction holmésienne. Cette dernière constitue de très longue date une niche particulière des littératures populaires : chaque mois voit paraître son lot de pastiches de Sherlock Holmes, devenus de ce fait innombrables. Si de rares auteurs réellement talentueux y ont trouvé matière à construire quelques œuvres véritablement littéraires (on pensera à Michael Chabon et à Mitch Cullin), les autres font simplement marcher la turbine holmésienne, où tout un ton et des tournures se sont forgés. Si résistante, si puissante, est la figure mythique de Sherlock Holmes que le grand détective ne sort pas forcément amoindri de cette pléthorique production de complots et d’investigations rétro. Et donc, assez logiquement, les courants du steampunk et du holmésien viennent de se rencontrer : cela donne la trilogie d’Emma Jane Holloway débutant par A Study in Silks, racontée par une nièce du grand détective. Pour faire bonne mesure, l’auteur y brode également de la magie, des motifs à la Jane Austen et ajoute une bonne dose d’eau-de-rose. Ah, et il y a aussi des pirates de l’air ! (en dirigeables bien sûr) Peut-être suis-je coupablement bon public, mais j’ai trouvé cela aussi captivant que drôle. Quoique niveau humour, je ne sois pas persuadé qu’il soit toujours intentionnel, mais l’ensemble m’a semblé fort amusant. Nous sommes bien dans du « pulp » moderne, et ça marche.
 
J’ai déjà évoqué George Mann : là encore, il était certainement logiquement que Holmes intervienne dans son univers pseudo-victorien. Le prétexte est une enquête d’un personnage secondaire du cycle de Newbury & Hobbes, Charles Bainbridge de Scotland Yard, qui se retrouve à faire appel à l’aide des deux résidents de Baker Street. Le ton holmésien est parfaitement là, bien sûr, avec en prime des hommes de métal qui ne sont pas sans faire songer aux cybermen de Doctor Who – Mann ayant aussi écrit un roman dans l’univers de Doctor Who, tout se tient !
 
The Will of the Dead, le Holmes de Mann, est paru en Angleterre chez Titan Books, qui avaient déjà une collection de rééditions de pastiches, « The Further Adventures of Sherlock Holmes ». Ils ont ici abandonné leurs belles couvertures rétro pour des brumes Photoshop fort laides, mais tant pis, le contenu est bien amusant : l’esprit « pulp » fait des merveilles, avec également The Stuff of Nightmares de James Lovegrove, qui ne recule devant aucune explosion ni aucun motif (il y a même un vengeur masqué que l’on croirait surgit des comic books de Mignola), quoiqu’il ait peut-être poussé un peu loin le bouchon en basant toute son intrigue sur un jeu de mots en français… qui ne fonctionne pas, puisque le français de Lovegrove est au mieux du niveau petit nègre. L’auteur n’a pas jugé bon de consulter un lecteur francophone, non : c’est aussi cela, l’esprit pulp, et il renoue ainsi avec les bons vieux Seabury Quinn, par exemple ! Enfin, un certain Guy Adams fait se croiser Holmes avec les « détectives de l’étrange » John Silence et Thomas Carnacki, dans The Breath of God, et avec… mais le titre dit tout : The Army of Dr Moreau.
 
André-François Ruaud

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