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La boussole du capitaine - Janvier 2015
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La boussole du capitaine - Janvier 2015

Une exposition lui est consacrée au festival d’Angoulême, ce mois-ci ; deux biographies ont été publiées coup sur coup en langue anglaise, ainsi qu’un documentaire de la BBC ; ses bandes dessinées sont traduites chez Lézard noir… Mais qui est donc cette Tove Jansson ? La créatrice d’une icône internationale du merveilleux, nommée Moumine ou Moomin selon les éditions.

Née le 9 août 1914 à Helsinski, Tove Jansson était issue d'une famille d'artistes : son père était sculpteur, sa mère peintre. Élevée, avec son jeune frère Lars (qu'elle surnommait « Lasse »), dans une atmosphère à la fois bourgeoise et bohème, dans la culture et l'art, Tove (cela se prononce « Tauvê ») décide tout naturellement de suivre des études graphiques. Et comme elle se sent également attirée par la prose, elle se tourne vers la réalisation de romans illustrés pour la jeunesse, ce qui était déjà un domaine d'expression de sa propre mère. Son premier dessin politique étant publié quand elle n’a encore que 15 ans, Tove Jansson intègre peu de temps après une école d'art de Stockholm, avant de rentrer à l’âge de 19 ans dans une école d'art d'Helsinski, puis d'aller se promener et se former de par l'Europe. En 1938, elle prend des cours aux Beaux-Arts de Paris, avant de regagner son pays natal. Poursuivant en 1940 sa collaboration avec le journal humoristique Garm, elle invente une sorte de petit troll (figure mythologique commune en Finlande) pour accompagner sa signature. C'est le mélange de cet étrange petit animal ressemblant un peu à un hippopotame et des souvenirs de l'autrice dans la bohème familiale au bord de la mer, qui va donner naissance au Pays de Moumine et à ses excentriques habitants.
 
Tove Jansson

Paru en 1946, le premier livre situé dans cette vallée heureuse ayant séduit un large public, Tove Jansson donne deux ans plus tard une suite à sa création, sous la forme d'un recueil de nouvelles, suivi d'un deuxième en 1950. En seulement trois volumes, cette série acquiert une notoriété suffisante pour qu'un éditeur anglais s'y intéresse, qui les traduit en 1950 (la France ne découvrira cette étonnante création qu'avec trente ans de retard, lors des traductions dans la jolie collection « Bibliothèque internationale » de chez Nathan). L'univers de Tove Jansson est subtilement poétique et mélancolique, avec sous sa veine burlesque une satire du comportement humain : Sniff le petit animal velléitaire et pingre, les émules incarnant tout ce que l'humanité comprend de collectionneurs obsessionnels et d'érudits aux idées fixes, les Fillyjonks comme autant de vieilles filles névrosées, chaque peuplade des vallées nordiques proches de celles des Moumine trace son propre chemin en complet égoïsme. Dans cette comédie presque humaine, la famille Moumine (en anglais, Moomin) propose un havre de tranquilité petite-bourgeoise, de bonhommie un peu artiste et d'hospitalité généreuse. Papa Moumine (en chapeau haut-de-forme) se remémore ses aventures de jeunesse dans d'interminables mémoires, tout en échafaudant de temps à autre quelques plans peu pragmatiques. Maman Moumine (en tablier et avec un sac à main) vaque aux tâches quotidiennes avec un aplomb imperturbable, accueillant de distraits « Yes dear » les idées saugrenues de son époux. Quant au petit Moumine lui-même, c'est un enfant sensible et rêveur, un peu balourd, souvent naïf.

Outre trois livres illustrés, Tove Jansson produira en tout huit romans sur la famille Moumine — l'avant-dernier, Papa Moumine et la mer, voyant le trio quitter sa vallée chérie sur une idée du père, pour aller vivre sur une île isolée, dans un phare. Ainsi déplacés, confrontés à la rudesse du réel, chacun se voit contraint d'affronter ses peurs : échec des ambitions du père, sentiment de vacuité de la mère, solitude du petit... D'une tonalité étonnamment adulte et nostalgique, dépressive par endroits, cette œuvre clôt pour ainsi dire le cycle, avec le passage des Moumines à l'âge adulte. Un huitième roman, malheureusement non traduit en France, Moominvalley in November (1971), voit six personnages différents secouer leur dépression ou leur routine afin de regagner la vallée des Moumine. En attendant un hypothétique retour, les six personnages organisent une petite communauté, une presque famille, en tâchant de définir un rôle pour chacun. Dans le souvenir des Moumine, les six errants trouvent une forme de paix, se réconcilient avec eux-mêmes et avec les autres — et repartent, rassérénés, juste au moment où, loin sur l'océan, le bateau des Moumine s'approche, la famille étant de retour pour hiverner dans la vallée.
 

Entre-temps, cependant, Tove Jansson avait été fort active sur le plan graphique : en effet, un syndicat de presse londonien la contacte vers 1950 en vue de la réalisation d'un comic strip sur ses personnages fétiches. Ayant déjà fait une première incursion de ce type dans la bande dessinée (pour un quotidien suédo-finlandais), Tove Jansson accepte et, en 1953, Moomin débute dans les pages du London Evening News. Le public visé étant plus adulte que celui de ses romans illustrés, Tove Jansson a un peu modifié son approche de l'univers Moumine : tout d'abord orphelin, Moumine y est non plus un enfant mais un pré-adulte — souvent inquiet, parfois jaloux, parfois colérique. La satire se fait plus grinçante dans le comic strip que dans les romans, avec un rôle important de l'humour. Malaisée dans le format « trois cases par jour », la contemplation et la poésie sont tout d'abord fort peu présents, mais seront petit à petit réintroduits au cours des années. Ce qui prolifère, en revanche, ce sont des personnages plus excentriques et égoïstes que jamais, des situations burlesques et des leçons de vie douce-amères. Vite éreintée par un rythme de production qui convient peu à sa nature rêveuse, Tove Jansson se fait d'abord seconder par son frère Lars, avant de lui abandonner le strip durant ses deux dernières années (l'aventure anglaise s'interrompt en 1961). C'est le même Lars Jansson qui supervisera la production, au Japon, de plusieurs saisons et de plusieurs téléfilms animés sur Moumine, d'une fidélité remarquable à l’œuvre d'origine.

On court, on trépigne, on sursaute, les ronchons ronchonnent, les rêveurs rêvassent, les arpagons entassent. La magie des petits trolls nordiques n’a plus cessée de se déployer. Que du bonheur.
 
André-François Ruaud
 

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